Mariama Sylla Faye : « L’État doit enseigner l’amour de la culture aux Sénégalais »

Réalisatrice et productrice depuis 15 ans, Mariama Sylla Faye a formé le Collectif des cinéastes sénégalais indignés pour s’élever contre l’abandon du cinéma par les autorités sénégalaises. Le collectif interpelle les nouvelles autorités, dans l’espoir que leur volonté de rupture avec les années Wade s’applique aussi au 7e art.

Le El Mansour, un cinéma dakarois à rénover. © AFP

Le El Mansour, un cinéma dakarois à rénover. © AFP

Publié le 7 septembre 2012 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Comment faites vous matériellement pour réaliser et produire des films au Sénégal ?

Mariama Sylla Faye* : Nous comptons surtout sur les aides étrangères, européennes essentiellement, qui ont tendance à se raréfier. C’est une honte. Nous sommes financés par la coopération. On vit au jour le jour. Notre combat ne revient pas à faire de bons films, mais à terminer les films.

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Malgré ces difficultés, le cinéma intéresse-t-il encore les jeunes ?

Oui, les jeunes ont envie de faire des films. Regardez Alain Gomis, 40 ans, qui a réalisé son troisième long métrage, « Aujourd’hui » et a été à la Berlinale. Heureusement, l’arrivée du numérique facilite un peu les choses.

Dans les années 1970, il y avait des salles et un public. Où sont-ils passés ?

En 1976, le cinéma a généré 81 milliards de francs CFA de bénéfices (123 millions d’euros). À l’époque il y avait 80 salles qui fonctionnaient et tous les films sénégalais étaient projetés. Un exploitant de salle m’a dit qu’un film sénégalais lui avait rapporté 1,5 millions de francs CFA en un week-end ! À l’époque, la société nationale de la cinématographie appartenait à l’État. Mais en 1990, un plan de restructuration a été imposé par le FMI, et l’État a réduit ses dépenses au minimum. La société a été liquidée et les salles ont été vendues à des commerçants qui les ont transformées en souk.

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Pourquoi personne n’a essayé de rouvrir des salles depuis ?

Le dernier cinéma a fermé à Dakar il y a 6 ou 7 ans. Depuis, plus rien. En 2009, la mairie avait promis de rénover ce cinéma désaffecté, El Mansour, le seul à n’avoir pas été détruit. Mais rien n’est fait. Léopold Sédar Senghor nous avait bercé de culture, Abdou Diouf a crée la rupture et Abdoulaye Wade a piétiné tout ça. Aujourd’hui, ce qui intéresse les gens c’est la lutte, les muscles, l’argent facile… D’où la nécessité pour l’État d’enseigner l’amour de la culture aux Sénégalais, de les encourager à se rendre dans les vernissages, à lire des livres !

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Qu’est ce que le gouvernement sénégalais peut entreprendre comme action ?

Nous réclamons l’audit des 3 milliards de francs CFA qui ont été alloués au cinéma pendant les mandats de l’ancien chef de l’État. Et nous voulons que l’enveloppe qui va être votée pour 2013 aille aux cinéastes, à la réorganisation du secteur et aux jeunes. Nous souhaitons que le ministère de tutelle organise la formation pour qu’il y ait des diplômes homologués et sérieux. Enfin, nous exigeons de savoir exactement où vont les fonds d’aide alloués chaque année par la direction de la cinématographie, qui a un budget important.

Est ce qu’une industrie comme Bollywood (Inde) pourrait être un modèle à suivre ?

Je ne suis pas contre Bollywood parce que ces industries commencent à créer de la qualité. Et puis au moins, ce type d’industrie assure des réseaux de production et la distribution. Certes, ce sont les films d’auteurs qui font la différence et ouvrent la porte des grands rendez-vous cinématographiques du monde à la culture africaine. Mais s’il y peut y avoir au Sénégal une floraison de films comme en Inde ou au Nigéria et que les gens vont les voir dans des petites salles ou les achètent et se rendent dans des petites salles, cela finira ensuite par faire germer des productions de qualité.

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Propos recueillis à Dakar par Maud Jullien

* Mariama Sylla Faye a 37 ans. Elle a réalisé le documentaire "Derrière le silence", présenté en compétition officielle au Fespaco et au festival du film de Milan en 2005,  et "Tirailleur Marc Gueye, ma plume mon combat", paru en 2010 et également présenté en compétition officielle au Fespaco. Elle est également à la tête de la société de production "Guiss Guiss communication". Elle a étudié le cinéma à Louis Lumière et Eurodoc.  

 

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