Liberia : Charles Taylor, un bureaucrate au maquis (#2)

À l’occasion du verdict en appel du TSSL dans le procès de Charles Taylor, le 26 septembre, Jeune Afrique vous offre à redécouvrir ses articles les plus saisissants concernant l’ancien président libérien. Deuxième volet de la série, où l’on découvre l’un des premiers portraits de celui qui a pris la tête de la rébellion contre Samuel Doe. Un article signé Patrick Girard et publié dans la J.A. n°1535, du 4 juin 1990.

Charles Taylor en 1990, pendant la marche sur la capitale. © AFP

Charles Taylor en 1990, pendant la marche sur la capitale. © AFP

Publié le 26 septembre 2013 Lecture : 7 minutes.

Liberia : Charles Taylor, itinéraire d’un tueur
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Liberia : Charles Taylor, itinéraire d’un tueur

Plongée dans la vie et les œuvres de Charles Taylor à travers toute une série d’articles d’époque issus des archives de Jeune Afrique.

Sommaire

A 42 ans, Charles Taylor, est, peut-être, le futur homme fort de Monrovia. Il a derrière lui une carrière mouvementée.

Qui est Charles Taylor ? A quoi ressemble-t-il ? Quel est son programme ? Le chef du Front national patriotique du Liberia (NPFL) jouait les fantômes depuis le début de la guerre civile (24 décembre 1989). Aux portes de Monrovia, il tombe le masque. Acheminés par la Côte d’Ivoire voisine, des correspondants de la presse occidentale ont pu le rencontrer le 13 mai, dans les locaux de la mission Baptiste de Tapota, occupée par les rebelles depuis le 23 mars 1990.

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Se présente devant eux, pour une conférence de presse faussement improvisée, un homme de 42 ans, à la barbe soigneusement taillée court, ressemblant plus à un haut fonctionnaire qu’à un combattant, hormis le revolver nickelé à sa ceinture.

Contraint à l’exil et à la clandestinité depuis six ans, Charles Taylor n’aspire, semble-t-il, qu’à une chose : retrouver Monrovia et l’ambiance feutrée des officines ministérielles.

Rien de commun, en apparence, entre Charles Taylor et ses hommes, les « Scorpions noirs ». L’image est parlante : leurs coups, tels ceux de l’animal, sont mortels. Contraint à l’exil et à la clandestinité depuis six ans, Charles Taylor n’aspire, semble-t-il, qu’à une chose : retrouver Monrovia et l’ambiance feutrée des officines ministérielles. Peut-être presse-t-il ses troupes d’encercler et de prendre la ville où vit encore sa mère, âgée de 70 ans. La vieille dame a d’ailleurs fait une apparition remarquée sur les écrans de la télévision libérienne pour adjurer son garnement de fils de « cesser ses actions insensées. (…) Si le président Doe n’avait pas été aussi clément, il aurait pris des mesures contre nous », s’empressa-t-elle d’ajouter. Une petite phrase qui sonne comme une menace.

Charles Taylor, né en 1948 dans le quartier d’Artiton, une banlieue aisée de Monrovia, est issu d’une famille-symbole. S’y traduisent chacun des subtils clivages qui divisent, depuis 1847, date de l’indépendance du pays, la société libérienne. Son père est un Américain noir venu s’installer dans un pays dirigé, depuis sa création, par les membres de l’ethnie « Kongo », c’est-à-dire les anciens esclaves affranchis, envoyés dès 1821 par la Société philanthropique américaine créer une colonie en Afrique. Jusqu’en 1980, les Afro-Américains monopolisèrent le pouvoir, la population locale n’obtenant le droit de vote qu’en 1962. La mère de Charles Taylor est, elle, de souche autochtone.

Autant dire que Taylor, fruit d’une « union mixte » assez rare dans le Liberia de l’immédiat après-guerre, a dû, dans son enfance, se sentir déchiré entre deux appartenances. En lui, coule le sang des Afro-Américains, c’est-à-dire la garantie d’accéder, sous le régime du président William Richard Tolbert, à la gestion des affaires publiques.

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Le côté maternel

De fait, en 1979, à trente et un ans, Charles Taylor se retrouve à la tête de l’Agence des services généraux, une institution chargée des achats et de la distribution des équipements destinés au gouvernement. Ce poste de haut fonctionnaire, assorti de nombreux avantages, est une aubaine pour ce jeune marié auquel sa femme, Agnès, donnera huit enfants.

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Lorsque survient, le 12 avril 1980, le coup d’Etat fomenté par le sergent Samuel Kanyon Doe, le côté maternel l’emporte chez Charles Taylor. Il soutient ce sergent de 28 ans qui, à la tête de ses supérieurs hiérarchiques, fait assassiner le président William Richard Tolbert et exécuter, après un simulacre de procès, treize ministres et hauts fonctionnaires appartenant à l’élite afro-américaine. S’exilent aux Etats-Unis ses membres les plus influents, dont l’ancien ministre de l’Economie, Elena Johnson-Sirleaf, qui tente en vain d’unifier l’opposition libérienne.

Pendant 4 ans, Charles Taylor sert fidèlement le régime de Samuel Doe, en dépit de ses excès (voir JA 1534). Sans broncher. D’aucuns, dans les rangs de l’actuelle opposition libérienne, lui reprochent d’avoir aidé Doe et sa nombreuse parentèle à acquérir bijoux, voitures de luxe, immeubles et appartements tant au Liberia qu’à l’étranger. Doe ne lui en sait aucun gré.

