Maroc : vers une réglementation du droit de grève
Les Marocains sont exaspérés par les mouvements sociaux qui paralysent régulièrement les services publics. Un contexte favorable pour le gouvernement Benkirane, qui souhaite promulguer une loi organique réglementant le droit de grève.
C’est un vieux serpent de mer. Au Maroc, la retenue des jours de salaire des grévistes revient sur le devant de la scène à chaque grand mouvement social. Par trois fois déjà, des ministres de l’Emploi ont essayé de l’imposer, à chaque fois ils ont dû renoncer devant la grogne des syndicats. Cette fois-ci, le rapport de force pourrait être favorable à l’exécutif.
Le pays est en effet miné par des mouvements de grèves qui touchent presque tous les secteurs publics, des hôpitaux à l’éducation nationale en passant par les collectivités locales. Une cascade de débrayage qui commence à exaspérer les Marocains et qui, de ce fait, instille un climat opportun à une règlementation du droit de grève. Une aubaine pour le gouvernement Benkirane, plus libéral qu’on ne pense et qui compte bien profiter de l’occasion.
Car si le droit de grève est garanti par l’article 14 de la Constitution (depuis 1962), son cadre n’a pas été fixé de manière très précise. Selon Ali Boufous, professeur à la faculté de droit de Casablanca et spécialiste du Code du travail, « il appartient à la jurisprudence de règlementer le droit de grève ».
Mais pour les syndicats, la mise en place d’une loi organique ne pourrait que restreindre un droit déjà consacré par la Loi fondamentale, et serait donc inacceptable. Selon Azeddine Benjelloun Touimi, secrétaire général de l’Union des syndicats populaires (USP, syndicat indépendant), le gouvernement ferait « une grande erreur, s’il pensait pouvoir imposer cette loi », qu’il juge de toute façon « illégale ».
Grèves à répétition
Pourtant, Abdelilah Benkirane affiche sa détermination. Lors d’une réunion d’hommes d’affaires franco-marocains, le 28 mars, le Premier ministre avait déclaré que son gouvernement « était convaincu que cette loi devrait bientôt voir le jour ». Joignant la parole aux actes, une Commission interministérielle a été chargée jeudi de se pencher sur le dossier. Selon plusieurs sources, une initiative devrait aboutir d’ici à la fin de l’année.
Au vue de l’actualité, force est de constater que le rapport de force est du côté du gouvernement. Sous le couvert de l’anonymat, un syndicaliste confie que la succession de grèves a « décrédibilisé les syndicats aux yeux des Marocains. Il n’y a personne dans les hôpitaux, et dans les préfectures, les gens ne peuvent même pas légaliser un papier ». Un constat partagé par Mohamed Yatime, secrétaire général de l’UNTM (Union national du travail au Maroc, proche du PJD). Critiquant « l’enchaînement de mobilisations qui mine le sérieux des grèves », il s’est toutefois prononcé contre la retenue du salaire des grévistes.
Invitée à discuter par le gouvernement, comme les quatre autres grandes formations syndicales (UMT, CDT, UGTM, FDT), l’UNTM s’est déjà montrée favorable à cette loi, par le biais de son leader, afin de « mettre un terme à cette situation ». Azeddine Benjelloun Touimi, de l’USP, a quant à lui annoncé que les « petits syndicats » allaient se réunir afin de mettre en place une politique de riposte au projet gouvernemental.
Plus de réglementation
Le projet de loi, qui existe déjà selon Ali Boufous, devrait, outre le fait d’autoriser la fameuse retenue salariale, définir un cadre général au droit de grève. Un service minimum dans les établissements publics devrait être mis en place. Les appels à la grève pourraient aussi être plus réglementés, seuls les syndicats les plus représentatifs étant autorisés à le faire, même si à défaut, l’assemblée des salariés d’une entreprise pourrait s’y substituer, à condition d’avoir une majorité « de 35% ». Enfin le préavis pourrait devenir obligatoire.
Le gouvernement devra donc trouver un juste milieu entre la préservation du droit de grève et la garantie du service public. Un jeu délicat, car Azeddine Benjelloun Touimi a prévenu : l’USP et d’autres syndicats indépendants sont prêts à aller devant le tribunal administratif pour plaider leur cause.
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