Najat Anwar : « Maintenant, les autorités traitent de la même manière un pédophile marocain ou étranger »

Le 28 septembre, le procès par contumace d’un dirigeant français d’une chaîne hôtelière de luxe dans une affaire de pédophilie a débuté à Marrakech. Longtemps accusées de laxisme, les autorités marocaines ont durci le ton face aux prédateurs sexuels étrangers. Certains continuent malgré tout à passer au travers des mailles du filet. Le point avec Najat Anwar, présidente de l’association « Touche pas à mon enfant ».

Najat Anwar, présidente de l’association marocaine « Touche pas à mon enfant ». © AFP/AIDA

Najat Anwar, présidente de l’association marocaine « Touche pas à mon enfant ». © AFP/AIDA

BENJAMIN-ROGER-2024

Publié le 1 octobre 2012 Lecture : 5 minutes.

Une énième affaire de pédophilie agite Marrakech. Vendredi 28 septembre, le tribunal correctionnel de la Ville ocre s’est penché sur le cas de Patrick Finet. Ce Français de 53 ans, dirigeant de la chaîne hôtelière Mandarin Oriental au Maroc, est poursuivi pénalement pour « débauchage » et « prostitution de mineurs ». Ayant fui le royaume au début de 2011, Patrick Finet n’était pas présent à son procès. Ses deux chauffeurs marocains, poursuivis pour complicité, ont été entendus ainsi que quatre témoins. L’audience a finalement été repoussée au 19 octobre pour faire intervenir d’autres témoins.

Ce nouveau scandale de pédophilie a éclaté après un différend commercial entre Patrick Finet et Jaouad Kadiri, propriétaire du terrain de la palmeraie de Bab Atlas, résidence où de riches Européens possèdent de somptueuses villas. En février 2011, le groupe Mandarin Oriental rompt brutalement un contrat de construction d’hôtel avec le riche entrepreneur marocain. Patrick Finet quitte le royaume dans la foulée et commet l’erreur d’y oublier son ordinateur.

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Visiblement inquiet, il demande à l’informaticien de l’hôtel de détruire les données. L’employé refuse. C’est alors que le masque du Français tombe : plus de 15 500 photos pédophiles et 32 vidéos pédopornographiques sont découvertes sur son disque dur. Les documents sont saisis par les huissiers, et, à la suite d’une plainte de Jaouad Kadiri, un juge d’instruction ouvre une enquête judiciaire contre le dirigeant hôtelier.

"Nus" dans la piscine

D’après plusieurs témoins entendus par la gendarmerie royale, Patrick Finet chargeait ses deux chauffeurs marocains – également poursuivis en justice – de ramener des enfants âgés et des jeunes adultes de 14 à 20 ans dans sa villa. Selon le quotidien Le Monde, il les recevait ensuite dans « la petite maison au fond du jardin ». En plus de baignades « nus » dans la piscine, « [Patrick Finet] faisait ensuite rentrer chez lui tous ces enfants dans la chambre à coucher qu’il fermait », a rapporté le jardinier de la villa aux services de police. Officiellement, c’était pour faire du « sport » et des « massages »…

Najat Anwar est présidente de l’association « Touche pas à mon enfant », engagée dans la lutte contre la pédophilie et le tourisme sexuel au Maroc. Présente au tribunal, le 28 septembre, pour suivre le procès de Patrick Finet, elle réclame un mandat d’arrêt international à l’encontre de l’accusé pour qu’il puisse être extradé et jugé par la justice marocaine. Interrogée par Jeune Afrique, elle affirme que les autorités marocaines sont désormais plus sévères avec les étrangers, tout en regrettant certaines failles et des personnalités non-condamnées.

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Jeune Afrique : Y a-t-il autant de Marocains que d’étrangers incriminés dans ce genre d’affaires pédophiles ?

Le Maroc est une terre d’accueil mais il ne faut pas qu’il se métamorphose en nid de prédateurs pédophiles.

