Terrorisme au Mali : « Aujourd’hui Iyad Ag Ghali est intournable dans la résolution de la crise »

Journaliste béninois installé au Mali depuis seize ans, Serge Daniel a publié chez Fayard « Aqmi l’industrie de l’enlèvement ». Le résultat de quatre années d’enquête sur Al-Qaïda au Maghreb islamique, le groupe salafiste qui a fait de l’enlèvement d’occidentaux un business très lucratif. Un livre dans lequel il décortique le mouvement, son idéologie, ses finances. Un ouvrage dans lequel il fait aussi le point sur la lutte contre la nébuleuse terroriste. Un livre terrifiant, mais édifiant sur Aqmi, en première ligne dans l’occupation du Nord-Mali.

Journaliste béninois, Serge Daniel est installé au Mali depuis une quinzaine d’années. © Vincent Fournier pour J.A.

Journaliste béninois, Serge Daniel est installé au Mali depuis une quinzaine d’années. © Vincent Fournier pour J.A.

Publié le 15 mai 2012 Lecture : 5 minutes.

Depuis quand vous êtes-vous dit qu’il fallait écrire* sur Aqmi ?

En fait, il s’agit du résultat d’une observation de dix ans. En 2002 ou 2003, j’ai assisté aux premières libérations d’otages enlevés dans le Sahel, notamment d’un couple d’Autrichiens, enlevés en Tunisie mais dont les négociations pour la libération ont eu lieu au Mali. A l’époque, les opérations étaient signées du Groupement salafiste pour la prédication et le combat (GSPC), qui deviendra par la suite Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). 

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C’est le paiement de rançons qui a complètement changé la donne dans le Sahel…

Oui, absolument. Au début des années 2000, une trentaine d’Européens avaient été enlevés en Algérie et une partie des otages détenus au Mali. L’armée algérienne avait libéré les otages détenus sur son territoire. Au Mali en revanche, les pays occidentaux avaient supplié les autorités de renoncer à une action militaire et de privilégier la négociation. Les Maliens ont un défaut : ils ne refusent rien à leurs amis. Ils ne savaient pas qu’ils mettaient le doigt dans un engrenage et que leur pays deviendrait un entrepôt d’otages occidentaux. Les rapts avaient lieu au Niger ou ailleurs, mais les otages étaient détenus au Nord-Mali, et l’on négociait au Mali.

En lisant votre livre, on se rend compte qu’Aqmi est une organisation très prospère…

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C’est pour ça que j’utilise le terme industrie. Les prises d’otages sont une vraie manne financière pour les salafistes. Il n’y a qu’à voir les montants des rançons :  les Espagnols ont versé entre 8 et 15 millions d’euros pour la libération de leurs ressortissants, l’Italie 3,5 millions, l’Autriche entre 1,5 et 3 millions. Aujourd’hui, Aqmi demande 100 millions d’euros à Areva pour ses employés… Aqmi doit être à la tête d’une fortune avoisinant les 200 millions d’euros et cela leur offre des possibilités presque illimitées.

Que font-ils de tout cet argent ? Comment ces fonds sont-ils gérés depuis le désert ?

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Cet argent sert à financer leurs activités : acheter des armes, ou du matériel pour les attentats, se nourrir, se vêtir… Quant à la gestion, ils ont des méthodes. Par exemple dans le Sahel, les gens vivent d’activités agro-pastorales. Aqmi achète donc du bétail, le confie à un éleveur et ils partagent ensuite les gains liés à l’élevage. Ou alors ils vont à la rencontre de commerçants et financent leurs activités en échange de divers services : achat de provisions, de recharges téléphoniques, etc.  Et puis il y a aussi des banquiers ouest-africains, dont je tairais le nom, qui sont surveillés comme du lait sur le feu en raison de soupçons de blanchiment d’argent qui pèsent sur eux.

L’argent ne sert-il pas aussi à acquérir du matériel de communication de pointe pour diffuser leur idéologie ?

