François Hollande : la pause Dakar avant la tempête kinoise

Le chef de l’État français François Hollande a achevé sans encombre sa première journée passée sur le sol africain, le 12 octobre. Récit.

Sur la route du cortège présidentiel le 12 octobre 2012 à Dakar, lors de la visite de François H © AFP

Sur la route du cortège présidentiel le 12 octobre 2012 à Dakar, lors de la visite de François H © AFP

ProfilAuteur_EliseColette

Publié le 13 octobre 2012 Lecture : 6 minutes.

En haut des escaliers de la maison des esclaves de l’île de Gorée, Laurent Fabius était détendu. En bras de chemise, le ministre français des Affaires étrangères humait l’air de l’océan, qui s’était rafraîchi avec le soir tombant. « Demain [samedi] à Kinshasa, ce sera beaucoup plus dense », reconnaissait-il.

Mais en attendant l’étape congolaise, où les sujets qui fâchent seront nombreux, la délégation française qui accompagnait le chef de l’État François Hollande (outre Fabius, le ministre au Développement, Pascal Canfin, la ministre aux Français de l’étranger, Hélène Conway et 4 parlementaires des outre-mers) pouvait se féliciter de la réussite de l’escale sénégalaise. Et c’est avec un plaisir non dissimulé que Hollande s’est lui-même jeté dans le bain de foule que la population de l’île de Gorée lui avait réservé.

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« Depuis que je suis arrivé à Dakar, c’est une suite de clameurs, de ferveur et de bonheurs », lâche-t-il, avant de reprendre une petite dose de serrage de mains.

Encadré : les secrets du discours de Dakar    

En 2007, c’était un homme seul, Henri Guaino, qui avait rédigé le discours que Nicolas Sarkozy avait prononcé à l’université Cheikh Anta Diop. Cette fois-ci, les paroles présidentielles sont passées entre de nombreuses mains avant d’être déclamées devant les députés sénégalais. La première mouture a été élaborée par la cellule diplomatique de l’Elysée (Paul-Jean Ortiz et la conseillère Afrique, Hélène Le Gal, ainsi que le conseiller technique Thomas Melonio).

Le texte a d’abord été soumis au chef de l’État avant d’être transmis aux ministères concernés. Ceux de l’Intérieur et des Français de l’étranger ont peaufiné les déclarations concernant l’évolution promise dans la délivrance des visas. Celui de l’Économie a développé le paragraphe sur la nécessaire mutation de la zone franc, celui du Développement a apporté sa touche technique, etc. Les ONG, telles que Coordination Sud, et le Forim (la réunion des diasporas africaines), ont également été informées et consultées. Lundi 8 octobre, François Hollande a déjeuné avec des spécialistes du continent : l’historien Elikia M’Bokolo, l’homme d’affaires Lionel Zinsou, la journaliste Denise Epoté, l’intellectuel Mamadou Diouf, le chercheur français Jean-François Bayart et le président de l’Onusida, Michel Sidibé. C’est Diouf qui a insisté sur l’importance du symbole que représenterait la remise des archives détenues par la France sur le drame du camp de Thiaroye au Sénégal. C’est par ailleurs la première fois qu’un chef d’État français a évoqué la sombre histoire commune aux deux pays, selon l’Élysée. L’historien a également appuyé avec force la nécessité de revoir les conditions de délivrance des visas pour les artistes et les intellectuels africains, lui-même ayant souffert à plusieurs reprises de la difficulté pour un Africain de se rendre en France. M’Bokolo a longuement parlé de la RD Congo et de la situation complexe qui y prévaut. Sidibé s’est saisi des financements innovants tandis que Zinsou a détaillé les aspects économiques et financiers de la coopération attendue de la part de la France. François Hollande avait également au préalable consulté ses homologues africains qui lui ont rendu visite depuis plusieurs mois à Paris. Selon une source proche du chef de l’État, tous les présidents africains lui ont transmis le même message : l’ère de la Françafrique doit être révolue.  

Dont acte. Son discours aura donc tenté d’aborder tous les sujets jugés fondamentaux par ses interlocuteurs. Un panorama presque complet, sans dérives ni déclaration polémique, sans oubli, mais qui justement aurait peut-être gagné à être moins exhaustif. Au risque de ne pas laisser beaucoup de traces.  

