Présidentielle française : duel à couteaux tirés entre Hollande et Sarkozy
Le débat télévisé de mercredi soir entre François Hollande et Nicolas Sarkozy a été très technique et… électrique. Le premier a systématiquement ramené le second à son bilan. Et le président sortant a traité plusieurs fois son rival de « menteur ». Compte rendu.
Sans concession. C’est à un âpre débat de 2 heures et 51 minutes que les Français ont assisté mercredi soir entre les deux finalistes de la présidentielle du 6 mai, François Hollande du Parti Socialiste et Nicolas Sarkozy de l’Union pour un mouvement populaire (UMP). Des échanges virulents au terme desquels les supporteurs de l’un et de l’autre verront sans doute leur champion vainqueur, même si l’on n’attendait peut-être pas le socialiste, que d’aucun qualifie souvent de bonhomme, voir de « mou », à un niveau d’agressivité implacable face à un adversaire qui, il est vrai, le lui a bien rendu.
« Match nul », donc, selon le politologue Emmanuel Rivière (TNS-Sofres), et sans doute pour la presse – du moins celle qui entendra conserver des apparences de neutralité objective. « Il y a eu des moments rudes, âpres », a réagi Hollande à l’issue du duel. Accusé de menteur à plusieurs reprises par son challenger (il a devancé Sarkozy au premier tour), il considère que cette attitude est un signe de « faiblesse » du candidat sortant. Qui a lui jugé que le candidat PS avait été « agressif ». C’est aux Français de « décider » si ce débat a été « intéressant », a-t-il ajouté.
Nicolas Sarkozy a tenté à plusieurs reprises de se poser en président responsable qui « assume ses responsabilités », tout en cherchant à fuir la polémique sur son bilan très négatif en matière sociale et économique. Mais François Hollande, invariablement, s’est chargé de lui rappeler qu’il était aux responsabilités depuis cinq ans à la tête de l’État, et depuis dix ans si l’on considérait ses autres fonctions ministérielles (Intérieur et Économie, Finances et Industrie).
"Rassembleur" et "diviseur"
Hollande n’a pas manqué non plus de se poser en rassembleur, accusant le sortant de « diviser » et d’avoir été un président « partial et partisan », ayant nommé des proches à de nombreux postes stratégiques. Des propos qui ont paru faire perdre pendant quelques secondes son sang froid à son rival qui l’a alors traité de « petit calomniateur »… Ambiance.
Défendant son bilan, le président sortant s’est félicité qu’il n’y ait pas eu « d’émeutes et de violences » pendant sa mandature – oubliant fort opportunément les émeutes de Villiers-Le-Bel en novembre 2007 -, et ce malgré ses réformes et les « quatre années de crise », a-t-il rappelé. Nicolas Sarkozy a également ironisé sur la volonté de Hollande d’incarner un président « normal » – « votre normalité n’est pas à la hauteur des enjeux de la France » -, et l’a parfois attaqué sur son inexpérience, sur la question européenne notamment.
Sur les sujets sociaux, une petite phrase du sortant a fait mouche : « Vous voulez moins de riches, moi je veux moins de pauvres », a répété Sarkozy à propos de la question fiscale, accusant son rival de « folie dépensière ». Mais il n’a jamais véritablement réussi à déstabiliser son adversaire, qui ne manquait pas de bons mots et de réparties. « Moi, je protège les enfants de la République, vous, vous protégez les plus privilégiés », a notamment lancé le socialiste au sujet de l’éducation.
"Toujours content"
« Ce qui est formidable avec vous, c’est que vous êtes toujours content », a poursuivi Hollande sur le bilan de son adversaire, qui l’a aussitôt accusé d’être « un menteur ». « Alors vous êtes sans doute très mécontent », a ironisé Hollande, qui s’est évertué tout au long du débat à conserver une hauteur toute présidentielle.
« Moi président »… Reprenant cette formule une dizaine de fois dans une anaphore, François Hollande a esquissé longuement le style de présidence qu’il souhaitait incarner, indiquant qu’il ne voulait « pas être chef de tout et finalement responsable de rien » – autre allusion mordante au bilan du sortant.
Au chapitre des rares nouveautés, François Hollande a assuré que, s’il était élu, il ne tolérerait ni les horaires différenciés hommes-femmes dans les piscines municipales, ni la viande halal dans les cantines des écoles municipales. Alors qu’il ne voulait pas mettre la question de l’immigration au cœur de sa campagne, il a confirmé qu’il était prêt à aller jusqu’au référendum sur le droit de vote des étrangers non communautaires aux municipales, s’il n’obtenait pas de majorité au Parlement.
Sur l’Europe, M. Hollande a rappelé son projet de renégocier le nouveau traité européen, pour plus de croissance, et a reproché à son rival de n’avoir rien obtenu de l’Allemagne dans la gestion de la crise. « Je ne peux mettre cela que sur l’incompétence, pas sur la mauvaise foi », s’est défendu Sarkozy, qui l’a accusé de découvrir « le fil à couper le beurre » en proposant la taxation des transactions financières, déjà votée par le Parlement – en fait le rétablissement d’une taxe supprimée par Sarkozy lui-même en 2007.
Le vote Le Pen
« M. Hollande connaît mal l’Europe », a encore affirmé le président sortant. En conclusion, Nicolas Sarkozy a reconnu franchement qu’il voulait parler « à ceux qui ont voté pour Marine Le Pen », tandis que François Hollande répétait son slogan : « Moi je veux changer ».
« C’était très tendu. Le thème du mensonge, on n’avait pas eu ça depuis 1988 entre François Mitterrand et Jacques Chirac », a analysé le politologue Frédéric Dabi (Ifop). « De façon un peu professorale, Nicolas Sarkozy a délégitimé les capacités de François Hollande à endosser la fonction », estime-t-il.
À gauche, la première secrétaire du PS, Martine Aubry a indiqué avoir trouvé François Hollande « exceptionnel » face à un Nicolas Sarkozy « sur la défensive ». « François (Hollande) a dominé ce débat avec force, et surtout avec authenticité et vérité », a renchéri Ségolène Royal, candidate en 2007.
À l’inverse, Nathalie Kosciusko-Morizet, porte-parole de Nicolas Sarkozy, a estimé que le président-candidat s’était montré « authentique et sincère » face à un candidat PS « fuyant sur le fond ». Pour la ministre Nadine Morano, François Hollande a fait preuve de l’« arrogance de celui qui n’a rien assumé ».
(Avec AFP)
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