L’élection de François Hollande, une nouvelle aventure

Albert Tévoédjrè est médiateur de la République du Bénin

Publié le 19 mai 2012 Lecture : 6 minutes.

Voici donc que la France administre au monde entier une leçon exceptionnelle ! Non point  parce qu’une démocratie enfante dans la douleur et au forceps une alternance difficile, mais parce qu’un monde nouveau devient vraiment possible. Nicolas Sarkozy a été un président de grande  capacité et  très apprécié de beaucoup. Il a affiché des réussites certaines.  Nul n’en disconvient. Mais les frustrations ont été nombreuses car il semble avoir manqué, dans son parcours hors du commun, la maîtrise d’une culture sociale puisée aux meilleures sources de l’histoire universelle et dans une solidarité vécue avec les « Damnés de la terre ».

La mésaventure du 1er mai est significative à cet égard, lorsque l’on sait que le  symbole de cette date  est le couronnement de luttes sociales séculaires. Sans aller trop loin, il suffit de rappeler La Bruyère  et sa tirade sur la situation des  paysans de son temps : « L’on voit des animaux farouches, des mâles et des femelles répandus par la campagne,  attachés à la terre, qu’ils remuent avec une opiniâtreté invincible. Ils ont comme une voix articulée et quand ils se lèvent sur leurs pieds ils montrent une face humaine… ils épargnent aux autres hommes la peine de semer, de labourer et de recueillir pour vivre ».

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Il suffit de rappeler les esclaves de tous genres et de toutes époques, les ouvriers, les cheminots et les mineurs, les femmes écrasées de partout. Il a fallu des luttes épiques pour en finir à peu près avec ces désastres et ces tragédies. Il a fallu arracher  à des groupes de nantis qui n’ont pas fini de mépriser et de nuire ces victoires que symbolise désormais le 1er mai. Ne pas comprendre cela et se mettre en face de cette longue et douloureuse histoire, pour la dénigrer, voilà qui explique et aggrave la rancœur qu’il a fallu payer et qui me fait redire, après Aimé Césaire : « jamais je n’avais eu conscience d’un tel retard historique affligeant un grand peuple ! » .

De même  le discours de Dakar n’a jamais été pardonné par les Africains quels qu’ils soient ; ni par ceux qui ont cherché à vivre avec eux leur douloureuse tragédie. Quelle histoire peut-on définir, évoquer et respecter, si l’on se permet délibérément d’ignorer « ceux sans qui le monde ne serait pas le monde » ? Ces immigrés d’hier et d’aujourd’hui, ceux du Maghreb et de l’Afrique sub saharienne, ceux que l’on stigmatise en les désignant nommément et publiquement, ces Africains, refusent une arrogance sans mémoire et sans intelligence et rappellent qu’ils descendent des spahis marocains, des harkis algériens et des tirailleurs sénégalais, eux les vraiment « petits » et les vraiment « sans grade » tombant sous les balles pour que vive la France éternelle. La mort ne distinguait pas entre eux, musulmans, juifs ou chrétiens, blancs,  noirs ou jaunes.  Eux comme leurs descendants estiment légitimement avoir droit à la France,  au moins  autant  que les Croates et Hongrois d’aujourd’hui, confortablement protégés par la blancheur communautaire. Voilà l’origine profonde de la défaite du 6 mai, une défaite qui a réjoui une grande partie de l’humanité, frappée par un injuste mépris. Désormais, nous rejetons le racisme et la xénophobie comme boussole de gestion de l’humanité.

Nous voulons livrer le combat avec François Hollande contre la mauvaise finance, la culture déficiente et approximative qui dégrade et humilie.

