Caricatures de Mohammed dans « Charlie Hebdo » : liberté d’expression ou coup de pub irresponsable ?

Charlie Hebdo n’en est plus à son coup d’essai. Pour la seconde fois, l’hebdomadaire satirique français publie une série de caricatures du prophète Mohammed. Les réactions, parfois gênées, souvent indignées, ne se sont pas fait attendre. Alors, « Charlie Hebdo », cynique stratége de la vente ou défenseur courageux de la défense de la liberté d’expression ? Exprimez-vous dans les commentaires.

Charb, directeur de Charlie Hebdo, avec un exemplaire du journal, le 19 septembre 2012. © Fred Dufour/AFP

Charb, directeur de Charlie Hebdo, avec un exemplaire du journal, le 19 septembre 2012. © Fred Dufour/AFP

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Publié le 19 septembre 2012 Lecture : 3 minutes.

Ce n’est pas une surprise. L’annonce de la publication par Charlie Hebdo (couverture "Intouchables 2" disponible ici) de nouvelles caricatures du prophète Mahomet, a fait mouche. Et on peut supposer, après l’épisode de « Charia Hedbo » en 2011, que l’hebdomadaire satirique français n’en attendait pas moins. Alors que la publication sur Youtube d’un extrait du film américain anti-islam « Innocence of Muslims » a provoqué une vague de violence dans le monde arabe et la mort de l’ambassadeur américain à Benghazi, on peut s’interroger sur les raisons qui ont motivé un tel choix éditorial.

Charlie Hebdo, rempart contre « une poignée d’extrémistes qui s’agitent » ?

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Comme l’an dernier, à la suite de la publication de la première série de caricatures, le directeur de publication de Charlie Hebdo, Charb, s’est posé en défenseur de la liberté d’expression. « Si on commence à se poser la question de savoir si on a le droit de dessiner ou pas Mahomet, si c’est dangereux ou pas de le faire, la question d’après, ça va être "est-ce qu’on peut représenter des musulmans dans le journal ?", puis la question d’après, ça va être "est-ce qu’on peut représenter des êtres humains dans le journal ?" », a tenté d’expliquer à la presse le dessinateur.

Toujours sous protection judiciaire, depuis l’attentat qui a touché sa rédaction suite à la publication de « Charia Hebdo », il conclut : « Et à la fin, on ne représentera plus rien, et la poignée d’extrémistes qui s’agitent dans le monde et en France aura gagné. »

Charlie Hebdo, l’irresponsable ?

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Reste que, dans le contexte actuel, la publication fait, au mieux grincer des dents. Notamment au niveau du gouvernement français. Le ministre des affaires étrangères, Laurent Fabius, a déclaré sur France Info, « avoir envoyé des instructions pour que, dans tous les pays où cela peut poser des problèmes, on prenne des précautions de sécurité particulières ». Résultat, vendredi 21 septembre, jour de prière, les ambassades, consulats et écoles françaises resteront fermés, dans une vingtaine de pays*.

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Le ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, a quant à lui annoncé le renforcement de la sécurité autour des locaux de l’hebdomadaire tandis que le chef du gouvernement, Jean-Marc Ayrault, a désapprouvé « tout excès dans le contexte actuel » et appelé à « l’esprit de responsabilité de chacun ». Le premier Ministre souligne également l’existence en France du « principe de laïcité qui est, avec les valeurs de tolérance et de respect des convictions religieuses, au cœur de [son] pacte républicain ».

Ce journal sait que quand on tape sur l’islam, on vend du papier.

Pascal Boniface, Directeur de l’IRIS

De la culture libertaire à la culture pub ?

Reste la thèse la plus répandue, notamment sur Internet : le coup de publicité. Dans le contexte actuel, Charlie Hebdo flirte avec une pure provocation, qui peut s’avérer dangereuse. Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Recherches Internationales et Stratégiques (IRIS) écrit ainsi, sur un blog du Nouvel Observateur : « Il joue à la fois sur la peur des Français non musulmans et sur celle des musulmans, qui craignent la stigmatisation et la prise à partie. » Et d’ajouter : « Ce journal sait que quand on tape sur l’islam, on vend du papier. »

Lors de la première publication, en 2011, des caricatures du Prophète, l’hebdomadaire avait en effet épuisé 160 000 exemplaires en quelques jours, avant d’en réimprimer 480 000. La meilleure vente de leur histoire. Depuis, Charlie tourne autour de 60 à 70 000 exemplaires vendus chaque semaine. Loin d’un lustre symbolisé par la couverture de 1969, au sujet de la mort du Général de Gaulle.

Faute de dernier ilot libertaire résistants aux vagues intégristes, Charlie n’est-il donc plus qu’un journal satirique au passé glorieux et au présent difficile ? Le débat est ouvert. Pascal Boniface a, lui, déjà tranché : « Il est très différent de se moquer de la mort de De Gaulle dans une France gaulliste, où l’opposition était faible et la liberté de la presse pas aussi conséquente qu’aujourd’hui, et se moquer de nos jours  des musulmans, qui ne sont pas en position de pouvoir en France, n’ont pas d’appuis dans la presse, sont montrés du doigt et connaissent des difficultés d’intégration. Autrement dit, ce n’est pas la même chose de taper sur le fort ou sur le faible. Le premier cas de figure relève du courage, pas le second.»

*Afghanistan, Bahreïn, Bangladesh, Comores, Egypte, Inde, Indonésie, Irak, Iran, Kenya, Libye, Liban, Malaisie, Mali, Mauritanie, Niger, Nigeria, Pakistan, Soudan, Tchad, Tunisie, Yémen.

Par Mathieu Olivier (@MathieuOlivier)

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