« Le sud de l’Europe a atteint un niveau record de demandes d’asile »
Un rapport du Haut-Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), publié le 27 mars, révèle une hausse de 20% du nombre de demandes d’asile dans le monde en 2011. Fatoumata Lejeune-Kaba, porte-parole du HCR pour l’Afrique, analyse cette tendance et explique pourquoi ces demandes ont atteint un tel niveau record depuis 2003.
Dans quels pays l’augmentation des demandes d’asile a-t-elle été la plus importante ?
Fatoumata Lejeune-Kaba : Les États-Unis ont vu 74 000 requêtes déposées l’an passé et se placent en première position. La France arrive tout de suite après avec 51 900 demandes, puis l’Allemagne (45 700), l’Italie (34 100) et la Suède (29 600). La Turquie a aussi directement été touchée par la répression chez son voisin, et a vu des Syriens affluer en grand nombre vers ses frontières, enregistrant une hausse de 74%.
Mais surtout, ce sont les pays du sud de l’Europe qui ont atteint un niveau record (+87%), et ceci est dû aux retombées du Printemps arabe. Les demandes d’asile y avaient fortement chuté en 2010, la tendance s’est complètement inversée.
Les chiffres sont-ils significatifs dans les pays touchés par les révoltes arabes ?
Les trois quart des requêtes de statut de réfugié déposées en Italie et à Malte provenaient de Tunisie, dont les chiffres ont été multipliés par 9, passant de 900 à 7 900 de 2010 à 2011. Mais il faut souligner qu’en réalité il y a plus de non Tunisiens que de Tunisiens qui ont fui le pays. De même pour la Libye : ce sont en majorité des Africains qui étaient établis là-bas, plutôt que des Libyens, qui se sont embarqués sur des bateaux pour l’Europe.
Le Printemps arabe est-il, de façon générale, la cause première de la hausse observée en 2011 ?
Non, ce n’est pas la seule raison. Si l’on concentre les chiffres du continent africain, avec tous les pays touchés par les révoltes arabes, mais aussi la Côte d’Ivoire qui a vu des violences post-électorales, il ne s’agit que de 27% des demandes d’asile déposées en 2011, contre 45% pour l’Asie. En réalité, ce sont les conflits anciens qui ont contribué à cette hausse. L’Afghanistan est toujours en tête du classement, de même pour l’Irak (en troisième position, après la Chine).
Pourquoi ne pas avoir pris en compte l’Afrique du Sud dans le rapport, qui enregistre pourtant le plus grand nombre de demandes d’asile ?
Le rapport ne concerne que les 44 pays industrialisés, qui se trouvent d’ailleurs presque tous en Europe, en Amérique du Nord, en Australie et en Asie du Nord-est. On ne pouvait donc pas prendre en compte l’Afrique du Sud. Mais il est vrai qu’à elle seule, elle a reçu 107 000 demandes, loin devant les États-Unis.
À quoi sont dus ces chiffres en Afrique du Sud ?
Ce phénomène n’est pas nouveau, il est notamment lié aux troubles politiques au Zimbabwe voisin, dont les ressortissants sont les premiers demandeurs d’asile. Mais une nouvelle tendance montre que les requêtes ne viennent plus seulement de pays africains voisins, mais aussi désormais du Pakistan ou du Bangladesh.
Que pensez-vous de la capacité d’accueil de l’Europe face aux flux de réfugiés issus du printemps arabe ?
Plus que la capacité, c’est plutôt une question de volonté politique et de perception. Quand par exemple, l’extrême droite pèse sur le débat politique, les choses se compliquent. Le système d’asile doit être juste et nous travaillons en ce sens, en particulier auprès des instances européennes pour qu’elles favorisent une harmonisation de la politique des États membres en la matière. À moyen terme, je crois que cela est possible. Le Parlement européen a d’ailleurs adopté, le 29 mars, un programme qui vise à encourager les États membres à accueillir plus de réfugiés. Il est aussi important de bien comprendre la différence entre une personne qui est immigrée, donc qui quitte sa patrie par choix, et une personne qui n’a pas d’autre choix que de fuir pour sauver sa vie et devient donc demandeur d’asile.
Et sur les autres continents ?
La situation est souvent compliquée également. Un même pays peut, par exemple, ne pas reconnaître les ressortissants d’un pays, mais le fera à l’inverse pour d’autres. Et dès qu’un État a un problème par rapport à sa sécurité, il devient plus méfiant. Le Kenya qui accueillait facilement les Somaliens – notamment avec le camp de Dadaab, le plus grand au monde -, a changé d’attitude avec la menace d’Al-Shabaab. Nous y exerçons un lobbying important pour qu’il continue de les accueillir.
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Propos recueillis par Marie Villacèque
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