Adel Ramadan : « La justice est utilisée pour faire pression sur les manifestants égyptiens »

En 2011, plus de 12 000 civils ont été jugés par des tribunaux militaires, selon l’ONG Human Rights Watch. Un chiffre qui interroge sur la nature de l’appareil judiciaire égyptien. Est-il devenu une arme de répression aux mains du Conseil suprême des forces armées, qui dirige la transition démocratique du pays depuis février 2011 ? Éléments de réponse avec Adel Ramadan, avocat défenseur des Droits de l’homme et conseiller juridique de l’Initiative égyptienne pour les droits de l’homme.  

Des policiers égyptiens devant les bureaux du Procureur militaire. © AFP

Des policiers égyptiens devant les bureaux du Procureur militaire. © AFP

Publié le 9 mai 2012 Lecture : 3 minutes.

Asmaa Mahfouz, figure de proue de la révolution égyptienne, a été condamnée, le mardi 8 mai, à un an de prison et à une amende de 2000 livres égyptiennes (255 euros). Elle a été reconnue coupable d’agression contre un témoin dans le procès des violences meurtrières de Maspero qui ont opposé manifestants chrétiens et soldats de l’armée en octobre 2011. La jeune activiste, fondatrice du mouvement d’opposition du 6 avril, a fermement démenti ces accusations et fait appel. Pour beaucoup d’observateurs de la société civile, cette décision de justice démontre une fois de plus la dérive autoritaire d’un appareil judiciaire égyptien sous contrôle du Conseil suprême des forces armées (CSFA).

Jeune Afrique : peut-on dire que la justice égyptienne est aujourd’hui utilisée par le CSFA pour opprimer les révolutionnaires ?

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Adel Ramadan : Oui. Et cette justice est toujours celle de Moubarak en réalité. Elle est utilisée aujourd’hui pour faire pression sur les manifestants et affaiblir l’assise populaire de la révolution.

La situation est injuste. D’un côté, nous avons des militaires qui ne peuvent comparaître devant un tribunal civil. De l’autre, des manifestants qui sont sévèrement condamnés lorsqu’ils passent devant les tribunaux militaires. En ce moment, rien que dans le gouvernorat du Caire, sur les 1 000 personnes en attente d’être jugées, 300 le seront devant les tribunaux militaires. Sans compter les centaines de manifestants jugés avec sursis, et qui à tout moment peuvent se retrouver en prison s’ils sont de nouveau arrêtés.

Comment expliquez-vous ce phénomène ?

Plus le temps passe, et plus le régime en place – qui n’est de fait rien d’autre que l’ancien régime – retrouve ses forces. À chaque fois, les jugements se font plus sévères et concernent un nombre plus important de manifestants. Les autorités profitent d’une accalmie, où la tension sociale est apaisée et la mobilisation affaiblie, pour attaquer les révolutionnaires et les juger.

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Par exemple, avant la révolution, lors des manifestations qui ont suivi l’attentat de l’Église d’Alexandrie, 8 militants ont été arrêtés. Ils ont été relâchés mais condamnés à 2 ans de prison après la révolution. Les accusations portées contre eux sont surréalistes. 8 personnes ne peuvent pas avoir commis tous les dégâts qui leurs sont imputés (ils sont accusés d’avoir attaqué des dizaines de soldats, brûlé 11 véhicules blindés et 20 minibus, NDLR). Et ces accusations, lancées à l’époque où Habib al-Adly était ministre de l’Intérieur, peuvent avoir été inventées de toute pièce.

Si on juge ces 8 manifestants, il faut aussi juger les millions d’Égyptiens qui sont descendus dans les rues le 28 janvier 2011, qui ont jeté des pierres sur le ministère de l’Intérieur et qui se sont soulevés contre l’autoritarisme et l’oppression. Tout cela nous montre que cette révolution n’est pas terminée.

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La loi de 1966 concernant le jugement des civils par les tribunaux militaires a pourtant été amendée le 6 mai par le Parlement. Et l’article 6, qui permet au président de référer des civils devant les tribunaux militaires, a été supprimé…

Ces amendements sont superficiels et ne servent que les intérêts de certains. Ils n’ont rien changé, puisqu’au moment où ils étaient adoptés, des centaines de manifestants étaient arrêtés. On a limité cet article 6 car du temps de l’ancien président Hosni Moubarak il servait à condamner les militants islamistes (en 2007, le numéro un de la confrérie des Frères musulmans, Khairat el-Shater, un temps candidat à la présidentielle, a été condamné à 7 ans de prison par un tribunal militaire, ndlr).

Tout s’est passé comme si un accord avait été passé entre les militaires et les Frères musulmans. Ils étaient d’accord sur ce qu’il fallait modifier. En ce sens, la confrérie utilise les mêmes méthodes que Moubarak, elle instrumentalise la loi pour des intérêts personnels.

Mais le Parlement a-t-il réellement les prérogatives pour faire passer une loi "révolutionnaire" ?

Si le Parlement en place était véritablement celui de la révolution, il aurait voté une loi qui empêche le jugement des civils par les tribunaux militaires. C’est un principe reconnu dans de nombreux pays, parce qu’une telle disposition est injuste. Aucun État au monde ne peut mettre entre parenthèse le droit de cette manière.

Concrètement, qu’est-il possible de faire pour remédier à cette situation ?

Les gens doivent rester mobilisés, et garder en tête que la révolution continue.

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Propos recueillis par Tony Gamal Gabriel

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