Ahmed Ben Bella : le temps de l’engagement (1945-1950)

Premier président de l’Algérie et héros de la guerre d’indépendance, Ahmed Ben Bella est décédé à l’âge de 95 ans, le mercredi 11 avril 2012, à son domicile d’Alger. À cette occasio, l’historien Omar Carlier a rédigé pour Jeune Afrique une biographie de cet homme qui a marqué l’histoire de l’Algérie contemporaine. Il relate ici les années au cours desquelles Ben Bella s’est engagé en politique.

En moins de 5 ans, Ben Bella va devenir un homme politique de premier plan. © SIPA

En moins de 5 ans, Ben Bella va devenir un homme politique de premier plan. © SIPA

Publié le 13 avril 2012 Lecture : 4 minutes.

Algérie : Ben Bella, l’homme, le mythe et l’histoire
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Algérie : Ben Bella, l’homme, le mythe et l’histoire

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En 1945, Ahmed Ben Bella est un héros de guerre, décoré de la médaille militaire. Mais pour ses compatriotes, il reste un inconnu. Jusqu’ici, la politique est restée loin de lui. En moins de trois ans, elle va le porter au premier plan. Sans doute y a-t-il un temps de latence, d’hésitation entre diverses options. Le Rubicon n’est vraiment franchi par l’ancien adjudant que quand il rejoint le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MTLD), le parti indépendantiste de Messali Hadj, créé officiellement en octobre 1946. Il est de toutes les réunions officielles, attaquant le pouvoir local, et plus encore l’administrateur et ses caïds.

Placé parmi les têtes de liste de la formation lors des élections municipales de mars 1947, Ben Bella se voit attribuer par le conseil municipal, après une première épreuve de force gagnée contre les Européens du premier collège, le soin d’organiser la distribution des bons de ravitaillement dans la population « indigène ». Du point de vue politique, c’est un poste délicat mais privilégié, favorable aussi bien à l’esquisse d’un patronage clientéliste qu’à un renforcement de l’organisation. Il s’en acquitte efficacement ; son prestige personnel s’en trouve considérablement renforcé, tant dans la population que dans le parti. À 28 ans, Ben Bella est désormais l’une des personnalités de la ville, et l’un des principaux cadres locaux et régionaux de son organisation.

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Clandestinité

Mais tout s’accélère. En moins de deux ans, son statut change du tout au tout. Coopté au comité central – peut-être avec la caution du Dr Lamine Debaghine, alors au faîte de son prestige au sein du MTLD, et numéro un de celui-ci derrière le « père du parti » (Messali) –, Ben Bella est également appelé à rejoindre l’Organisation spéciale (OS, paramilitaire), alors en voie de constitution. Ses états de service parlent pour lui. Il passe dans la clandestinité, supervise la mise en place de l’OS en Oranie, dont il devient le premier chef régional, et prépare avec Hocine Aït Ahmed, qui dirige l’opération, le « hold-up » de la poste d’Oran.

La crise interne au MTLD lui offre de nouvelles opportunités. L’exclusion de Lamine ne lui nuit pas, l’affaire dite « berbériste » lui profite. Derrière Messali, chef tutélaire, l’équipe d’Alger-Centre, dirigée par Lahouel, reprend les choses en main. Aït Ahmed, l’un des principaux cadres de Kabylie, qui avait été promu à la tête de l’OS, est écarté. Ben Bella, auquel on avait déjà confié la responsabilité du comité de coordination inter-wilayas (CO), pièce essentielle de l’appareil politique du parti, est coopté à sa succession au début de l’automne 1949. Personne ne le connaît en dehors de sa ville natale. Pourtant, l’ancien adjudant des tabors est d’ores et déjà l’un des quatre ou cinq principaux dirigeants du premier parti politique algérien.

L’OS démantelée

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Mais l’OS est découverte par la police en mars 1950, par suite d’une opération répressive interne ayant mal tourné. En trois mois, l’organisation est démantelée (sauf dans les Aurès), même si quelques cadres importants échappent à l’arrestation, sans compter les évasions ultérieures. Ben Bella, dernier chef en titre, est arrêté en mai. Il voudrait assumer haut et fort son engagement « révolutionnaire ». À l’inverse, la direction du MTLD, soucieuse de protéger le parti et d’infléchir sa stratégie, crie au « complot colonialiste ». Elle reproche son indiscipline à Ben Bella, qui finit par rentrer dans le rang.

Mais elle a par ailleurs du mal à cacher et caser certains clandestins rescapés de l’affaire et à contenir la colère d’une partie d’entre eux, convaincus d’être délibérément sacrifiés. Ceci ne fait que différer l’expression de contradictions internes d’autant plus insidieuses et durables qu’aucun des grands protagonistes ne les mettra clairement en débat lors du congrès de 1953, l’accumulation des tensions conduisant à l’explosion de 1954 mais aussi à l’implosion ultérieure d’une « révolution » pourtant victorieuse. Un contentieux jamais surmonté s’ouvre, qui nourrira le conflit ultérieur entre « activistes », « centralistes », et « messalistes », puis la polémique entre frères ennemis du Front de libération nationale (FLN).

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Prisonnier volubile

Enfin, dès 1950, et jusqu’à aujourd’hui, les adversaires les plus acharnés de Ben Bella – dont certains auront effectivement eu à souffrir sous son gouvernement après 1962 – font valoir son comportement peu glorieux devant la police, puisqu’il a parlé sans avoir été torturé. Le fait, au demeurant, est exact. Mais en réalité, la police des renseignements généraux (PRG) sait déjà presque tout sur l’OS, et le volubile prisonnier s’est bien gardé de parler de ce qu’elle ignore encore, et ignorera jusqu’au bout : le rôle des Aurès (qui ne sont donc pas touchés), la localisation de dépôts d’armes restés à l’abri, sans parler de la réserve logistique frontalière que constitue Maghnia.

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>> Lire aussi «Une soirée avec Ben Bella », article paru dans le n° 2626 de Jeune Afrique (daté du 8 au 14 mai 2011). Son parcours, ses anciens compagnons, le Printemps arabe, Abdelaziz Bouteflika… Le premier président de l’Algérie indépendante nous livrait ses vérités au cours d’une soirée mémorable0, 0);">.

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