Pollution : les pêcheurs nigérians et Shell, un remake de David contre Goliath
D’un côté, la deuxième plus grande entreprise mondiale : le géant pétrolier Shell. De l’autre : quatre petits pêcheurs nigérians. C’est un combat inégal qui va débuter le 11 octobre, devant le tribunal de La Haye, aux Pays-Bas. Le litige porte sur la pollution du delta du Niger que les plaignants imputent à la multinationale. Ils lui reprochent notamment d’avoir détruit leur environnement, à grands coups de fuites d’hydrocarbures et de marées noires.
Ils n’ont plus grand chose à perdre. Quatre pêcheurs nigérians de la région de Goi accusent la multinationale Shell d’avoir tellement pollué le delta du Niger qu’ils ne peuvent tout simplement plus y vivre. Et contre toute attente, il sont parvenus à imposer au géant du pétrole un procès, lequel s’ouvre le 11 octobre devant le tribunal de La Haye.
« Leur environnement a été dévasté par Shell », dénonce le directeur des opérations du Centre nigérian pour l’environnement, les droits de l’homme et le développement, Styvn Obodoekwe (voir l’interview ci-dessous). « Au vu des dommages causés, l’intégrité de la cour de La Haye serait remise en cause si elle ne déclarait pas Shell coupable », affirme-t-il.
Shell devant la Cour suprême des États-Unis
Shell est aussi accusée d’avoir soutenu le gouvernement nigérian dans la répression, entachée d’exactions, des groupes rebelles qui s’attaquent à ses installations. Un procès contre la Major est déjà engagé devant la Cour suprême des États-Unis, à Washington.
La raison invoquée par les plaignants ? Une disposition du droit international, l’ « Alien Tort Claims Act », adoptée initialement afin de dédommager des victimes d’actes de piraterie ou d’atteintes aux ambassadeurs. Depuis 1980, celle-ci permet à la victime d’une violation grave des droits de l’homme de chercher réparation devant les tribunaux américains. Et ce même si aucune des deux parties n’est américaine et si le crime a été commis à l’étranger.
Ayant traîné une dizaine d’années dans les différents tribunaux et chambres d’appel aux États-Unis, l’affaire a finalement échoué à la Cour suprême. Aucune décision ne devrait cependant intervenir avant le début de 2013.
"Un Exxon Valdez par an"
Shell, la multinationale anglo-néerlandaise au chiffre d’affaires de 484 milliards de dollars en 2011, exploite la zone du delta depuis 1956. Au fil des années, elle a tissé sa toile d’oléoducs à travers la région, qui en compte actuellement quelque 7 000 kilomètres. Une vraie malédiction pour les habitants qui ne profitent que peu de la manne pétrolière, mais en subissent tous les désagréments.
« Il y a plus d’une marée noire par jour », expliquait ainsi Nnico Bassey dans un reportage sur le delta du Niger pour la chaîne Arte, en 2011. « Un Exxon Valdez par an, depuis des décennies », martelait-il, évoquant la marée noire de 40 000 tonnes de pétrole brut qui a touché les côtes de l’Alaska en 1989.
Selon les associations écologistes, des milliers de fuite ont souillé depuis des décennies le delta. Le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) estime qu’il faudrait 25 à 30 ans pour « contrer et nettoyer la pollution. (…) Le contrôle et la maintenance de l’infrastructure pétrolière en pays Ogoni ont été et demeurent inadéquats », dénonce l’organisation dans un rapport daté de 2011, pourtant financé par Shell à hauteur de 9,5 millions de dollars, conformément au principe du pollueur/payeur.
Une défense bien huilée
La défense de la multinationale est d’ores et déjà connue et le procès de La Haye ne devrait pas apporter beaucoup de nouveauté à cet égard. « Les écologistes ne prennent jamais en compte les problèmes de sécurité », estime d’abord le directeur général de Shell Nigeria, dans le reportage d’Arte, ajoutant que, « en 2009, 98% des fuites de pétrole de Shell dans le delta étaient dues à des sabotages ». Un chiffre invérifiable, d’autant que le site Internet de la compagnie avançait plutôt en 2011 une estimation autour de 70%.
