Jean-Félix Paganon : « Tout le monde est désormais engagé » dans la reconquête du Nord-Mali
Le représentant spécial de la France pour le Sahel, Jean-Félix Paganon, a passé quatre jours à Bamako pour prendre part à la réunion du groupe de soutien et de suivi sur la situation au Mali qui s’y est tenue le 19 octobre. Quelques heures avant son retour à Paris, le 21, il a reçu Jeune Afrique à son hôtel pour évoquer la stratégie de la communauté internationale dans la crise malienne. Interview.
Jeune Afrique : Quelles sont les avancées réalisées lors de la réunion du 19 octobre 2012 à Bamako ?
Jean- Félix-Paganon : Il y a eu plusieurs avancées parmi lesquelles la présentation du document de l’Union africaine [déterminant le concept stratégique pour la résolution de la crise au Mali, NDLR], qui a fait l’objet d’un accord très général. Tout le monde est désormais engagé : la Cedeao, l’Union africaine (UA), les Nations unies, l’Union européenne (UE), et tous les pays du champ.
Il y a cinq à six mois, la Cedeao était toute seule. La stratégie de l’UA va être adoptée le 24 octobre prochain [à Addis Abeba par le Conseil de paix et de sécurité de l’organisation, NDLR]. L’UA se prépare également à organiser en novembre une réunion des chefs d’état-major et des responsables militaires pour compléter la planification de la Cedeao. Les Nations unies ont dit qu’elles produiraient un rapport pour le Conseil de sécurité au début de novembre. L’Union Européenne a confirmé qu’elle était prête à engager une opération de défense et sécurité commune. Il y a un consensus sur le fait que la communauté internationale doit suivre une stratégie avec une double approche, à la fois politique et militaire…
À propos de ce document de l’UA, les membres de la délégation malienne ont souhaité apporter des amendements…
Ils ont souhaité renforcer le volet sur le refus de l’impunité vis à vis de ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité ou des crimes de guerre. Ils ont voulu que cela fasse clairement partie de la stratégie de reconquête du Nord.
Et le Sud ? Selon un rapport d’Amnesty international, à Bamako aussi il y a eu des violations des droits de l’homme par des proches de l’ex-junte…
Tout ce qui sera caractérisé comme violation des droits de l’homme ou crimes de guerre devra être puni le moment venu. Il n’y a pas deux poids deux mesures.
Il n’est pas question d’adopter une altitude sélective. Tout ce qui sera caractérisé comme violation des droits de l’homme ou crimes de guerre devra être puni le moment venu. Il n’y a pas deux poids deux mesures.
Les Algériens ont pris part aux travaux de cette réunion, quel sera leur niveau d’implication dans une intervention militaire ?
Les Algériens n’ont pas du tout évoqué la possibilité ou la perspective de leur implication dans l’opération que le conseil de l’ONU se prépare à autoriser. Mais aujourd’hui, l’Algérie – tout en maintenant la priorité à la recherche d’une solution politique – reconnaît que la perspective d’une option militaire est un complément nécessaire de l’approche politique.
Pourquoi l’Algérie est-elle réticente à une opération militaire, tout comme la Mauritanie d’ailleurs ?
En ce qui concerne la Mauritanie, la déclaration de son représentant [le ministre des Affaires étrangères, NDLR] est très claire. Il a dit que l’opération militaire était inévitable, qu’elle était nécessaire et qu’elle devrait être très soigneusement préparée. Mais qu’elle devait aussi s’inscrire dans le cadre d’une stratégie politique. Je n’ai pas le sentiment que cette position soit rejetée par l’Algérie.
Quand peut-on s’attendre à un déploiement de troupes au Nord-Mali ?
Un déploiement militaire nécessite beaucoup d’organisation, donc je dirais : le plus tôt possible, au début de 2013.
Comment la France gère-t-elle les menaces envers ses otages ?
Le président Hollande a été très clair dans ses déclarations de Kinshasa, il a dit que seule une politique de fermeté pouvait faire comprendre aux preneurs d’otages que l’unique option, pour eux, c’est de libérer les otages.
Aqmi a déclaré qu’une opération soutenue par la France au Nord-Mali signerait la mort des otages français…
Nous ne sommes pas surpris que des terroristes utilisent des otages pour faire du chantage mais la position du gouvernement français est celle énoncée par le président de la République.
Comment voyez-vous la négociation avec Ansar Eddine ?
Beaucoup de pays de la région, comme l’Algérie, et de nombreux analystes pensent que les négociations sont possibles avec Ansar Eddine.
Ansar Eddine a le comportement d’un groupe totalement lié aux terroristes d’Aqmi. Ils sont dans le même camp. Mais beaucoup de pays de la région, comme l’Algérie, et de nombreux analystes pensent que les négociations sont possibles avec Ansar Eddine pour faire comprendre à cette organisation que le pro-terrorisme est une erreur. Nous verrons…
Est-ce que vous pensez que Bamako serait d’accord pour discuter d’un plan d’autonomie pour le Nord-Mali ?
C’est sûr qu’il y a chez certaines populations du Nord-Mali une volonté d’avoir leur mot à dire dans la gestion de leurs affaires, il y a de nombreuses formules possibles pour encadrer ce type d’aspirations, mais ce n’est pas à nous, Français, de dire quelles sont les bonnes solutions. Tout le monde a été frappé par l’honnêteté et le courage du président Traoré qui a dit [lors de l’ouverture de la rencontre du 19 octobre, NDLR] que beaucoup d’accords ont été signés, beaucoup d’engagements ont été pris mais que ceux-ci n’ont pas toujours été respectés et que les fautes étaient partagées… Mais aussi qu’il était désormais urgent pour l’ensemble des Maliens de prendre conscience des erreurs du passé pour ne pas les répéter. Une fois le pays réunifié, une fois l’intégrité territoriale rétablie, ce sera aux Maliens de décider quels seront les paramètres politiques à définir pour trouver des équilibres institutionnels satisfaisants.
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Propos recueillis par Baba Ahmed, à Bamako
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