Militant de la Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF), j’osais expliquer à mes amis métropolitains  que nous n’avions qu’un seul différend, celui du regard jeté sur nous dans les manuels scolaires, le regard du mépris,  qu’on ne pouvait réparer en nous comblant de cadeaux, de bijoux et autres sucettes. Le mépris était toujours là puisque nous étions vus comme des cas spéciaux ;  puisque nous apprenions dans nos livres de philosophie de l’époque (Armand Cuvillier)  que la psychologie enseignée par Jules Ribot avait pour objet unique « l’homme blanc,  adulte,  civilisé et sain d’esprit ». Au revoir les femmes ! Au revoir les nègres ! Notre vérité catégorique est que l’Afrique avait simplement faim de dignité, de justice et qu’elle était ouverte à la solidarité. La dernière campagne présidentielle française a remis à l’ordre du jour cette exigence à laquelle tous les peuples sont aujourd’hui soumis. Les peuples ne sont pas des « cochons à l’engrais ». Ils veulent d’abord la dignité. Les peuples refusent  la minorisation de leurs droits  par des privilégiés. Ils veulent la justice. Les peuples recherchent toujours l’horizon de la richesse par la diversité. Ils sont ouverts à la solidarité.
Voilà ce qu’a compris François Hollande et c’est cela que le peuple de France a voulu consacrer en se retrouvant une nouvelle fois en siècle de lumière. Cela dit, nous ne sommes pas naïfs. Aimé Césaire, encore lui,  nous a avertis dans sa mémorable lettre à Maurice Thorez  qui met en garde contre « l’habitude de disposer pour nous dans tous les partis et dans tous les domaines de l’extrême droite à l’extrême gauche ».

En effet nous avons connu l’abominable tandem Guy Mollet – Robert Lacoste et la guerre d’Algérie. Nous avons connu l’épisode malheureux  de Jean-Christophe Mitterrand, le triste destin de Christian Nucci et le cinglant désaveu infligé à Jean Pierre Cot. Nous ne nous faisons donc pas d’illusion. Mais nous refusons de désespérer. Nous voulons livrer le combat avec François Hollande contre la mauvaise finance, la culture déficiente et approximative qui dégrade et humilie. Nous voulons poursuivre le combat pour l’homme réhabilité dans son travail, dans son courage et dans sa dignité.

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Sortant de nos chimères  et de nos imprécations,  ce que nous voulons aujourd’hui, c’est la solidarité pour secouer notre volonté et notre créativité. Nous reconnaissons que notre Afrique est malade ; que le Mali, par notre faute, est peut-être durablement fragmenté. Nous reconnaissons que  si nos grèves incessantes deviennent notre seul mode de revendication, nous sacrifions l’unique source de notre développement. Nous reconnaissons que cette velléité partout présente de trafiquer les constitutions, non point pour améliorer notre approche à la démocratie, mais pour nous éterniser au pouvoir, est aussi la source de nos malheurs. Nous reconnaissons que ceux qui nous viennent en aide, Américains, Chinois, Japonais, Français, Allemands .. , privilégient chez eux l’invention, le travail, la conquête de l’espace et des marchés. La coopération nouvelle, celle qui enrichira la France et ressuscitera l’Afrique, doit être pensée à partir de ces douloureux constats et de ces idéaux de dignité et de justice, de démarches d’autocritique et de révolution culturelle exigées de part et d’autre. Les Africains ici ont le premier rôle, celui d’une gouvernance « des pauvres au pouvoir », non point pour profiter, mais pour créer et répartir plus justement des richesses communément conquises.

Pour nous, nous comprenons que l’austérité ne soit point une fatalité. Mais nous pouvons la choisir  pour nous assurer la conquête du Minimum Social Commun. La nouvelle coopération doit se fonder sur le nouveau penser et le nouvel agir pour le développement d’un peuple instruit de son histoire, impliqué dans sa géographie, fort de ses ressources naturelles et humaines,   inquiet de ses faiblesses, assuré de ses atouts que sont sa vigoureuse espérance et sa culture de dialogue et de créativité. C’est d’une autre aventure qu’il s’agit. La France nouvelle peut nous y accompagner par des écoles communes, des inventions communes et la recherche commune de débouchés. Le Brésil, la Chine, l’Inde, les Etats Unis d’Amérique,  la Russie, la France et l’Europe sont pour nous des partenaires du progrès humain, pourvu que nous sachions marier les apports de chacun pour répondre aux besoins essentiels de nos peuples. La voie ouverte en ce 06 mai 2012 ne doit pas être une parenthèse. Prenons ensemble la Bastille de l’indignité vaincue.                        
 

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