Guinée-Bissau : le putsch auquel tout le monde s’attendait
En plein entre-deux tours de l’élection présidentielle, une partie de l’armée bissau-guinéenne s’est emparée jeudi 12 avril dans la soirée de la résidence du Premier ministre, Carlos Gomes Junior, dont la femme assure qu’il a été arrêté par les mutins. Selon une source militaire, le président par intérimaire Raimundo Pereira et plusieurs responsables politiques sont également détenus au siège de l’état-major de l’armée. La capitale Bissau est actuellement quadrillée par les militaires putschistes. Les signaux de la télévision et de la radio nationales sont coupés.
Mis à jour le 13/04/12 à 17h00
Lorsque les premières détonations ont retenti, jeudi soir à Bissau, les habitants de la capitale n’ont guère été surpris. Pas plus que les observateurs et les diplomates, lorsqu’ils ont appris le quadrillage de Bissau par des soldats, l’attaque du domicile de Carlos Gomes Junior, l’ancien Premier ministre arrivé en tête du premier tour de l’élection présidentielle, son arrestation par les mutins, puis de celle du président par intérim, Raimundo Pereira.
Les responsables et les objectifs de ce coup de force restent flous. Un « commandement militaire » – sans qu’aucun autre nom ne soit précisé – a rendu public un communiqué en début de matinée, le 13 avril, déclarant avoir agi pour dénoncer « un accord militaire secret signé à la fois par le Premier ministre Carlos Gomes Junior et le président intérimaire Raimundo Pereira, le gouvernement de Guinée-bissau et celui d’Angola ».
Cette tentative de coup d’État par une partie de l’armée bissau-guinéenne était cependant une hypothèse plus que probable depuis quelques jours. Quelques heures à peine avant que les premiers tirs ne soient entendus, un diplomate en poste à Bissau avouait ses craintes à Jeune Afrique : « Pour l’heure, c’est impossible de savoir ce qu’il va se passer. Mais un coup d’État n’est pas à exclure… » Voilà des mois en effet que la tension montait et que l’avenir de Carlos Gomes Junior, dit « Cadogo », s’inscrivait en pointillés. Depuis décembre 2011, cinq étapes ont marqué cette escalade.
1- Le putsch avorté du 26 décembre
Le 26 décembre déjà, une mutinerie avait secoué la Guinée-Bissau. Alors que le président Malam Bacai Sanha était hospitalisé en France, plusieurs militaires avaient attaqué le siège de l’armée et subtilisé des armes. Mais le coup avait été déjoué. Des dizaines de mutins avaient été arrêtés, parmi lesquels le contre-amiral José Américo Bubo Na Tchuto, le très influent chef de la marine accusé par les autorités d’être le cerveau de cette mutinerie qui devait aboutir, selon le gouvernement, à l’assassinat du Premier ministre, Carlos Gomes Junior, et du chef d’état-major, Antonio Indjai. Accusé une première fois de tentative de coup d’État en 2008 avant d’être blanchi et réintégré dans l’armée, soupçonné d’être l’une des chevilles ouvrières du trafic de cocaïne qui mine le pays, Na Tchuto est un personne trouble. Mais son arrestation et sa détention loin de Bissau ont été diversement appréciées dans l’armée, où il jouit d’une bonne cote en raison notamment de son opposition à la réforme de l’armée. Initiée par la communauté internationale et mise en œuvre par Cadogo, celle-ci devait aboutir à une véritable purge, les effectifs devant passer de 12 000 hommes à environ 3 000. Dans les rangs, cette perspective passe difficilement.
2- La mort du président le 9 janvier
Le 9 janvier, le président bissau-guinéen, Malam Bacai Sanha, s’est éteint dans un hôpital parisien à l’âge de 64 ans, des suites d’une maladie dont on ne sait rien. Cette nouvelle a suscité bien des inquiétudes. Comme le notait alors l’analyste Vincent Foucher, spécialiste de la Guinée-Bissau pour le compte de l’ONG International Crisis Group, Sanha, depuis son élection en 2009 consécutive à l’assassinat du président Joao Bernardo Vieira, avait « joué un rôle de médiateur » entre son Premier ministre et l’armée qui avait tenté de le renverser en 2010, et qui reste le véritable socle du pouvoir politique depuis l’indépendance acquise en 1974. Homme de consensus, Sanha semblait être le dernier rempart contre un énième coup d’État militaire. Il avait en outre contenu les dissensions au sein de son mouvement politique, le Parti africain pour l’indépendance de la Guinée et du Cap-Vert (PAIGC), divisé en deux fractions : la sienne et celle de Cadogo. Sa mort les a réveillées : le PAIGC est ainsi parti divisé à l’élection présidentielle anticipée. Gomes a dû faire face à huit adversaires, dont un dissident du parti, Manuel Serifo Nhamadjo.
