L’exploitation des animaux, nouvelle manne pour les rébellions africaines
L’argent est le nerf de la guerre. Et, pour les groupes armés qui parcourent l’Afrique centrale et la Corne de l’Afrique, l’adage est d’autant plus vrai. Si le contrôle des mines reste une traditionnelle manne financière, une autre est en train de s’imposer, liée à l’exploitation de la faune locale. Pour l’Armée de résistance du seigneur (LRA), les Shebab somaliens ou encore le M23 congolais, les éléphants et les gorilles sont autant de puits de dollars.
La situation n’avait jamais été aussi critique, explique les spécialistes de la protection de la faune d’Afrique centrale. En 2011, plus de 38 tonnes d’ivoire ont été saisis dans le monde. Un triste record alors que les mesures de luttes n’ont jamais été aussi nombreuses.
La demande asiatique n’y est pas étrangère. Le Vietnam et le Laos, où près de 2 500 défenses ont été saisies en 2011, se sont ainsi fait une spécialité du commerce de l’or blanc, qu’il redirige vraisemblablement vers la Thaïlande ou l’Empire du milieu à destination de consommateurs chinois ou de touristes étrangers peu scrupuleux. Entre 55 et 70% de l’ivoire illégal seraient ainsi destinés au marché chinois où la classe moyenne, qui ne cesse de s’agrandir, s’arrache à prix d’or la marchandise. Le prix de la livre atteint désormais les 1 000 dollars dans les rues de Pékin.
Des armées impliquées
Les parcs nationaux d’Afrique centrale pâtissent d’un budget limité, bien qu’en augmentation. Les garde-forestiers se trouvent donc régulièrement impuissants devant l’incursion de véritables commandos surarmés. Et, s’ils font parfois appel à l’armée afin de les aider dans leur mission de sécurisation, la manœuvre peut s’avérer dangereuse.
Au printemps 2012, 22 éléphants morts ont été découverts dans le parc de Garamba, en RDC. Tous ont été abattus d’une balle dans la tête depuis un hélicoptère. Des tirs précis pour un butin estimé d’un million de dollars. Les suspects ? L’armée régulière ougandaise. « C’est de l’argent facile », témoigne ainsi le major Jean-Pierrot Mulako, de l’armée congolaise, dans le New-York Times.
"Comme les diamants de sang"
Or, l’abondance de clients n’a pas échappé aux groupes armés qui sévissent en Afrique centrale et de l’Est. Ces derniers s’organisent pour profiter au mieux de l’aubaine financière, une simple défense d’éléphant pouvant valoir jusqu’à dix fois le revenu annuel moyen dans bien des pays du continent. « Comme les diamants de sang de Sierra Leone ou les minerais du Congo, l’ivoire semble être la dernière ressource des groupes armés en Afrique », écrit ainsi Jeffrey Gettleman, dans le New-York Times.
Des anciens membres de la LRA ont en effet rapporté de récents ordres de Joseph Kony demandant à ses troupes de tuer le plus d’éléphants possible et de lui envoyer les défenses. Il n’est cependant pas le seul. Les milices Janjawids du Soudan sont ainsi suspectées de parcourir plus de 900 kilomètres afin d’aller braconner sur les terres camerounaises, notamment dans le parc de Bouba Ndjida, en janvier 2012. Quant aux Shebab somaliens, ils tenteraient de s’implanter dans le trafic en facilitant l’acheminement de la marchandise vers le port de Kismayo, localité qu’ils contrôlent toujours*, située à la frontière avec le Kenya.
Le M23, organisateur de circuits touristiques
Ce qu’ils veulent avant tout, c’est l’argent.
Emmanuel de Merode, Directeur du parc des Virunga
Le Mouvement du 23 Mars exploite également parfaitement le terrain. Contrôlant une partie de la RDC comprenant le parc national des Virunga, le M23 se finance en partie en exploitant la faune locale. « Nous venons d’apprendre que le M23 fait maintenant du tourisme dans le parc, les touristes entrent par le Rwanda et par l’Ouganda », explique ainsi dans La Libre Belgique le pasteur Cosma Wilun, directeur de l’Institut congolais pour la préservation de la nature. L’attraction touristique : les quelque 800 gorilles argentés de la zone, les derniers au monde.
Laxisme coupable
L’avenir de la faune d’Afrique centrale se joue-t-elle en Chine ? C’est en effet vers l’Empire du milieu que seraient acheminés entre 55 et 70% de l’ivoire braconné en Afrique, selon les estimations des spécialistes. Pour ces derniers, la présence de travailleurs venus de Chine favoriserait même la circulation des marchandises à l’international. En 2011, du Kenya au Nigeria, plus de 150 ressortissants chinois ont été arrêtés pour trafic d’ivoire.
Mais si l’Empire du milieu a réaffirmé son opposition au trafic, par la voix du porte-parole du ministère des Affaires étrangères, le 5 septembre dernier, sa législation est toujours sous le feu des critiques. « L’afflux énorme et continu d’ivoire illégal vers la Chine laisse penser qu’elle est acheminée vers les marchés légaux », dénonce ainsi l’organisation WWF, dans un rapport publié le 23 juillet.
Le M23 casse même les prix, la visite ne coûtant que 300 dollars. Une somme bien inférieure à celles demandées pour des visites officielles dans des sites similaires. « Nous leur avons dit que c’était dangereux, irresponsable et potentiellement destructeur pour les gorilles. Mais ce qu’ils veulent avant tout, c’est l’argent », constate Emmanuel de Merode, le directeur belge du parc des Virunga, dans le Financial Times.
"C’est comme le trafic de drogue"
Et ce trafic juteux a de l’avenir. Il s’organise désormais à l’échelle internationale, profitant de la porosité de certaines frontières et du manque de contrôle, notamment dans le port de Mombasa, plaque tournante où peu de conteneurs sont passés au peigne-fin. Il est, en outre, peu combattu, voire aidé, par des armées régulières qui y trouvent une façon d’arrondir des fins de mois difficiles (voir encadré).
Pour Luis Arranz, le directeur du parc congolais de Garamba, l’heure est au pessimisme. « C’est comme la guerre contre le trafic de drogue », explique-t-il, « si les gens continuent d’acheter, il est impossible de le stopper ». À voir la croissance du marché sud-asiatique et le peu de contrôle dont il est l’objet (voir encadré), l’avenir de la faune d’Afrique centrale s’annonce bien sombre.
Par Mathieu Olivier (@MathieuOlivier)
*Quelques jours après la parution de cet article, les Shebab ont annoncé avoir quitté Kisbayo, sous la pression de l’armée kényane, mettant, au moins provisoirement, fin aux possibilités d’utilisation de ce port dans les trafics.
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