Libye : Mouammar Kadhafi, prédateur sexuel
Elles ont été enlevées, harcelées, violées et battues par Mouammar Kadhafi. Nombreuses sont les femmes à avoir été les victimes directes et silencieuses du Guide libyen, qui a régné d’une main de fer sur le pays pendant 42 ans. Si le sujet est tabou, certaines d’entre elles ont accepté de témoigner. Annick Cojean, grand reporter au journal « Le monde », a consigné leurs récits dans un ouvrage édifiant, « Les proies »*.
Les qualificatifs manquent pour décrire la personnalité de Mouammar Kadhafi telle qu’elle est dépeinte par Soraya (pseudonyme). Cette jeune libyenne a accepté de raconter à la journaliste du Monde Annick Cojean le calvaire qu’elle a vécu pendnat plusieurs années sous le joug du dictateur. « Jaurais beau raconter, personne, jamais, ne saura d’où je viens ni ce que j’ai vécu. Personne ne pourra imaginer. Personne. » prévient-elle.
Âgée aujourd’hui de 23 ans, Soraya a été arrachée à sa famille alors qu’elle avait à peine 15 ans. Après avoir été repérée par le Guide lors d’une visite officielle dans son école à Syrte, elle a été intégrée de force au sein du harem de filles du Guide – les fameuses « amazones » – dans le lugubre et humide sous-sol du complexe présidentiel de Bab-el-Azizia, à Tripoli.
Je suis ton papa (..) je suis aussi ton frère, et puis ton amoureux. Je vais être tout ça pour toi. Parce que tu vas rester vivre avec moi pour toujours.
Terrorisée, celle qui n’était qu’une adolescente entourée d’une famille aimante, se retrouve projetée en quelques heures dans la chambre du dictateur, qui l’attend nu, assis sur son lit. Elle relate ses premières paroles : « "N’aie pas peur. Je suis ton papa, c’est comme ça que tu m’appelles non ? Mais je suis aussi ton frère, et puis ton amoureux. Je vais être tout ça pour toi. Parce que tu vas rester vivre avec moi pour toujours." ». Le calvaire peut commencer.
Tyran pervers
Le récit est éprouvant. Soraya décrit de l’intérieur un univers de terreur dans lequel, de jour comme de nuit, les femmes sont livrées en pâture au « maître », « qui salissait tous ceux qui avaient la malchance de l’approcher » raconte Soraya. Pour assouvir son appétit sexuel, « Papa Mouammar » – c’est ainsi qu’elles doivent l’appeler – contraint les (très) jeunes femmes à porter des petites tenues dont elles ignoraient jusqu’alors l’existence, supporter les injures, boire de l’alcool, fumer des cigarettes, regarder des pornos ou encore sniffer de la cocaïne avant de se faire violer, cogner et uriner dessus.
Et l’appétit de « Papa Mouammar » ne connaît pas de limites, même pendant le ramadan. « Le Guide explique aux filles que tant qu’il n’éjacule pas, cela ne comptait pas aux yeux d’Allah. « "Le ramadan à la mode Kadhafi" analyse l’une des filles de son harem. (…) Il disposait de réseaux impliquant des diplomates, des militaires, des gardes du corps, des militaires, des employés de l’administration et de son service du protocole, qui avaient pour mission essentielle de procurer à leur maître des jeunes femmes – ou jeunes hommes – pour sa consommation quotidienne », raconte un témoin proche du pouvoir de l’époque.
Soraya sort régulièrement blessée dans son intimité. Les énigmatiques infirmières ukrainiennes, quand elles ne sont pas occupées à faire des prises de sang pour s’assurer de la bonne santé des « nouvelles », sont là pour ramasser sa carcasse pleine d’ecchymoses et prodiguer les premiers soins, afin qu’« il » – c’est ainsi que les filles l’appellent entre elles – puisse recommencer, parfois seulement quelques heures après.
Je n’oublierai jamais, il profanait mon corps mais c’est mon âme qu’il a transpercée d’un coup de poignard.
Comme des centaines de jeunes femmes, et de jeunes hommes apprend-on, Soraya va ainsi être « exposée à toutes les perversions d’un tyran obsédé par le sexe » pendant 5 ans. « Je n’oublierai jamais, il profanait mon corps mais c’est mon âme qu’il a transpercée d’un coup de poignard. La lame n’est jamais ressortie ». raconte-t-elle.
Aux commandes de ce manège infernal aux rouages bien huilés, apparaît un sinistre personnage, Mabrouka Cherif. Cette mère maquerelle autoritaire et manipulatrice, entourée de ses sbires Salma et Faïza, était chargée de repérer et amener les jeunes femmes dans la gueule du loup. Une tâche qu’elle a accomplie avec une extrême rigueur pendant des années, sans manifester aucune compassion pour les jeunes victimes.
En 2009, Soraya parvient pourtant à tromper ses bourreaux et à s’enfuir en France avec l’aide de son père, mais elle laissera « passer sa chance ». Accueillie par un ami de son père, qui va tenter d’abuser d’elle, elle sera ensuite balottée dans la capitale française au gré des mauvaises rencontres. Sans emploi et sans papiers, ne voyant pas d’avenir en France, elle se résigne à regagner Tripoli au bout de quinze mois. Quelques jours suffiront à Mabrouka pour retrouver sa trace. Elle subira à nouveau les supplices du Guide, jusqu’à ce qu’elle se fasse jeter du harem quelques mois avant la révolution qui scellera définitivement le sort de Kadhafi dans les conditions que l’on connaît.
Tabou
À la suite de ce récit, Annick Cojean mène l’enquête et rencontre d’autres victimes du Guide, dont Leila qui se présente comme une « rescapée ». En leur donnant la parole, Annick Cojean entend faire sauter l’un des derniers tabous du régime Kadhafi qui hante toujours la société libyenne : l’esclavagisme sexuel. Honteuses, honnies, les victimes sont encore confinées au silence. Soraya confie même que la vie de l’un de ses frères serait plus facile si elle était décédée.
Le tabou reste difficile à briser, tant Kadhafi a utilisé le sexe comme un outil de contrôle et d’oppression de toutes les classes de la société. Les témoignages recueillis par Annick Cojean tendent à montrer que Kadhafi pouvait aussi bien s’en prendre à de jeunes femmes, recrutées sur les bancs de l’école, à la faculté de Tripoli (où une garçonnière et une sinistre salle gynécologique ont été découvertes après la libération de la ville), qu’ aux filles et épouses de dignitaires du régime. Sa soif de domination l’aurait même, selon des témoins, amené à abuser des épouses de chefs d’État africains, risquant de nombreux accident diplomatiques. Ce dernier point est plus douteux. Seules des allusions sont faites et aucun nom n’est donné. On se souvient néanmoins des accusations de la journaliste de France 2, Memouna Hintermann qui, en 1984, croyant être conviée pour une interview, a en réalité failli être violée par le Guide.
De nouvelles zones d’ombre pourrait s’éclaircir dans les semaines à venir avec la parution de l’ouvrage en Libye. Faut-il encore que la nouvelle société libyenne soit prête à entendre ces nombreuses victimes qui, après la révolte, ont souvent été traitées soit comme des « putains » soit comme des complices du régime.
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* Les proies, Annick Cojean, Grasset, 19 euros.
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