Edem Awumey : « Il n’est pas surprenant que l’islamisme radical ait séduit des Africains »
À travers le parcours de deux jeunes gens, Sambo Zikpi, un Africain qui part enterrer les restes de sa tante Rose en Louisiane, et Louise Hébert, une Québécoise paumée, l’écrivain d’origine togolaise évoque les maux qui rongent l’Afrique : des appétits occidentaux insatiables, le réchauffement climatique, une nature hostile, le péril islamiste… L’univers d’Edem Awumey est sombre. L’écriture inventive et rythmée laisse peu de place à l’espoir. L’avenir est ailleurs. Les personnages de son troisième roman, Rose déluge, fuient un « quotidien si souvent terne » et misent sur l’exil – thème de son livre précédent, Les Pieds sales – pour s’accomplir. Interview.
Jeune Afrique : Quels sont vos modèles d’écriture ?
Edem Awumey : Je n’en ai pas à proprement parler. Sûrement pour éviter un enfermement dans une forme et une vision de l’écriture qui ne serait pas en phase avec ma personnalité. Disons que certains auteurs m’ont marqué : Albert camus, Juan Rulfo, Garcia-Marquez, Tierno Monenembo, et j’en oublie…
Dans Rose déluge*, vous évoquez l’érosion des côtes africaines et vous faites allusion à l’affaire du Probo Koala avec le déversement de déchets toxiques en Côte d’Ivoire. Pensez-vous que les États africains aient suffisamment conscience des dangers qui menacent l’environnement et des risques que cela représente pour les populations ?
Je pense qu’aujourd’hui encore, d’autres priorités comme l’économie, la santé, etc. relèguent malheureusement au second plan la question de l’environnement. De manière plus empirique, il devient très difficile pour certaines populations des quartiers insalubres des grandes villes africaines de supporter la proximité de dépotoirs. C’est une question de survie. Les États sont informés des enjeux liés à cette question. Très peu est fait. Mais la rue parviendra à faire entendre sa voix.
Dans votre premier roman Port-Mélo, l’Afrique était en proie à des milices armées. Dans Rose déluge, elle doit faire face aux comportements prédateurs des Occidentaux (déchets toxiques, pédophilie, pêche excessive qui épuise les ressources maritimes…). L’Afrique est-elle maudite ?
Non. L’Afrique n’est pas maudite. Elle est confrontée à l’intensité de problèmes difficiles à résoudre.
Rose déluge évoque l’expansion des islamistes sur le continent. Comment expliquer un tel développement ?
L’Afrique est au cœur de l’histoire du monde. Elle l’a toujours été. N’en déplaise à ceux qui pensent qu’elle n’est pas encore rentrée dans cette histoire. Et puis, sa géographie la lie directement à l’Orient et l`Occident. Il n’est donc pas étonnant que l’islamisme radical y ait séduit des gens.
Que vous inspire la situation malienne ?
De la colère. Et aussi le retour brutal de cette lucidité qui me fait dire que la construction de la démocratie en Afrique, comme ailleurs, se fera avec des avancées et des reculs. Mais un jour viendra le temps d’un réel équilibre.
Et la situation somalienne ?
Le sentiment que ce pays a été abandonné de tous.
Dans Rose déluge, les candidats à l’émigration sont nombreux. L’Amérique continue à faire rêver. Qu’est-ce qui entretient ce rêve américain ?
L’inconnu, la force du mythe… Cela n’a rien d’étonnant. C’est dans la nature humaine de se projeter vers un ailleurs quand cela va mal chez soi.
Que représente la Louisiane pour vous ?
Un exemple de courage, des gens qui doivent lutter en permanence contre les éléments dans ce Golfe du Mexique tumultueux. Une terre de tous les hommes aussi : Américains, Cajuns (Acadiens de Louisiane), Créoles, etc.
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Propos recueillis par Séverine Kodjo-Grandvaux
* Rose déluge, d’Edem Awumey, Seuil, 216 pages, 17,50 euros
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