Algérie : 20 ans après, le mystère entoure toujours l’assassinat de Boudiaf
Le 29 juin 1992, Mohamed Boudiaf, président du Haut Conseil d’État, est assassiné à Annaba. Vingt ans plus tard, l’enquête est au point mort et la vérité est loin d’être établie.
La scène a été visionnée en direct à la télévision par des milliers d’Algériens. Le 29 juin 1992, à 11 heures 35, Mohamed Boudiaf est à la tribune du Palais de la culture d’Annaba. Le président du Haut Comité d’État prend la parole. Après avoir abordé les problèmes économiques, il passe aux questions religieuses. Dans la salle, l’assemblée est silencieuse, attentive. Soudain, un claquement se fait entendre sur la droite de l’estrade. Le président suspend sa phrase et tourne la tête. Derrière lui, un homme en uniforme bleu, celui des services de sécurité, s’approche doucement. Une poignée de secondes plus tard, il brandit son pistolet mitrailleur et vide son chargeur sur Mohamed Boudiaf. Celui que beaucoup considéraient comme le sauveur de la nation n’y survivra pas.
L’assassin, Lembarek Boumaarafi, est un sous-lieutenant du groupe d’intervention spécial (GIS). Le claquement pendant le discours du président, c’est lui. Caché derrière les rideaux, il dégoupille une grenade et la jette à côté de la tribune pour faire diversion. Personne ne fera attention à lui lorsqu’il se faufilera vers sa future victime.
« Boudiaf est le meilleur président que l’on ait eu, mais il fallait que je le tue. Depuis qu’il est là, il n’a rien fait pour le pays. J’ai agi seul. Je suis islamiste mais je ne n’ai rien à voir avec le Front islamique de salut » (FIS), a expliqué quelques heures après l’assassinat le sous-officier de 26 ans. Depuis son passage à l’acte, Lembarek Boumaarafi n’a cessé de répéter qu’il avait pris seul la décision d’abattre Boudiaf, sans donner des explications très claires sur ses motivations.
La version officielle contestée
Vingt ans après, la lumière n’a toujours pas été faite sur le meurtre d’Annaba. En décembre 1992, la commission d’enquête accuse la « féodalité politico-financière », tout en reconnaissant ne pas avoir pu « aller au-delà de l’auteur matériel du crime, Boumaarafi ». D’après elle, le meurtrier aurait agi en solitaire, bénéficiant de la « négligence coupable » des services de sécurité, dont vingt-trois membres ont été arrêtés après le drame. Tous ont été remis en liberté quelques mois plus tard, sans être poursuivis.
Cette version officielle est contestée par la famille de l’ancien président, notamment par son fils, Nacer Boudiaf, qui ne cesse de réclamer la vérité sur l’assassinat de son père. Selon lui, l’affaire relève d’avantage du règlement de compte entre responsables du régime que du passage à l’acte d’un meurtrier fou. De son côté, Fatiha Boudiaf, la veuve du chef de l’État, est même allé jusqu’à douter publiquement de l’identité du tueur.
Un président martyr
Impossible de savoir ce qu’est devenu l’assassin le plus célèbre d’Algérie.
Le sort de Lembarek Boumaarafi, justement, n’est pas beaucoup plus clair. Quelques minutes après le meurtre, il est arrêté dans un appartement proche du palais de la Culture d’Annaba. Détenu en prison jusqu’à son procès, il est condamné à mort par le tribunal de Sidi M’hamed en juin 1996. Sauf que la peine capitale a été de facto abolie trois ans plus tôt par un moratoire.
Depuis, impossible de savoir ce qu’est devenu l’assassin le plus célèbre d’Algérie. Certains affirment qu’il est toujours en prison. D’autres sont persuadés qu’il a été exécuté. D’autres encore l’imaginent expatrié, voire exfiltré, à l’étranger. Cette disparition gênante risque d’entraver un peu plus la manifestation de la vérité sur le meurtre de « Si Tayeb El Watani », un président martyr devenu l’icône de toute une génération d’Algériens.
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