Dakar, pour les Français, est toujours une cerise sur le gâteau africain – de moins en moins appétissant celui-là. La France est le premier partenaire commercial et premier bailleur de fonds du Sénégal, sa communauté installée là-bas est encore nombreuse, ses entreprises fournissent 20% de l’emploi dans le secteur formel : les Sénégalais doivent encore beaucoup trop à l’Hexagone pour qu’un grain de sable vienne enrayer le chemin bien huilé de la visite d’un de ses chefs d’État – depuis le début de la 5è république, ils s’y sont d’ailleurs tous rendu. Et ils avaient donc tout prévu pour que Hollande reparte de la capitale convaincu d’avoir fait le bon choix pour sa première visite en Afrique. Opération réussie !

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Regarder vers l’avenir, changer la relation entre l’Afrique et la France

Sur le trajet le menant de l’aéroport au palais présidentiel, François Hollande a donc été accueilli par la foule qui brandissait des pancartes aux effigies des deux présidents et proclamaient avec humour : « le décollage de l’Afrique c’est maintenant ». Après la visite de la maison des esclaves de l’île de Gorée, il a été fait ambassadeur du symbolique lieu de mémoire par le maire, un pin’s en forme de phénix (symbole de l’île) lui a été remis ainsi qu’un porfolio célébrant les 140 ans de la ville. Sa compagne, Valérie Trierweiler recevait, quant à elle, un collier fait de pierres récupérées à Gorée, qu’elle a trouvé très justement assorti à la robe bleue qu’elle portait.

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Le président ne cachait pas son plaisir à saluer les Sénégalais, il en a même redemandé. Sa compagne embrassait les petites filles qui lui offraient des fleurs. Pour un premier voyage officiel en terre africaine, le couple présidentiel s’est rapidement acclimaté à l’accueil chaleureux.

Ce contexte amical a ainsi permis à François Hollande de marteler à plusieurs reprises les messages qu’il a voulu faire passer, devant les représentants du peuple sénégalais, comme devant la communauté française du Sénégal : « C’est un nouveau temps pour la politique africaine de la France », « nous ne devons pas avoir seulement de la compassion mais aussi de l’ambition pour l’Afrique », « la présence française en Afrique n’est pas un reliquat ou un vestige, bien au contraire, elle doit prospérer », ou encore « l’Afrique est un continent d’avenir en lequel nous avons confiance ».

Le discours solennel qu’il a prononcé à l’Assemblée nationale est d’ailleurs bien passé auprès de son audience, même s’il devra par la suite être concrétisé.
 
Ombres au tableau

Le séjour aurait été presque trop parfait si deux événements n’étaient venus troubler la quiétude dakaroise. À Paris, une petite polémique naissait quelques heures avant que François Hollande embarque pour Gorée, l’un des plus grands symboles mondiaux de l’esclavage. On apprenait que Matignon se serait déclaré « très ouvert » à évoquer la question des réparations – sujet qui n’est pas du tout à l’ordre du jour de l’Élysée. Le Premier ministre Jean-Marc Ayrault, ancien maire de Nantes est particulièrement engagé sur ce sujet. Mais la question est très sensible et les Africains eux-mêmes ont pratiquement cessé de réclamer des réparations pour les torts commis par l’esclavage à leur continent. Une cacophonie dont Hollande se serait bien passé.

Autre ombre au tableau, bien plus préoccupante : le Mali. La crise dans le nord du pays n’a cessé d’être abordée par le président français lors de son séjour dakarois. Macky Sall s’est déclaré très inquiet de l’évolution de la situation sécuritaire dans la sous-région, selon une source proche de l’Élysée, mais a néanmoins évoqué, lors de l’entretien de travail qu’il a eu avec Hollande, une possible participation de son pays aux troupes de la Communauté de développement des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui devraient être déployées en soutien à l’armée malienne. La résolution 2071, qui a été votée à New York dans l’après-midi de ce vendredi 12 octobre, est le prélude à une intervention africaine sur le sol malien. François Hollande a répété que la France n’enverrait pas de troupes, mais fonderait son soutien indéfectible aux autorités maliennes et à la Cedeao sur trois axes : logistique, renseignement et formation.

Au rayon des nuages qui s’amoncelaient en fin de journée dans le ciel sénégalais, il faut aussi ajouter ce qui était déjà dans tous les esprits : l’épineux épisode congolais. S’il faut se fier à l’accueil plutôt froid qu’a reçu la ministre déléguée à la Francophonie, Yamina Benguigui, déjà sur place, l’ambiance au sommet de la Francophonie risque d’être bien moins chaleureuse qu’en Afrique de l’Ouest. Le baptême africain de Hollande ne fait que commencer.

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