Madagascar : jeu d’échecs contre le paludisme

Dans la lutte contre le paludisme, Madagascar est à la croisée des chemins. Combinés à des causes conjoncturelles, les progès réalisés récemment dans le traitement et la prévention de la maladie ont paradoxalement favorisé sa recrudescence ces derniers mois. Le pays a donc plus que jamais besoin des aides internationales mises en place jusqu’à présent pour venir à bout de l’épidémie. Mais les bailleurs, confrontés à la crise, sont réticents. Reportage.

Le paludisme est en recrudescence dans les régions de l’est et du sud-est de Madagascar. © Georges Mérillon/Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose

Le paludisme est en recrudescence dans les régions de l’est et du sud-est de Madagascar. © Georges Mérillon/Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose

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Publié le 7 juin 2012 Lecture : 5 minutes.

Dans la lutte contre le paludisme, Madagascar est un cas à part. « Nous devons faire face à des profils de malaria très différents selon les régions. Sur les hautes terres, la maladie est peu présente : avec l’altitude, l’air sec et la faible température, les moustiques s’y font rares, mais des épidémies peuvent survenir. Sur la côte est de l’île en revanche, la malaria touche un grand nombre de personnes tout au long de l’année, avec des pics pendant la saison des pluies, de janvier à mars. Quant à la côte Ouest, elle est dans une situation intermédiaire », explique Philémon Bernard Tafanguy, secrétaire général du ministère malgache de la Santé.

« Sur le plan biologique et sanitaire, Madagascar n’est pas une île, c’est un continent, avec une biodiversité inégalée, ce qui complique la lutte », complète le professeur Christophe Rogier, directeur de l’institut pasteur d’Antananarivo, où travaillent 250 chercheurs.

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« L’anophèle, la famille de moustiques qui véhicule le parasite, est présente sous cinq formes sur la Grande-île… Chacune d’entre elles a un mode de vie particulier et est plus ou moins sensible aux insecticides », indique-t-il. Autre difficulté, en 2010, les scientifiques ont même établi que la forme du virus du paludisme majoritaire en Asie, le « vivax », affectait désormais certains patients malgaches qui y étaient auparavant insensibles.

Pourtant, en dépit de ces configurations multiples et mouvantes, Madagascar faisait jusqu’à présent figure d’exemple en matière de politique de santé antipaludéenne. Dans sa lutte, le pays a été épaulé par le Fonds mondial contre le Sida, le paludisme et la tuberculose, qui appuie dans le pays un portefeuille de programmes sanitaires et sociaux de 165 millions de dollars contre la malaria à Madagascar, que ce soit dans les politiques de préventions ou de traitement.

Un agent communautaire fait de la prévention contre le paludisme dans la région de Tamatave.

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© Georges Mérillon/Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose

«  Nous avons distribué 2,9 millions de moustiquaires dans les foyers malgaches (pour 21 millions d’habitants, NDLR), mobilisé les agents communautaires dans les villages auprès des femmes et enfants les plus vulnérables, fait des campagnes d’aspersion d’insecticides dans les foyers… », énumère Raymond Marcel Rajison, directeur du programme national de lutte contre la malaria. Résultat de ces projets de prévention, le taux d’incidence du paludisme sur l’ensemble de la population est passé de 90 pour mille 0 en 2 000 à moins de 10 pour mille en 2010.

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Progrès notables

La Grande île a aussi fait des progrès notables en matière de diagnostic et de traitement. «  Désormais, les tests de diagnostic rapide (TDR) sont mis à disposition gratuitement dans les centres de santé de base et les hôpitaux. Cela permet non seulement de déceler le paludisme, mais aussi de ne pas traiter abusivement des patients diagnostiqués tardivement », indique Joëlline Solotiana, de la direction régionale de la santé de Tamatave, sur la côte est.