Stvyn Obodoekwe : "Une guerre écologique"
Stvyn Obodoekwe est directeur des opérations du Centre nigérian pour l’environnement, les droits de l’homme et le développement.
Jeune Afrique : Qu’attendez-vous du procès qui débute le 11 octobre à La Haye ?
Stvyn Obodoekwe : La justice pour des personnes dont l’environnement a été dévasté par Shell à travers une guerre écologique contre les populations du delta du Niger. Considérant les faits et l’étendue des dégâts, l’intégrité de la cour de La Haye serait remise en cause si elle ne déclarait pas Shell coupable.
Pensez-vous qu’il changera la situation sur place ?
Si le bon jugement est prononcé, cela encouragera d’autres personnes à utiliser le même procédé. Pour l’instant, au Nigeria, il est difficile d’obtenir une condamnation de Shell. Le gouvernement nigérian ne fait rien. Il a le pouvoir de tenir les compagnies responsables mais, malheureusement, il est évident qu’il sont toujours de connivence pour oppresser le peuple et détruire l’environnement.
Est-ce une première étape vers une responsabilité écologique des multinationales ?
Une première étape ? Les communautés ne se sont pas réveillées un matin pour courir à La Haye. De nombreuses étapes ont déjà été franchies pour pousser Shell à réparer les dégâts et à payer les compensations. Aller au tribunal de La Haye peut plutôt être considéré comme le dernier ressort pour aboutir à la justice. Mieux vaut tard que jamais.
Propos recueillis par Mathieu Olivier
Et Shell de jouer ensuite sur l’ampleur de la catastrophes. Exemple : une fuite, à Bodo en 2008, aurait ainsi duré, pour certains experts, près de dix semaines, à raison de 4 000 barils par jour. Mais, de son côté, la multinationale évoque un total de 1 640 barils. Cette affaire, jugée à Londres et dans laquelle Shell a reconnu sa responsabilité, devrait aboutir à un accord financier, mais les tractations sont toujours en cours.
Objectif : délocaliser les procès
Derrière cette guerre des chiffres, les attentes sont de taille. L’enjeu du procès aux Pays-Bas ne porte pas uniquement sur l’éventuelle culpabilité de Shell, mais aussi sur les dommages et intérêts qui pourraient accompagner une condamnation. Au Nigeria, en 2010, la filiale de Shell avait dû verser un total de 1,7 million de dollars. Une somme jugée dérisoire au regard de ce que peuvent espérer des plaignants devant des tribunaux étrangers.
L’ordre de grandeur est alors tout autre et peut atteindre, au bas mot, des centaines de millions de dollars. Dans un rapport de 2011, l’organisation Amnesty International demandait même à Shell de verser un milliard de dollars à un Fonds de restauration de l’environnement qui serait mis en place par le PNUE dans le delta.
"Il est déjà trop tard"
« Le procès de La Haye va changer le comportement de Shell quand ils réaliseront que la compagnie peut être poursuivie devant un tribunal néerlandais », explique Evert Hasing, de l’association Milieu Defensie, qui soutient les quatre pêcheurs nigérians. Mais cela risque d’être long. Si la loi européenne autorise, grâce au mécanisme de Responsabilité sociale des entreprises (RSE), la mise en accusation d’une entreprise devant une juridiction de son pays d’origine (la Grande-Bretagne et les Pays-Bas pour Shell), la procédure est lente et les multinationales multiplient les recours.
Quatre années ont déjà passé depuis que les plaignants ont saisi le tribunal de La Haye, avant l’ouverture du procès. Contestations de la compétence de la Cour, refus de rendre disponibles les documents internes de la compagnie… Shell a tout fait pour gagner du temps face à des plaignants en situation précaire, mais « patients », souligne Styvn Obodoekwe. Le jugement est attendu, au mieux, au début de 2013. Il sera alors temps pour le géant pétrolier, s’il était condamné, de faire appel.
Par Mathieu Olivier (@MathieuOlivier)
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