3- Le 1er tour de l’élection présidentielle, le 18 mars
Dans un contexte déjà tendu, la perspective d’une élection ne cessait d’inquiéter. « On fonce dans le mur », expliquait en février un diplomate en poste à Dakar. Sans surprise, l’opposition n’a pas reconnu les résultats du premier tour, pourtant validés par les observateurs internationaux. Il est vrai qu’ils ne laissaient guère de suspense pour le second tour (prévu le 29 avril) : avec 48,97% des suffrages, contre 23,36% à Kumba Yala, arrivé en deuxième position, Gomes était sûr de l’emporter.
Kumba Yala, soutenu par quatre autres candidats, dont Nhamadjo, n’a cessé depuis d’exiger l’annulation du premier tour, marqué selon lui par des fraudes massives, et de jouer la carte du pourrissement – c’est ainsi qu’il a rejeté la proposition de médiation par le chef de l’État guinéen, Alpha Condé. « Il sait qu’il ne peut pas l’emporter, explique un observateur de la vie politique locale. Son vivier électoral est essentiellement composé des Balantes », une ethnie particulièrement influente dans l’armée et sur la fibre ethnique de laquelle il n’hésite pas à jouer. Tout au long de la campagne, il n’a cessé de parler de la réforme de l’armée menée par Cadogo comme d’un instrument destiné à éloigner les Balantes des instances décisionnelles. Quelques heures seulement avant le putsch, et alors que la campagne officielle devait débuter ce vendredi, Yala avait demandé à ses militants de ne pas voter le 29 avril et avait menacé : « Quiconque s’aventurera à battre campagne assumera la responsabilité de tout ce qui adviendra ».
4- L’assassinat de Samba Diallo, le 18 mars
L’étau d’une armée mécontente, difficilement tenue par le chef d’état-major, Antonio Indjai, n’a cessé de se resserrer autour de Cadogo depuis un mois. Le soir même de l’élection, un de ses proches, le colonel Samba Diallo (ex-patron du service de contre-espionnage de l’armée), était tué à son domicile. Un meurtre non élucidé. Quelques heures plus tard, craignant de subir le même sort, l’amiral José Zamora Induta, un autre proche de Cadogo qui fut chef d’état-major de l’armée jusqu’en avril 2010 et sa mise aux arrêts par Antonio Indjai, s’est réfugié dans les locaux de l’Union européenne à Bissau.
5- L’annonce du départ des troupes angolaises, le 4 avril
Le 4 avril, c’est contraint et forcé que Gomes Junior annonce le départ des quelque 200 soldats angolais présents sur le sol bissau-guinéen depuis quatorze mois, dans le cadre de la Mission militaire technique angolaise pour l’assistance et la réforme du secteur de la défense et de la sécurité (Missang). Le déploiement de cette mission censée appuyer la réforme de l’armée, mais dont les objectifs restaient flous, a longtemps été une pomme de discorde entre l’armée et le gouvernement. Indjai, un temps favorable à cette coopération, a fini par s’y opposer en demandant le départ des Angolais. Un revirement que plusieurs spécialistes expliquent par les fortes pressions qu’exerçaient les officiers et la base sur leurs supérieurs. Il faut dire qu’à Bissau, la présence militaire angolaise était de plus en plus perçue comme une force de protection de Gomes, jugé proche de Luanda. Lors du putsch avorté du 26 décembre, elle avait joué un rôle essentiel dans la riposte des autorités, et c’est au sein de l’ambassade angolaise que Cadogo s’était réfugié. L’annonce du départ prochain de ces troupes pourrait ainsi avoir ouvert la voie aux putschistes.
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