Ahmed Ben Bella : un électron libre (depuis 1979)

Premier président de l’Algérie et héros de la guerre d’indépendance, Ahmed Ben Bella est décédé à l’âge de 95 ans, le mercredi 11 avril 2012, à son domicile d’Alger. À cette occasio, l’historien Omar Carlier a rédigé pour Jeune Afrique une biographie de cet homme qui a marqué l’histoire de l’Algérie contemporaine. Il relate ici la dernière période de la vie politique de Ben Bella, depuis 1979.

L’ancien président algérien en résidence surveillée à Garches en France, décembre 1961. © Sipa

L’ancien président algérien en résidence surveillée à Garches en France, décembre 1961. © Sipa

Publié le 13 avril 2012 Lecture : 5 minutes.

Algérie : Ben Bella, l’homme, le mythe et l’histoire
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Algérie : Ben Bella, l’homme, le mythe et l’histoire

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Renversé par un coup d’état militaire, le premier président de l’Algérie indépendante devient le plus célèbre détenu algérien. On vient le voir de partout. Mis en résidence surveillée en 1979, définitivement libéré en 1980, peu après l’arrivée de Chadli Bendjedid au pouvoir, Ben Bella reprend goût à la vie et retrouve le démon intérieur qui ne l’a jamais quitté. Son pèlerinage à La Mecque, puis son voyage aux États-Unis, où il visite une réserve indienne, amorcent un nouveau parcours. Le lieu de la foi et le lieu de la puissance sont les pôles de ce nouvel arc électrique. Mais comme sa marge de manœuvre en Algérie reste mince, Ben Bella choisit l’exil, à Paris d’abord, à Genève ensuite.

Une fois sa liberté de parole retrouvée, il peut esquisser puis affirmer son changement d’orientation, et créer une formation à sa guise. C’est chose faite avec le Mouvement démocratique algérien (MDA), lancé à Chantilly en 1982, avec une formule choc : « le parti unique, c’est le mal unique. » Mais l’exilé se rapproche ostensiblement de la mouvance islamiste – qui a le vent en poupe, et amorce sa percée au Maghreb après avoir pris acte de la révolution iranienne et du reflux concomitant de trois forces majeures : le nationalisme arabe, après la mort de Nasser, le tiers-mondisme révolutionnaire, après celle du Che, les formations communistes classiques, bien avant l’effondrement de l’URSS. Ce nouvel engouement rappelle son adhésion immédiate d’autrefois au nassérisme, puis à la révolution cubaine, l’islamisme néo-tiers-mondiste se substituant à la Tricontinentale. En ce sens, il reste fidèle à lui-même.

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Compagnonnage islamiste

Ben Bella semble réussir dans un premier temps son pari, au moins en France, puisque le MDA entame sérieusement les positions de l’Amicale, prolongement du Front de libération nationale (FLN) dans l’Hexagone. Son journal mensuel, El Badil, rencontre un certain écho chez les Maghrébins. La formation est vue d’abord avec sympathie par une partie de la gauche française, mais son compagnonnage de plus en plus marqué avec l’islamisme lui aliène rapidement de précieux soutiens, y compris dans ses propres rangs. Les éléments de gauche et de tradition séculière quittent le parti, ou finissent par lui tourner le dos. L’expulsion de Ben Bella vers la Suisse, obligeamment concédée par Charles Pasqua à ses homologues d’Alger, ne facilite pas les choses. La réconciliation spectaculaire avec Aït Ahmed, concrétisée par une déclaration commune médiatisée à Londres, ne débouche sur rien d’organique, et n’a pas de suite politique.

Au pays en tout cas, le succès n’est pas au rendez-vous, alors que l’avènement du multipartisme, suite aux émeutes d’octobre 1988, semble offrir la possibilité d’un retour que ses proches espèrent triomphal. Il n’en sera rien. Le pouvoir militaire parvient à maîtriser l’implosion du système, même s’il vacille, sous la pression du Front islamique du salut (FIS) d’abord, de l’islamisme armé ensuite. Les autorités réussissent dans le même temps à empêcher la constitution d’un véritable front démocratique.

Échec dans les urnes

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En tout cas, l’opération « retour » du 27 septembre 1990 tourne court. L’échec le plus cruel est celui qui se lit dans les urnes, en dépit d’un réel effort de mise en place de comités locaux et régionaux pour donner corps au mouvement. Le score très faible du MDA, même à Maghnia, ne peut être mis seulement sur le compte de la manipulation administrative. Il faut en outre se rendre à l’évidence : le nom de Ben Bella ne dit rien à 60 % de la population, les moins de 20 ans qui n’ont même pas connu Boumédiène.

Par ailleurs, ni le FIS, ni ses succédanés n’ont besoin de Ben Bella. En revanche, Ben Bella a besoin d’eux, puisque le gros des masses contestataires est là. C’est pourquoi, avec Aït Ahmed, retrouvé naguère à Londres, et Abdelhamid Mehri, ancien secrétaire général du FLN converti à la voie démocratique, il participe à la rencontre de Sant’Egidio, qui préconise un compromis basé sur l’engagement (supposé) commun : celui du respect des urnes et de l’alternance, ce qui inclut aux yeux des signataires le retour aux élections et la légalisation du FIS. Mais le MDA ne parvient pas à récupérer l’électorat islamiste, susceptible, croit-il, de se reconnaître dans la nouvelle formule benbelliste combinant nationalisme, islam et internationalisme (arabo-musulman). Dès lors, l’ancien président renonce à jouer un rôle par le truchement d’un parti, fût-il le sien.

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Concorde civile

Paradoxalement, ce sera l’ultime chance de Ben Bella. À l’étonnement général, il prend parti pour celui-là même qui a poussé jadis Boumédiène à le renverser. Sortant l’un et l’autre d’une longue traversée du désert, si différente soit-elle, Ben Bella et Bouteflika convergent expressément sur la politique de « concorde civile » et, de manière peut-être moins concertée, sur l’hostilité au « berbérisme », l’intérêt du retour à l’islam confrérique et la reformulation du lien entre islam et nationalisme. Le président en titre assume les erreurs du passé, l’ancien chef de l’État préside la commission chargée de préparer la loi sur l’amnistie générale, et joue les ambassadeurs de fait pour son pays.

Il reste un électron libre, quand il préside le comité international du prix Kadhafi des droits de l’homme, ou quand il se prononce pour le retour à la légalité du FIS, et pour une solution d’autonomie concernant l’ex-Sahara espagnol – mais on ne peut exclure qu’il ait, sur ces deux derniers points, lancé un ballon d’essai en accord avec son lointain successeur. L’ancien détenu incarne désormais la sérénité, le pardon, la sagesse, dans un mimétisme sans doute recherché avec Mandela. En octobre 2002, il déclarait ainsi qu’« il n’y a ni cause ni guerre sacrée ».

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Lire aussi «Une soirée avec Ben Bella », article paru dans le n° 2626 de Jeune Afrique (daté du 8 au 14 mai 2011). Son parcours, ses anciens compagnons, le Printemps arabe, Abdelaziz Bouteflika… Le premier président de l’Algérie indépendante nous livrait ses vérités au cours d’une soirée mémorable
 

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