« Madagascar fait partie des 9 pays [dont 8 africains] appuyés dans le cadre de la facilité pour l’Accès aux médicaments à des prix abordables (AMFm). À Madagascar, des médicaments ACT, à base d’artémisinine, les plus efficaces à ce jour, sont mis à disposition du ministère de la Santé et des grossistes privés, qui en financent seulement 10% du prix et les distribuent dans les pharmacies et hôpitaux », explique Fabienne Jouberton, représentante de cette initiative du Fonds mondial. Là encore, les résultats sont probants : le taux de mortalité des enfants de moins de cinq ans a été divisé par 5 entre 2003 et 2011. Et parmi les patients venues consulter, le taux de morbidité est passé de 5% à 3% entre 2008 et 2011.

Pourtant, en mars et avril dernier, on a observé dans les régions de l’est et du sud-est de Madagascar des pics de malaria alarmants en mars et avril dernier. « Dans l’Est, le Sud-Est et le Sud-Ouest, on a constaté une nette recrudescence de la maladie en mars et avril dernier », indique Raymond Marcel Rajiron. Certaines zones du Sud-Est  ont ainsi vu le nombre de cas multiplié par huit ou dix.

Causes multiples

Derrière ces épidémies, les médecins et gestionnaires de la santé pointent du doigt plusieurs causes : « D’abord, les moustiquaires distribuées en 2009, sont pour la plupart arrivées au bout de leur durée de vie réelle. Même si elles sont censées être efficaces pendant trois ans, à l’usage, au bout de deux ans elles ne protègent guère plus », estime Joëlline Solotiana.

Autre explication, les déplacements de populations venues des hauts plateaux – une zone faiblement infectée – vers les côtes – où le paludisme est endémique. « À Tamatave, poursuit Joëlline Solotiana, des grands projets miniers se sont implantés dans la région. Avec le taux de chômage actuel élevé, de nombreux jeunes d’Antananarivo sont descendus ici dans l’espoir d’y trouver un travail. Or, comme leur système immunitaire n’est pas habitué au paludisme, ils y succombent plus facilement, et sous des formes plus graves ». Une hypothèse que confirme la visite du Centre hospitalier universitaire de Tamatave, où la plupart des patients paludéens sont originaires des hauts plateaux. Le cyclone Geneviève, qui a frappé l’île en février dernier, a aussi entraîné une élévation du niveau de l’humidité favorable à la prolifération des anophèles.

Réception de médicaments antipaludéens à la pharmacie d’un centre de santé de la région de Tamatave.

© Georges Mérillon/Fonds mondial de lutte contre le sida, le paludisme et la tuberculose

Pour le secrétaire général du ministère de la Santé, Madagascar paie aussi aujourd’hui la rançon de ses réussites contre la maladie. « C’est inévitable, explique Philémon Bernard Tafanguy. Quand on augmente la prévention, la population, moins confrontée à la maladie devient nécessairement plus sensible aux épidémies », estime-t-il, rappelant la nécessité de procéder au plus vite à la distribution de moustiquaires, prévue en septembre 2012.

Financements

« La lutte contre le paludisme s’apparente à un jeu d’échec : il n’y a pas beaucoup de pions : le moustique, le virus et l’homme, qui est non seulement un malade, mais aussi un réservoir de la maladie. Avec ces trois agents du paludisme, les combinaisons sont multiples », rappelle Christophe Rogier, de l’Institut Pasteur. « C’est vrai, il faut surveiller les épidémies, mais on ne peut pas regretter la sensibilité des populations mieux protégées. Dans le passé, ceux qui y étaient plus exposés étaient plus résistants, mais c’était au prix de nombreux morts », conclut-il, tout en appelant à ne pas baisser la garde et à poursuivre la recherche sur ces sujets.

Pour cela, le pays aura besoin d’aide. Le pays traverse une crise politique depuis 2009, qui a eu notamment pour conséquence de diminuer sensiblement les ressources allouées au système de santé. En décembre, les responsables de l’AMFm doivent décider s’il poursuivent ou pas l’approvisionnement en médicaments ACT (à base d’artémisinine) des pays qu’ils accompagnent. Le Fonds mondial se prononcera quant à lui à la mi-2012 sur son soutien au système de santé malgache dans la lutte contre le paludisme, alors que les pays donateurs européens, confrontés à la crise, s’interrogent sur les financements qu’ils vont accorder à l’institution fondée en 2002.

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Par Christophe Le Bec, envoyé spécial à Madagascar

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