Najat Anwar : Dans ce genre de crimes, il n’y a pas uniquement les étrangers qui sont concernés. Il y aussi des Marocains. On parle beaucoup de touristes parce que Marrakech est une ville très touristique. Pendant longtemps, ils ont bénéficié de ce qu’on appelle l’immunité touristique. Ils jouissaient d’une vraie tolérance pour ne pas nuire au tourisme. Ça a changé. Les sanctions sont de plus en plus lourdes. Maintenant, les autorités traitent de la même manière un pédophile marocain ou étranger. Un Espagnol a récemment  été condamné à 30 ans de prison à Kénitra [au Nord de Rabat, NDLR]. Ils ont enfin compris que cette tolérance envers les touristes nuisait à notre pays. Le Maroc est une terre d’accueil mais il ne faut pas qu’il se métamorphose en nid de prédateurs pédophiles.

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Avez-vous une idée du nombre d’enfants concernés à Marrakech ?

Non, c’est très difficile à savoir. La plupart sont des enfants pauvres et indigents qui viennent de quartiers que je préfère ne pas citer. Ils ont généralement entre 11 et 18 ans. Parfois les parents les poussent dans la rue, parfois ils sont attirés par des rabatteurs. Le plus grave dans tout ça, c’est ce problème de mentalité « actif-passif ». Pour beaucoup de parents, leur enfant est « actif », pas « passif », c’est-à-dire que c’est lui qui abuserait l’étranger et pas l’inverse.

Comment s’organisent les réseaux de pédophilie dans la « Ville ocre » ?

Il y a des réseaux, c’est évident. Quand on retrouve plus de 15 000 photos pédopornographiques dans un ordinateur, ce n’est pas pour un usage personnel. Ce n’est pas la première fois que la police confisque un ordinateur avec autant de documents. Il y a des rabatteurs marocains et des ramifications à l’international. Malheureusement on n’a pas beaucoup plus de détails. Aucun réseau n’a encore été démantelé.

Confirmez-vous une explosion du tourisme sexuel à Marrakech après le tsunami de 2004 en Thaïlande ?

Après le tsunami de 2004 en Thaïlande, on a constaté qu’il y avait une vague de touristes sexuels qui choisissaient le Maroc et Marrakech comme destination.

Oui, après le tsunami, on a constaté qu’il y avait une vague de touristes sexuels qui choisissaient le Maroc et Marrakech comme destination. Pourquoi ? Parce qu’ils étaient au courant qu’ici, pendant un moment, tu payais juste une amende et c’était bon. Depuis, les autorités ont serré la vis. Surtout la police. Côté justice, c’est plus compliqué. Il y a parfois des failles. Prenons le cas de Patrick Finet. À partir du moment où il y avait une plainte contre lui, pourquoi lui a-t-on rendu son passeport ? Pourquoi a-t-il pu quitter le Maroc ? On a facilité sa sortie du territoire. Ce n’est pas normal. Il y a encore beaucoup à faire pour lutter contre ce phénomène.

Parlons-en. Où en votre plainte contre X à la suite des propos de Luc Ferry sur un ancien ministre français impliqué dans une affaire de pédophilie à Marrakech ?

La procédure est toujours en cours. Nous avons déposé une plainte contre X au Maroc et une autre à Paris. Pourtant, nous n’avons pas de nouvelles. Pourquoi cela prend-t-il autant de temps ? On ne sait pas. On assimile ça à une volonté de clôturer ce dossier.

Vous n’en savez pas plus ?

On n’a pas d’éléments, aucune preuve. Je ne veux donc pas dire n’importe quoi et citer des noms comme ça, à la volée. C’est à Monsieur Ferry de dire ce qu’il sait sur le sujet. Nous, on lui demande d’être courageux, comme la dernière fois, et d’aller plus loin pour que la vérité éclate sur cette affaire.

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Benjamin Roger (@benja_roger)
 

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