Mali : sortir de la confusion à Bamako et du vide sécuritaire au Nord

Gilles Olakounlé Yabi est directeur du Projet Afrique de l’Ouest de l’organisation International Crisis Group (ICG).

Publié le 27 mars 2012 Lecture : 4 minutes.

Le coup d’Etat militaire qui a renversé le président Amadou Toumani Touré (ATT) le 21 mars alors qu’une nouvelle rébellion touarègue avait replongé le Nord du pays dans un conflit armé depuis le 17 janvier dernier est une catastrophe pour le Mali et pour toute l’Afrique de l’Ouest. Le putsch mené par le capitaine Amadou Haya Sanogo est une régression spectaculaire pour un des pays les plus avancés dans la région en matière de consolidation de la démocratie électorale et de la résolution des conflits par le dialogue. L’argument avancé par les sous-officiers qui apparaissent désormais quotidiennement sur les écrans de la télévision publique malienne pour justifier le renversement du président Touré est « l’incompétence du gouvernement », et particulièrement son incapacité à mettre à la disposition de l’armée le « matériel adéquat pour lutter contre la rébellion et les groupes armés dans le Nord ». En réalité, le putsch rend un extraordinaire service aux rebelles touaregs du Mouvement national de libération de l’Azawad (MNLA) et au groupe armé Ansar dine qui pourraient bien conquérir tout le grand Nord quasiment abandonné par un armée malienne déboussolée.  

La Communauté économique des États d’Afrique de l’Ouest (Cedeao) qui s’est réunie en urgence au niveau des chefs d’État et de gouvernement à Abidjan (Côte d’Ivoire) ce 27 mars, doit en collaboration étroite avec l’Union africaine (UA) et les Nations unies, adopter une stratégie visant le départ sans délai de la junte, la restauration de la démocratie, le respect de toutes libertés civiles qui sont autant de conditions à la préservation de l’intégrité territoriale du Mali. La situation est bien plus grave qu’on pourrait le penser vu de Bamako où la vie semble redémarrer : groupes armés et milices communautaires peuvent très vite prospérer dans le nord et y créer durablement le chaos. Ces régions sont habitées par plusieurs communautés, et pas seulement par les Touaregs qui sont eux-mêmes subdivisés en clans aux intérêts antagonistes, certains ayant combattu récemment pour le compte de Bamako contre les rebelles du MNLA. Ces derniers entretiennent une relation ambigüe avec le groupe Ansar dine, conduit par un ancien rebelle et notable touareg Iyad Ag Ghali, et qui fait de l’imposition de la charia sa revendication principale, plutôt que l’autodétermination de l’Azawad, vaste région désertique regroupant les trois zones administratives de Gao, Tombouctou et Kidal.

L’émergence de groupes armés au nom de la défense de chaque communauté pourrait se traduire par des violences inédites sur les populations civiles du Nord.

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L’émergence de groupes armés au nom de la défense de chaque communauté pourrait se traduire par des violences inédites sur les populations civiles dans une grande partie du territoire, pendant que les putschistes paradent entre Bamako et Kati, la ville garnison à 15 km de la capitale d’où est partie un coup d’État indéfendable. Il y avait certes de graves problèmes dans le Mali d’ATT derrière l’image d’une démocratie fonctionnelle et apaisée. L’incapacité d’un président en fin de règne à répondre au défi d’une nouvelle rébellion touarègue au Nord et à trouver un remède à un malaise préexistant au sein de l’appareil militaire est essentielle pour comprendre les évènements du 21 mars. Ce malaise ne date pas du choc des revers militaires importants subis par les forces gouvernementales depuis le début des attaques de la rébellion du MNLA. En 2010, des rumeurs de complots contre le président et ancien général ATT avaient déjà circulé dans les cercles militaires à Bamako. Il était question de jeunes sous-officiers frustrés par ce qui ressemblait à une distribution de cadeaux de départ par le président à ses amis gradés et par la perception d’une corruption sans précédent des élites militaires et civiles proches du palais de Koulouba.

Dans ce contexte fragile, le conflit libyen, qui s’est soldé par l’élimination de Mouammar Kadhafi, a eu un impact dévastateur sur les équilibres précaires qui caractérisaient le Nord-Mali. L’afflux de combattants touaregs revenus du pays de leur défunt parrain Kadhafi avec une qualité et une quantité d’armement sans doute jamais vues dans cette partie du désert saharien a brutalement changé le rapport de forces sur le terrain. La nouvelle donne libyenne s’est greffée à un mouvement contestataire touareg préexistant, le Mouvement national de l’Azawad (MNA), un groupe de jeunes activistes dénonçant la gestion par le régime du nord du Mali, nourrie, selon eux, d’alliances avec des élites politiques locales corrompues et de collusion affairiste avec Al-Qaïda au Maghreb islamique (Aqmi). La manne soudaine des armes libyennes a précipité le projet de lutte armée mais le déclenchement de la rébellion elle-même fait suite à de nombreuses tentatives infructueuses de Bamako d’engager le dialogue avec le MNLA.

La lassitude d’une partie de la population malienne à l’égard de la fin de mandat d’un président qui semblait dépassé par les évènements avait atteint un niveau tel que certains se réjouissent du coup d’État. Le cimetière des expériences politiques africaines est cependant rempli de transitions militaires qui ont mal tourné. Le capitaine Sanogo et ses hommes ne peuvent offrir de réponses aux défis urgents du pays, à commencer par le risque d’un vide sécuritaire absolu au nord et de la pérennisation d’une situation humanitaire désastreuse pour des centaines de milliers de civils. Il est réconfortant que la large majorité des forces politiques et sociales maliennes se soit exprimée clairement pour un retour à l’ordre constitutionnel et le départ immédiat de la junte. La Cedeao, l’UA et l’ONU doivent peser de tout leur poids d’autant plus que la gestion internationale du conflit libyen l’an dernier est en partie directement responsable de la crise. Laisser les putschistes maliens s’installer dans la durée reviendrait à exposer le pays à une régression extraordinaire, et accepter une déstabilisation en cascade de la bande sahélo-saharienne.

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