Bouc émissaire

Contraint, en 1984, sous la pression des Etats-Unis, de rétablir le multipartisme et d’épurer une administration synonyme de corruption, il trouve un bouc émissaire commode en la personne de Charles Taylor. Le directeur de l’Agence des services généraux est démis de ses fonctions et accusé d’avoir détourné, par le biais d’une société fictive, la modique somme de 900 000 dollars (270 millions de F CFA).

Réfugié aux Etats-Unis, Charles Taylor ne sera pas extradé vers Monrovia en dépit des requêtes du Liberia. Son avocat persuade les juges que son client risque l’inculpation politique bien plus que le droit commun. Et pour cause. A partir de son exil forcé, Charles Taylor entre en politique et se présente comme un opposant, au grand dam des exilés afro-américains qui ne lui pardonnent pas son revirement de 1980 et sont convaincus de sa malhonnêteté.

Sa disgrâce, en tout cas, l’incite à haïr profondément celui qui l’a trahi, Samuel Kanyon Doe. Haine tenace qui explique, aujourd’hui, son refus d’une solution négociée qui épargnerait la vie de ses concitoyens. Charles Taylor martèle inlassablement : « Il n’y a pas d’autre issue à ce conflit que la capture de Doe, mort ou vif.»

Autre trait caractéristique du personnage, hérité de ses contacts avec les exilés afro-américains, son mépris des formations politiques : « Ceux qui veulent participer à la reconstruction du pays doivent d’abord nous rejoindre sur le terrain. La rébellion est plus importante que les partis. »

Charles Taylor cache soigneusement à ses « scorpions » que son principal conseiller militaire, Elmer Johnson, est le neveu de l’ex-secrétaire général du parti de William Richard Tolbert.

Ce populisme n’est pas sans déplaire à ses fidèles, recrutés essentiellement dans les ethnies Gio et Mano, pour lesquelles l’opposition classique est avant tout une affaire d’Afro-Américains cherchant à récupérer leurs privilèges. Mais Charles Taylor cache soigneusement à ses « scorpions » que son principal conseiller militaire, Elmer Johnson, est le neveu de l’ex-secrétaire général du parti de William Richard Tolbert. De plus, il téléphone souvent, depuis Danané, en Côte d’Ivoire, où vit son frère Bartus, à Elena Johnson-Sirleaf. La mère renie le fils en public. Le père, mort depuis dix ans, ressuscite…

Faute d’avoir pu se tailler une place à sa mesure dans les rangs de l’opposition libérienne aux Etats-Unis, Charles Taylor décide alors de jouer la carte du révolutionnaire pur et dur. Tour à tour auprès du Burkinabè Thomas Sankara, du Ghanéen Jerry John Rawlings et du Libyen Mouammar Kadhafi.
Coup de main sur Buoto

Après un bref séjour à Ouagadougou, où il laisse de copieuses ardoises chez les commerçants libanais de la ville, il se rend à Tripoli.

Pendant trois ans, nul n’entendra plus parler de lui. Pour être plus juste, disons que nul ne se souciera de savoir ce qu’il est devenu. Le 24 décembre 1989, un commando armé attaque le poste de Buoto, à la frontière avec la Côte d’Ivoire, et inflige de sérieux revers aux troupes gouvernementales stationnées dans le comté de Nimba, fief de l’opposition à Samuel Kanyon Doe. C’est de là, en effet, que fut déclenchée, en 1985, l’insurrection sévèrement réprimée du général Thomas Quiwonkpa.

A vrai dire, le monde se soucie peu de savoir qui sont les attaquants de Buoto jusqu’au 3 janvier 1990. Ce jour-là, Charles Taylor annonce au micro de la BBC qu’il a pris le commandement du Front national patriotique du Liberia (NPFL). Et qu’il entend mener ses troupes à la victoire finale.

La suite est connue. Les excès commis par les forces gouvernementales facilitent le ralliement au NPFL des habitants des comtés voisins, las des violences perpétrées par les membres de l’ethnie Krahn, celle de Samuel Doe. Cette fois-ci, le côté maternel l’emporte chez Charles Taylor, croisé de la majorité contre la minorité, qu’elle soit afro-américaine ou krahn.

Visiblement, le chef du NPFL ne s’est pas remis de son éviction de 1984.

De programme politique, point. Soutenu par les Libyens ? Nenni. Gauchiste ? Jamais de la vie. Taylor se contente de marmonner : « Le sergent Doe doit se rendre aux forces du NPFL. Nous garantissons sa sécurité et nous lui assurerons un procès public rapide et équitable devant une juridiction compétente. » Là, c’est l’Afro-Américain qui parle, sans doute pour se gagner les sympathies d’une opinion encore traumatisée par les images cauchemardesques du procès des Ceausescu. Taylor démocrate ? Qu’on en juge : « Le NPFL cessera ses actions militaires aussitôt ses exigences satisfaites et confiera la conduite des affaires du pays à un gouvernement jusqu’à l’organisation d’élections générales libres. Pour le moment, nous faisons la guerre et il importe de la terminer. Après, nous ferons du Liberia une démocratie forte. » Le dernier terme sonne étrangement et rappelle la « démocratie autoritaire » chère au général Pinochet.

Visiblement, le chef du NPFL ne s’est pas remis de son éviction de 1984. Il lui faut un poste, à condition que celui-ci lui confère puissance, honneurs et responsabilités. D’aucuns ajouteraient : de confortables revenus. Il a pris le maquis pour redevenir un bureaucrate, seule condition qui lui permette d’échapper à la dualité de sa personnalité. L’avenir dira si les fonctionnaires présidents valent mieux que les sergents propulsés à la tête d’un pays. Lorsque les militaires cèdent la place aux civils, la démocratie n’est pas toujours gagnante.

La Matinale.

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