Crise alimentaire au Tchad : chronique d’un drame annoncé
Alors que les alertes se sont multipliées depuis plusieurs mois au sujet de la crise alimentaire qui touche le Sahel, Action contre la faim a déclaré le 13 mars la région tchadienne du Kanem en état d’urgence. Manque d’eau, de nourriture, enfants en sous-nutrition… Les témoignages recueillis par l’ONG sont alarmants, dans un pays au potentiel pourtant important.
« Cela fait quatre mois que nous n’avons plus de stocks. Plus personne n’a de nourriture. » Adoum Adji Korouma, chef du village de Blatchidi, au Tchad, lance un appel à l’aide (voir vidéo ci-dessous). Dans son secteur, explique-t-il, ni les animaux ni les habitants ne sont aujourd’hui en mesure de se nourrir convenablement.
« Il y a encore quelques semaines, nous avions très peu de décès », témoigne Clémence Malet, nutritionniste à Mao (Kanem). « Aux mois de novembre-décembre, les enfants qui arrivaient dans les centres étaient malnutris mais ils étaient dans un état qui nous permettait de les traiter sans trop de complications. Aujourd’hui, on a des enfants qui arrivent dans un état de malnutrition tellement avancé qu’on ne peut pas toujours les sauver. Beaucoup décèdent en route vers le centre, chose qu’on avait très rarement les mois passés. »
Vidéo de témoignages recueillis par Action contre la Faim
© ACF / Sébastien Pagani
Situation aggravée par la crise libyenne
Le Kanem est une région particulièrement pauvre dans un pays structurellement fragile. Plus de 60% de la population vit dans un état d’insécurité alimentaire qui touche particulièrement les enfants. Même sur l’ensemble du pays, un enfant sur vingt meurt avant l’âge d’un mois et un sur dix avant l’âge d’un an.
L’instabilité politique de la région est venue accentuer le problème. Suite à la crise libyenne, les familles ont perdu en moyenne 20% de leur revenu, et parfois beaucoup plus. « Tous les quatre ou cinq mois, nos maris nous envoyaient l’équivalent de près de 400 euros. Maintenant nous ne disposons plus de ces sommes et il y a des personnes en plus à nourrir », témoigne une habitante du petit village de Barrah, qui a ainsi vu revenir de Libye 120 de ses habitants.
Un potentiel inexploité
Quelque 90 000 tonnes de vivres seraient aujourd’hui nécessaires au Tchad rien que pour couvrir les besoins actuels. Et cela ne résoudrait pas le fond de problème : celui des systèmes de production agricole aujourd’hui incapables de satisfaire la population par manque d’infrastructures, notamment au niveau de l’irrigation, ou encore par absence de politique agricole durable. Le potentiel tchadien reste aujourd’hui sous-exploité : seuls 10% environ des terres arables seraient actuellement en exploitation.
Le Tchad vit une « situation scandaleuse [et] n’arrive pas à s’auto-suffire au plan alimentaire », a ainsi reconnu le président Idriss Déby Itno, en ouverture d’un forum sur le développement rural, le 24 janvier à N’Djamena. Alors que le pays consacre environ 5% de son Produit intérieur brut (PIB) à l’agriculture – l’objectif étant d’atteindre 10% -, quelque 55% des Tchadiens, dont la plupart habitent en campagne, vivent en dessous du seuil de pauvreté.
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