Même en étant dans le désert, un chef d’Aqmi peut aujourd’hui tout faire par internet. Il suffit d’avoir un Thuraya [téléphone satellitaire, NDLR], un ordinateur portable et le tour est joué. Ils ont des prêtenoms, même en Europe, qui détiennent des comptes bancaires et des adresses postales. Aqmi peut commander n’importe quoi sur internet avec une carte bancaire et se faire livrer. C’est pour ça que je dis dans mon livre qu’internet est la bombe atomique du terrorisme. C’est un fabuleux outil de propagande qui jette les jeunes dans le radicalisme sans même avoir à fréquenter de katiba [cellules de combattants, NDLR]. De ce point de vue, l’attentat de Marrakech est très intéressant. Le jeune terroriste a tout planifié grâce à internet, c’est là qu’il appris comment fabriquer une bombe.

Vous êtes fréquemment appelé par les salafistes qui vous communiquent des informations. Comment se fait-il ?

Parce qu’ils se tiennent au courant de tout ce qui se passe. Ils écoutent RFI, la BBC, ils lisent Jeune Afrique sur internet, ça les intéresse de savoir comment on parle d’eux mais aussi ce qui se passe dans le monde. Par exemple, pour la naissance du Mujao [Mouvement pour l’unicité du jihad en Afrique de l’ouest, une dissidence d’Aqmi, NDLR], ils m’ont appelé une après-midi. « Monsieur Daniel, nous venons de créer un mouvement qui s’appelle le Mujao, rendez-vous à tel endroit de Bamako, à telle heure et vous allez y trouver cassettes et documents qui prouvent que c’est nous qui avons l’otage enlevé sur le territoire du Polisario ». Je pensais que c’était une blague. Ça n’était pas le cas.

Pouvez-vous dresser un portrait robot du terroriste salafiste ?

Non, justement. On se trompe énormément sur eux. Ils ne sont pas tous Algériens, ni tous barbus. Il y a six mois à Bamako, des adolescents bambaras ont été arrêtés, tous membres d’une cellule dormante d’Aqmi et  ils venaient d’unités combattantes. Il y a une histoire que je n’ai pas raconté dans le livre. Cela s’est passé lors de la naissance du Mujao. L’homme qui m’a appelé pour m’annoncer la création du mouvement s’exprimait comme un parisien ! Et lorsque j’ai envoyé mon son à RFI, ils pensaient que c’était un gag. Ce jeune homme est bi-national.

Aujourd’hui, dans le Nord, la situation est très confuse. Quelle est, selon vous, l’option de sortie ?

Au départ, nous étions peu nombreux à le dire : l’attaque de Menaka est la seule véritable action d’envergure opérée par les rebelles du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA). Toutes les autres dans le Nord-Est ont été perpétrées avec Ansar Eddine. Or, partout où vous avez Ansar Eddine, vous avez Aqmi. En février-mars 2012, lors des combats de Tessalit (nord-est), dans un camp il y avait l’armée malienne et des miliciens, et dans l’autre, le MNLA, Ansar Eddine et Aqmi. Aqmi est aujourd’hui le principal groupe armé dans le nord du Mali. Je ne pense pas qu’une opération militaire de la Cedeao [Communauté économique des Etats d’Afrique de l’ouest, NDLR] sur leur terrain, soit la solution, ne serait-ce que parce que ces groupes armés contrôlent les trois aéroports du septentrion malien. À mon avis, il faudra probablement négocier avec les islamistes et celui qui pèsera lourd, c’est Iyag Ag Ghali (patron d’Ansar Eddine, NDLR). C’est lui qui a fait libérer les militaires maliens prisonniers dans le Nord sans aucune contre partie, à l’appel du Haut conseil islamique du Mali. Cela veut dire qu’il n’est pas fermé à la discussion. Iyad Ag Ghali, aujourd’hui, est incontournable dans la résolution de la crise.

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Propos recueillis par Malika-Groga-Bada

– Aqmi, l’industrie de l’enlèvement, de Serge Daniel, Fayard, 304 pages, 19,30 euros.

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