Lutte contre le sida : le monde ne doit pas faire marche arrière

Nadia Rafif est la directrice de l’Association marocaine de lutte contre le sida (ALCS) et coordinatrice du CSAT Mena (Civil Society Action Team pour la région MENA).

Publié le 21 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Ce début d’année 2012 marque le dixième anniversaire de la création du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Depuis dix ans, dans un élan sans précédent, des millions de vies ont été sauvées dans quelque 150 pays, ce qui représente l’un des efforts les plus ambitieux de la santé mondiale depuis des générations.
À la date d’aujourd’hui, 3 millions de personnes infectées par le VIH ont été sauvées dans les pays à faible et moyen revenu à travers l’accès aux thérapies antirétrovirales, grâce aux 22 milliards de dollars de subventions alloués par le Fonds depuis sa création. Le nombre de cas de tuberculose dépistés et traités dépasse les 8,5 millions et le taux de décès dus au paludisme a chuté de moitié dans onze pays d’Afrique.

Dix ans de travail acharné, de succès cumulés, des millions de vies sauvées… Cela devrait être le moment de se réjouir. Malheureusement, ce n’est pas le cas.
La crise financière internationale n’a pas épargné le Fonds mondial qui, depuis trois ans, traverse une crise de financement sans précédent. Les pays riches, touchés de plein fouet par la crise ont commencé à se désengager. Les promesses de dons ne sont pas honorées et la réunion de reconstitution du Fonds organisée en octobre 2010 a peiné à mobiliser 11 milliards de dollars de promesses sur les 20 nécessaires. Plus récemment, en novembre 2011, le Conseil d’administration du Fonds mondial a décidé, sous la pression des pays donateurs, d’annuler le 11e cycle de financement qui sera repoussé au-delà de 2013 et d’exclure l’éligibilité d’un certain nombre de pays avec comme conséquence, le gel de nouveaux programmes envisagés pour la période 2011-2013.

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Les malheurs du Fonds ne s’arrêteront pas là. Les rumeurs, désormais confirmées, de cas de corruption parmi certains programmes fusent de toutes parts : Mauritanie, Mali, Zambie, Djibouti… Une occasion en or pour les donateurs afin de justifier leur désengagement sans perdre la face ni engager leur responsabilité morale. Pour eux, le Fonds serait devenu une passoire qu’il serait irresponsable de continuer à financer pour remplir les poches d’agents corrompus des gouvernements, voire même de la société civile.

Sans exagération, les sommes détournées sont dérisoires par rapport aux sommes engagées (0,3%). Avec un peu de recul, le Fonds mondial a plutôt été victime de sa transparence désormais unique dans l’histoire de l’aide au développement. Car, c’est le Fonds lui-même qui a mis en place les moyens de suivi et de contrôle financier qui ont permis de déceler les fraudes. Et à chaque fois que l’abus a été avéré, les programmes ont été gelés et les États sommés de rembourser les sommes détournées. Il ne viendrait à l’esprit de personne de renoncer au système de sécurité sociale dans les pays riches sous prétexte de cas de prescriptions abusives ou de corruption. L’attitude à adopter serait de traquer ces défaillances et d’en punir les responsables. C’est exactement ce qu’a fait le Fonds mondial.

L’annonce le 24 janvier de la démission plutôt forcée du directeur exécutif du Fonds mondial, Michel Kazatchkine, a ajouté au climat d’extrême anxiété de ces derniers mois.

L’annonce le 24 janvier de la démission plutôt forcée du directeur exécutif du Fonds mondial, Michel Kazatchkine, a ajouté au climat d’extrême anxiété de ces derniers mois. Pendant les cinq années passées à la tête de l’institution, M. Kazatchkine a fait preuve de volonté inébranlable pour rendre le fonds plus transparent et pour renforcer l’implication de la société civile à tous les niveaux. Son engagement en faveur d’une approche de la santé basée sur les droits humains a eu un impact significatif sur la vie de millions de personnes jusque-là exclues dans leurs propres pays. Il sera remplacé par un banquier brésilien dont la mission principale est désormais de redresser les comptes…

Fait paradoxal, le financement est en stagnation, voire en recul, au moment même où la science, la médecine et les programmes offrent enfin les moyens susceptibles de mettre fin à l’épidémie du VIH. L’année dernière on a découvert que l’initiation précoce du traitement permet de réduire de 96% l’infection d’un partenaire. La connaissance a progressé au point où nous pouvons non seulement sauver des vies, mais également mettre fin à la maladie.

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Malgré les réalisations historiques citées plus haut, il reste encore du travail à faire. Parmi les 34 millions de personnes vivant avec le VIH en 2011, 15 millions ont besoin elles aussi d’un traitement, sans compter qu’il y a deux fois plus de nouvelles infections que de mises sous traitements. Ces chiffres continueront à nous hanter, et nous ne pouvons pas attendre une minute de plus.

Soixante-dix pays ont déjà commencé à ressentir l’impact des annulations de financement du Fonds mondial. En Zambie, plus de 130 000 personnes infectées par le VIH n’auront pas accès au traitement salvateur. Au Zimbabwe ce sont 25 000 mères qui risquent de transmettre le VIH à leurs enfants à naître. Les interventions axées sur la protection sociale, l’éducation, et l’égalité des sexes risquent aussi de rester sur le bord du chemin, jugées non essentielles en ces temps de crises.

Soixante-dix pays ont déjà commencé à ressentir l’impact des annulations de financement du Fonds mondial.

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Pour avoir passé les dix dernières années à travailler sur le VIH au Maroc, dont les 4 dernières consacrées à accompagner des associations bénéficiant du soutien du Fonds dans 19 pays de la région MENA, j’ai vu le changement radical insufflé par cette institution. J’ai vu les listes d’attente des malades du sida disparaître des hôpitaux. Une situation insoutenable où il fallait attendre qu’une personne décède pour donner son traitement à une autre. J’ai vu des populations exclues et extrêmement marginalisées : des homosexuels, des travailleuses du sexe, des usagers de drogues injectables retrouver leur dignité et accéder aux services de santé et de soins comme n’importe quel citoyen le ferait. J’ai vu des acteurs associatifs discuter d’égal à égal avec les représentants de leur gouvernement sur les priorités des programmes à financer dans leur pays et la meilleure façon de gérer l’aide internationale.

Les dirigeants du monde ne peuvent plus se dérober devant leur responsabilité. Une conférence urgente des donateurs devra avoir lieu afin de mobiliser les ressources nécessaires pour renverser la situation et prévoir une nouvelle possibilité de financement en 2012 et 2013. Nous pourrons trouver les 2 milliards de dollars nécessaires. 700 milliards ont été mobilisés en un temps record pour sauver les banques. Sauver des millions de vies humaines ne le mérite pas ?

Les pays récipiendaires devront aussi tenir leurs promesses d’augmenter progressivement leur contribution dans les programmes de santé. C’est ce à quoi les pays africains s’étaient engagés lors de la déclaration d’Abuja en 2001. Une promesse restée lettre morte dans la majorité des cas. Le monde ne peut pas se permettre de faire marche arrière, cela serait injuste et inacceptable.

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