Pour un marché à la portée de l’agriculteur

Namanga Ngongi est le président de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et Jimmy Smith est le directeur général de l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI). Ces deux organisations sont basées à Nairobi au Kenya.

Publié le 20 mars 2012 Lecture : 5 minutes.

Des pyramides de tomates empilées, des sacs de niébé et de pois d’angole, du manioc en bordures de trottoirs, des bottes de légumes-feuilles, des camions remplis de récipients à lait miroitants, des brouettes de poissons séchés, tout cela est à vendre. Des chèvres bêlent pendant que les marchands vendent des habits, des casquettes, des sodas, des assiettes en céramique, dont les prix sont griffonnés sur des panneaux. L’air est rempli de bruits provenant du commerce et du trafic : téléphone portable, motocyclettes et minibus, taxis et camions, et des gens qui marchandent pour obtenir les meilleurs prix.

Dans toutes les villes et villages du continent, les marchés sont au cœur de la vie africaine. Et pourtant, bien qu’ils soient indispensables à des millions de petits cultivateurs et d’exploitants agricoles, trop peu de ces marchés arrivent à réaliser leur plein potentiel et à devenir des moteurs pour transformer la campagne africaine.

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Les céréales attaquées par les charançons n’arrivent jamais au marché. Pour chaque camion parqué sur la place du marché, d’autres sont à l’arrêt à des barrages routiers où des documents et des pots-de-vin changent de main. Le lait se gâte avant même d’atteindre la ville. Sans l’accès à des informations sur les marchés et sans magasins de stockage de récolte, les petits exploitants agricoles risquent de perdre de l’argent s’ils vendent, et d’en perdre encore plus s’ils ne vendent pas.

À travers toute l’Afrique, le mauvais fonctionnement des marchés décourage les agriculteurs à produire plus de nourriture, entraînant des pertes pour des économies entières. Les femmes, agricultrices ou commerçantes, souffrent de cette situation, et les jeunes générations quittent l’agriculture, un secteur dont ils ne voient que le travail et pas la rémunération.

Malgré l’abondance de troupeaux de bétail au Mali, le bœuf provenant des élevages européens subventionnés continue d’arriver dans les ports des pays d’Afrique de l’Ouest voisin. Selon le ministère de l’Agriculture du Nigeria, ce pays voit à lui seul s’envoler des occasions d’exportations agricoles pour un montant annuel estimé à 10 milliards de dollars. Plusieurs de ces exportations pourraient avoir comme destination d’autres pays africains, vu que le commerce intra-régional représente un marché potentiel de 150 milliards de dollars.

Aujourd’hui, des marchés solides sont tout aussi importants pour réduire la pauvreté et encourager la croissance économique qu’une augmentation de la productivité des exploitations. Il est temps de transformer les marchés de l’Afrique, et d’assurer une connexion sans faille entre les petits exploitants agricoles et les centres d’échange agricole. La tâche n’est pas facile. Les exploitants doivent avoir accès au financement, aux informations sur les marchés et à des moyens d’entreposage et de transport pour leur récolte. Les politiques doivent éliminer, et non encourager, les retards bureaucratiques et la volatilité des prix, et inciter les exploitants à investir et à produire plus.

En Zambie, les camions des supermarchés Shoprite transportent jusqu’à 1 600 documents pour satisfaire aux contrôles frontaliers.

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Cependant, l’inverse est souvent le cas. Dans certaines parties de l’Afrique, les obstacles réglementaires, infrastructurels et institutionnels au commerce, ces fameuses « barrières non tarifaires », contribuent jusqu’à 40 % du prix des produits. Par exemple, pour transporter des produits depuis le nord du Mozambique jusqu’au sud du Malawi voisin, il est obligatoire de détenir un permis d’exportation uniquement délivrable dans la ville portuaire lointaine de Quelimane. En Zambie, les camions des supermarchés Shoprite transportent jusqu’à 1 600 documents pour satisfaire aux contrôles frontaliers.

Ces politiques et pratiques constituent des obstacles énormes pour les petits exploitants agricoles qui tentent de vendre sur les marchés un modeste surplus de leurs récoltes. Mais aujourd’hui, on voit apparaître de nouvelles initiatives qui relient les exploitants au marché ; c’est ce que nous apprend un rapport récemment publié par l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI) basé à Nairobi.

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Ces changements apparaissent au niveau local, national et régional. Un effort entrepris par 34 pays vise à alléger les frustrations rencontrées aux frontières en mettant en place des logiciels compatibles pour le calcul des taxes d’accises et des frais de douane. Des efforts d’intégration de marchés tels que le Comesa (Marché commun de l’Afrique australe et orientale) modifient les réglementations pour encourager le flux des marchandises, notamment en adoptant des mesures de sécurité alimentaire communes.

Dans certains cas, les réformes de marché comblent l’écart entre les secteurs formels et informels, et permettent aux petits exploitants de coopérer dans la transformation, le transport et la commercialisation des produits. Ceci est particulièrement important, vu que 60 % du commerce des céréales de base et 95 % du commerce de viandes se font par des canaux informels.

Un effort concerté a apporté des avantages à 40 000 petits commerçants laitiers au Kenya. En mettant l’accent sur les compétences en affaires ainsi que sur les normes de sécurité et de qualité du lait, le Smallholder Dairy Project a aidé les petits producteurs laitiers à obtenir une certification auprès du Kenya Dairy Board, une agence réglementaire nationale, et par ce fait, à faire passer leur entreprise dans le secteur formel. Cet effort a rapporté 16 millions de dollars annuels supplémentaires à l’industrie laitière kenyane.

Pendant ce temps, un programme de récépissés d’entrepôts fonctionnant sous les auspices du Conseil des céréales de l’Afrique de l’Est et du Programme de développement du maïs du Kenya offre aux agriculteurs à la fois un endroit sûr pour stocker leurs excédents de récolte et un accès plus facile au crédit. Les agriculteurs peuvent désormais stocker leurs excédents et utiliser les céréales qu’ils ont stockées comme garantie pour obtenir un crédit ; ce dernier leur permettra ensuite d’acheter des intrants agricoles et de payer le transport des céréales qui arriveront ainsi à temps sur le marché.

Les gouvernements africains devraient s’inspirer de ces exemples positifs et ne plus prendre des mesures de politique dictées par les circonstances du moment, qui font plus de tort que de bien. Ceci permettra d’assurer que les marchés africains bénéficient finalement aux petits exploitants agricoles et aux consommateurs du continent, lesquels sont souvent une seule et même personne.

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–> Consulter le site de l’Alliance pour une révolution verte en Afrique (AGRA) et celui de l’Institut international de recherche sur l’élevage (ILRI).

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