Amal Entreprises veut bousculer le patronat marocain
Proche du parti islamiste au pouvoir, l’association patronale marocaine Amal Entreprises se fait le chantre des PME… et marche sur les plates-bandes de la puissante Cgem.
À l’ombre de l’influente Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM), une autre association patronale émerge dans le royaume. Son nom : Amal Entreprises (amal signifiant « espoir »). Jugée proche du Parti de la justice et du développement (PJD, islamiste), qui domine le gouvernement, elle a fait notamment parler d’elle à l’occasion de la venue au Maroc du Premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan.
Le 3 juin, c’est elle qui avait organisé à Rabat, en marge de la visite officielle, une rencontre entre hommes d’affaires turcs et marocains, en présence des chefs de gouvernement des deux pays. Une initiative boudée avec ostentation par la Cgem, présidée par Meriem Bensalah Chaqroun. « Nous n’avons été prévenus par Amal Entreprises que trois jours ouvrables avant cette manifestation. Or on a de vrais problèmes commerciaux avec la Turquie, fait valoir Fadel Agoumi, directeur délégué de la Cgem. Il ne servait à rien de garnir les rangs d’une simple rencontre entre patrons où les problèmes délicats n’auraient pas pu être résolus, en particulier les barrières à l’entrée sur le marché turc. »
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Selon un bon connaisseur des organisations patronales marocaines, ce boycott médiatisé a surtout une explication politique : « En accordant à Amal Entreprises la possibilité d’organiser cette manifestation économique, les membres PJD du gouvernement – et en particulier le ministre de l’Équipement et du Transport, Abdelaziz Rabbah, qui est proche de l’association – ont voulu gonfler sa notoriété », estime-t-il. Cette initiative gouvernementale n’a pas été du goût de la Cgem, laquelle se veut l’organisation patronale la plus représentative et s’estime donc incontournable.
Monopole
Même si Fadel Agoumi affirme que « la Cgem n’a pas de monopole sur le patronat », l’épisode turc a mis au jour la compétition à laquelle se livrent les deux organisations pour recueillir l’adhésion des dirigeants de PME, qui constituent plus de 90 % des 500 000 sociétés enregistrées au Maroc. La Cgem revendique quelque 30 000 membres via les fédérations professionnelles, mais elle ne compte en fait que 3 000 adhérents directs. Fadel Agoumi escompte faire passer ce chiffre à 6 000 en cinq ans. Mais pour cela, il doit impérativement séduire les petits entrepreneurs.
Amal a tissé des relations étroites avec la Müsiad, un syndicat turc dans la mouvance de l’AKP.
« Notre organisation a longtemps été vue comme l’émanation des grandes entreprises, explique-t-il. Créée en 1947 sous le protectorat, elle rassemblait au départ les patrons français du royaume. Malgré la marocanisation de l’économie, elle a longtemps été perçue avec méfiance par les différents gouvernements. Elle n’a pris sa place de premier interlocuteur de l’État pour le secteur privé formel que dans les années 1990. » Selon le directeur délégué, les temps ont changé : « La force actuelle de la Cgem, c’est sa représentativité. Aujourd’hui, 85 % de nos adhérents sont des patrons de PME actives dans tous les secteurs. Et dorénavant, tous les textes de loi et décrets de l’État concernant le monde de l’entreprise nous sont soumis. »
De son côté, Amal Entreprises n’affiche que 500 membres, mais vise 1 000 cotisants à l’horizon 2014. Et se pose justement comme le chantre des PME et de la préférence nationale. « Depuis 2012, la priorité est donnée aux sociétés marocaines dans la sous-traitance et les appels d’offres sur les grands travaux publics. C’est un changement pour lequel nous avons beaucoup milité », affirme Taïeb Aisse, le président d’Amal. Ce dernier refuse l’étiquette PJD : « Nous avons créé notre association en 2004 et elle se veut apolitique, affirme-t-il. Au départ, elle rassemblait un groupe d’amis mus par la volonté de défendre les entreprises marocaines, notamment celles de petite taille ou basées en province, dont les intérêts ne sont pas suffisamment pris en compte. »
Interrogé sur les références religieuses de son association, Taïeb Aisse botte en touche : « En tant que Marocains, nous sommes musulmans, cela va de soi. Mais nous sommes une association d’entreprises, pas une organisation religieuse. Notre philosophie est libérale et sociale. Notre objectif est de renforcer les capacités de nos membres, de développer les interactions entre grandes et petites sociétés et de leur ouvrir de nouveaux horizons, ce qui permettra de doper l’investissement et par conséquent l’emploi », indique-t-il.
Reste que l’association est clairement liée à des organisations musulmanes ou islamistes. Amal est ainsi membre de l’Union des hommes d’affaires de l’Organisation de la coopération islamique (OCI). Et elle a tissé des relations étroites avec l’Association des industriels et hommes d’affaires indépendants (Müsiad, deuxième association patronale turque), proche de l’AKP, le parti islamiste au pouvoir à Ankara. C’est d’ailleurs avec celle-ci qu’Amal a organisé la rencontre de Rabat qui a fait polémique. Et c’est aussi la Müsiad qui a lancé l’International Business Forum, une rencontre annuelle entre hommes d’affaires musulmans à laquelle participe Amal. Une manifestation qui a permis à l’association marocaine de nouer des liens avec des organisations patronales algérienne, mauritanienne et égyptienne souvent proches de l’OCI.
Panoplie
Désormais, bien qu’elles le nient toutes les deux, la Cgem et Amal sont à couteaux tirés. La première a d’ores et déjà repris le dossier turc à son compte. « Nous nous rendrons à Ankara et à Istanbul dès septembre pour renégocier les accords de libre-échange de 2006 », annonce Fadel Agoumi, qui rappelle également que la Cgem organise le troisième Forum des entrepreneurs maghrébins, prévu le 17 février 2014 à Casablanca. Elle multiplie aussi les initiatives en faveur des PME, avec une panoplie de nouveaux services, notamment de mise en relation commerciale et de Bourse d’affaires. De son côté, Amal a lancé une offensive chez les jeunes entrepreneurs et les femmes chefs d’entreprise. Elle annonce aussi l’organisation d’une rencontre avec des hommes d’affaires subsahariens, début 2014, au Maroc. La bataille des patronats ne fait que commencer.
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