Traité sur le commerce des armes : sommes-nous à l’aube d’une ère nouvelle ?
Il pourrait s’agir de la plus grande avancée dans le droit international depuis la création de la Cour Pénale Internationale en 2002. En juillet, les États membres des Nations unies vont se réunir à New York pour tenter d’adopter un traité réglementant le commerce des armes. Mais les points de discorde restent nombreux.
Un tournant historique. C’est du moins ce qu’espèrent les militants des droits de l’homme. Mais les États membres de l’ONU, qui vont se réunir en juillet à New York afin de tenter d’adopter un traité réglementant le commerce des armes, pourraient les décevoir, tant les désaccords restent non négligeables, six ans après le début du processus officiel de négociation.
Droits de l’homme : valeur universelle ou concept politique ?
C’est sans doute la question principale du futur texte : quelle place donner aux droits de l’homme ? Dans la mesure où le traité devrait avoir pour but d’empêcher les exportations d’armes vers des puissances qui les utiliseraient pour des violations des droits de l’homme, le sujet est en effet primordial. Or, il divise au plus haut point.
Le représentant chinois à New York a ainsi déclaré, le 1er mars 2011, qu’il fallait noter « la difficulté à juger objectivement de tels critères en raison de la sensibilité politique de chacun. » Cuba, le Pakistan, la Syrie, ou encore l’Égypte et l’Algérie se sont rangés aux vues de l’Empire du Milieu. Des États qui se retrouvent sur un souhait : éviter une politisation trop importante des conditions mises aux transactions, ainsi que toutes conditions relatives aux droits de l’homme ou au développement humain, notions qu’ils considèrent comme subjectives.
Un traité dicté par le sacro-saint Conseil de sécurité ?
Les cinq États membres permanents du Conseil de sécurité de l’ONU jouent les premiers rôles dans les négociations préalables au traité régulant le commerce des armes. Ces puissances représentent en effet à elles-seules 70% des exportations mondiales sur la période 2006-2010.
Si les positions de la France et du Royaume-Uni, attachés aux droits de l’homme, et de la Russie notamment, plus réticente sur les critères humanitaires, sont divergentes, les cinq États se rejoignent sur un point essentiel : la légitimité du commerce d’armes et la nécessité pour le traité de ne pas entraver les échanges. Le texte « n’est pas un traité de désarmement », affirmaient-ils, dans une déclaration commune, le 12 juillet 2011, « il ne devrait pas affecter le commerce légitime des armes ni le droit légitime d’un État à se défendre ». Reste à définir de façon précise la légitimité évoquée. M.O.
Réglementer les armes, pas les munitions ?
Les négociations échoppent également sur le dossier des munitions des armes légères. Une nouvelle fois, la Syrie, l’Égypte et les États-Unis, influencés notamment par la puissante National Rifle Association, lobby américain des armes, s’opposent à une réglementation du commerce des munitions.
Selon Colby Goodman, consultant pour Oxfam America, la réticence américaine n’est pas dénuée d’arrière-pensées politiques nationales. Washington espère en effet éviter que le futur traité vienne éventuellement s’appliquer aux munitions destinées à un usage personnel de sa population. D’autant que les États-Unis sont les premiers producteurs mondiaux dans un marché qui représente, à l’échelle mondiale, plus de 4 milliards de dollars annuels.
Or, selon Brian Wood, responsable des recherches sur le contrôle des armes au sein d’Amnesty International, « il faut en particulier que les États-Unis, en leur qualité de plus gros exportateur d’armes au monde, traduisent leurs discours sur les droits humains en actes concrets, ce qu’ils n’ont toujours pas fait ». « La répression violente menée par les forces de sécurité égyptiennes contre les manifestants est malheureusement l’un des nombreux exemples expliquant pourquoi le monde a besoin d’un traité sur le commerce des armes à l’épreuve des balles. », ajoute-t-il.
Entre le 11 décembre 2011 et le 5 février 2012, le bureau des acquisitions de l’Agence de l’armement du ministère égyptien de la Défense a ainsi fait acheminer un total de 349 tonnes d’équipements militaires, pour une valeur d’au moins 35 millions de dollars (soit environ 26 millions d’euros), livré par sept navires de l’armateur American President Lines Maritime Ltd.
Le problème du courtage
Il y a fort à parier que les négociations seront houleuses en juillet concernant le statut des « courtiers » dans le Traité. Car, s’il faut un acheteur et un vendeur, le commerce des armes place l’intermédiaire dans une position primordiale.
Or, bien souvent, et malgré des initiatives de régulations unilatérales, notamment de l’Organisation de Coopération et de Développement économique en 2000, la corruption, donc les pots-de-vin ou les rétro commissions, reste encore de mise.
Et les appels des ONG à plus de transparence dans ces activités de courtage pourraient rester sans réponse. Pour ne citer que la France, il suffit de se pencher sur les grandes affaires politico-judiciaires qui ont défrayé la chronique ces dernières années. Les frégates de Taïwan, Clearstream, l’Angolagate, les soupçons concernant la fourniture de matériel au régime de Mouammar Kadhafi… Toutes ces affaires, jamais réellement éclaircies, portent le sceau d’une intermédiation douteuse dans une transaction de matériel de guerre.
Depuis plus de dix ans, un projet de loi sur les intermédiaires est « en préparation » en France. Ni Jacques Chirac, ni Nicolas Sarkozy n’ont semblé en faire une priorité, laissant à leur successeur, François Hollande, la charge du dossier. Dans un courrier daté du 16 avril, et adressé aux ONG Amnesty International, CCFD-Terres solidaires et Oxfam, Jean-Yves Le Drian, aujourd’hui ministre de la Défense, avait assuré de la volonté du candidat socialiste d’adopter une loi sur le courtage. Il était alors en pleine campagne présidentielle.
Un traité effectif ou symbolique ?
Ces trois points sensibles, parmi d’autres, auront une importance primordiale : ils vont déterminer la portée du traité, qui devra être voté par consensus, c’est-à-dire à l’unanimité des États-membres. Le poids de la Chine, des États-Unis ou de la Russie n’en sera que plus incontournable. Tout comme celui de l’Inde, de la Corée du Sud ou encore du Pakistan, aujourd’hui parmi les plus gros importateurs d’armes mais surtout futurs exportateurs du fait des transferts de technologies.
S’ils ne peuvent s’opposer totalement au texte, il est en revanche tout à fait en leur pouvoir de lui imposer un champ de compétences restreint. Nombre d’États réticents souhaiteraient ainsi utiliser un prudent conditionnel : « Les États ne devraient pas… ». Tournure qui donnerait au traité une portée symbolique sans qu’il puisse être juridiquement contraignant.
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