Tunisie : lendemains de révolution sous haute tension
Dans son numéro 2684, en kiosques du 17 au 23 juin, « Jeune Afrique » mène l’enquête sur l’avenir incertain de la Tunisie. Entre frictions politiques, pesanteurs économiques et violences religieuses.
La Tunisie ne va pas bien. À la chape de plomb et aux satisfecit staliniens de l’ère Ben Ali a succédé une sorte de Mai 68 prenant au pied de la lettre le vieux slogan « Demandez l’impossible ! » Pas un groupe constitué ou informel qui n’exprime sa colère et ses revendications, pas une région qui ne clame ses urgences et ses frustrations… Ce n’est donc pas une allégresse et un dynamisme foisonnants qui ont succédé à la réelle mais inéquitable réussite économique d’avant le 14 janvier 2011. Les fruits de la révolution sont amers, et le mécontentement, général. Certes, la Tunisie ne connaît pas le chaos comme la Libye, une menace militaire comme l’Égypte ou une violence sauvage d’État comme la Syrie.
Mais la troïka au pouvoir est incertaine. Constituée du président Moncef Marzouki (Congrès pour la République, CPR, centre gauche), du chef du gouvernement Hamadi Jebali (Ennahdha, islamiste) et du président de l’Assemblée constituante Mustapha Ben Jaafar (Ettakatol, social-démocrate), elle est jugée lente et incohérente. Trois partis au pouvoir, eux-mêmes traversés de courants hétéroclites, cela donne beaucoup de zigzags. Quant à la Constituante, elle n’a guère dépassé la rédaction de l’article 1 sur la place de la religion.
Haine contre la culture
L’incertitude prend un autre visage, celui de l’insécurité. Il y a les sit-in des chômeurs qui asphyxient l’activité minière de Gafsa, dans le centre du pays, et les blocages des entreprises par les employés exigeant des revalorisations salariales dans un contexte de ralentissement économique et de forte progression du chômage. Il y a aussi et surtout l’agitation des salafistes.
La culture serait-elle la grande martyre de la Révolution ? Depuis les manifestations, en octobre dernier, qui ont suivi la diffusion du film Persepolis sur la chaîne Nessma, un vent de haine contre la culture souffle sur le pays. Pour preuve, les derniers événements qui ont conduit le gouvernement à décréter un couvre-feu nocturne dans le Grand Tunis ainsi que dans quatre régions du pays : Sousse, Monastir, Jendouba, Médenine. Après un appel du leader d’Al-Qaïda, Ayman al-Zawahiri, à se soulever pour imposer la charia en Tunisie, une déferlante salafiste s’est abattue sur le pays. Affrontements avec les forces de l’ordre, tribunal incendié, postes de police pris d’assaut… et encore une fois, artistes pris à partie. En cause, « Le Printemps des arts », à La Marsa, dans la banlieue chic de la capitale, jugé « offensant » pour l’islam. En Tunisie, la liberté de création et le respect du sacré s’affrontent. On parle maintenant de « crime intellectuel et de police sociale », affirme la journaliste Selma Jelassi.
Signes de renaissance
Mais la Tunisie montre aussi des signes de renaissance. Bon nombre d’acteurs politiques conscients des risques d’une fuite en avant en appellent à la « réconciliation » et au « consensus ». Après une récession en 2011, l’économie tunisienne est de nouveau en croissance en 2012, les arrivées de touristes progressent, les grèves sont en recul… Et pour la réduction du chômage ? « Les Tunisiens sont débrouillards et travailleurs : qu’on les laisse créer leur propre emploi », explique Ikbel Bedoui, directeur général de Fitch Ratings Afrique du Nord.
Alors, faut-il croire à la Tunisie ? Oui, répond Lamia Zribi, directrice générale des prévisions au ministère du Développement et de la Planification. « Pour la première fois, nous avons identifié les besoins régionaux, et notre ministre veut établir une clé de répartition des crédits favorable aux zones les plus défavorisées », explique-t-elle. Avant d’ajouter : « Mais nous apprenons la démocratie, et ce n’est pas facile ! » Pas facile en effet, mais pas impossible.
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