Guadeloupe : roman noir, société bigarrée
Frankito publie « L’Homme pas Dieu ». Dans la plus pure tradition du polar social, le journaliste et écrivain français nous invite à plonger – en apnée – dans les remous du creuset antillais.
« Moi qui n’aimais déjà pas les journalistes… Ces salauds font plus que jamais partie, avec les policiers, les enseignants, les garagistes et les artistes, de ceux que j’exècre le mieux. » Que les personnes concernées n’en prennent pas ombrage, c’est justement un journaliste qui écrit ces mots. De fait, quand il ne travaille pas à un roman (Pointe-à-Pitre-Paris, 2000), une pièce de théâtre (Bòdlanmou pa lwen, 2005) ou un documentaire (L’Appel du tambour, 2009), l’auteur de L’Homme pas Dieu – dont est tirée cette citation – est rédacteur en chef du quotidien panafricain en ligne Afrik.com, à Paris.
En bon journaliste, donc, Franck Salin alias Frankito sait que pour brosser un tableau le plus juste et le plus complet possible d’une situation, il faut multiplier les points de vue – même ceux qui ne sont pas les siens –, donner la parole à tout le monde. Une recette qu’il applique avec succès dans son nouveau roman, un polar enlevé dont l’action se déroule dans sa Guadeloupe d’origine. On y suit les mésaventures d’Albert Gouti, professeur de sciences physiques le jour, tombeur de « bougresses en chaleur » la nuit, réveillé un beau matin par des « babylones » en uniforme. Il se voit bientôt accusé d’un triple assassinat sur les personnes de son ex, de son garagiste et, plus tard, d’une beauté conquise entre-temps sur internet.
Au fil de la cavale de son héros, Frankito nous fait voyager dans tous les milieux du creuset guadeloupéen. Il y a les policiers et les collègues blancs et arrogants d’Albert Gouti, fraîchement débarqués – voire bannis – de métropole. Il y a son frère tombé dans les abîmes de la drogue. Il y a son jardinier haïtien qu’il suspecte d’être un ancien tonton macoute auteur des pires atrocités dans l’île voisine. Il y a ceux qui ont « réussi », ont étudié en Europe et sont aujourd’hui incapables d’aligner trois phrases en créole. Il y a les « négropolitains » en villégiature, les commerçants libanais, les entrepreneurs indiens, les propriétaires békés…
Polar social
Bien sûr, tout ce petit monde se mêle, parfois – les « couples domino » –, et se toise, souvent. Et Frankito se fait un plaisir de passer à la moulinette les clichés qui, décidément, ont la peau dure. Florilège : « À propos de l’épouse idéale, elle [la mère du narrateur, NDLR] m’avait fait un nombre impressionnant de recommandations : pas de femmes trop foncées, elles sont complexées ; pas de femmes trop claires, elles sont méprisantes ; pas de femmes blanches, elles sont mal élevées ; les Indiennes non plus, elles sont chimériques et, c’est connu, bien trop “philosophes” ; pas de Martiniquaises, elles sont “comparaison” ; pas de Guyanaises, elles ont le mal du pays. »
Autant de digressions qui, si elles ralentissent le rythme de l’action, ont le mérite de n’oublier aucune facette de la société guadeloupéenne et d’évoquer toutes les problématiques qui la traversent : le racisme ordinaire, le chômage rampant, la dépendance vis-à-vis de la métropole… Dans la plus pure tradition du polar social, la dimension documentaire a ici toute sa place, servie par une écriture inventive et osée dans laquelle s’invitent quelques bribes de créole. Ou quand le roman noir s’enrichit de toutes les couleurs des Antilles.
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– L’Homme pas Dieu, de Frankito, éd. Écriture, 240 p., 18,50 euros
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