Algérie – Accords d’Évian : il n’y a que des gagnants !
À l’occasion du cinquantenaire des accords d’Évian, qui mirent fin à la guerre d’indépendance algérienne, Jeune Afrique met au jour ses archives. Publié dans son n° 77 daté du 19 au 26 mars 1962, l’article qui suit a été rédigé par Mohamed Masmoudi, homme politique et journaliste algérien.
Algérie – Accords d’Évian : les archives de Jeune Afrique
Entre l’A.L.N. et l’armée française, les combats ont cessé. A la plus longue, à la plus meurtrière, à la plus bête des guerres coloniales, Evian vient de mettre fin de la manière la plus intelligente, la plus courageuse, la plus humaine : sur une promesse de réconciliation entre belligérants. On le souhaitait, on l’espérait, on n’y croyait pas.
Que sept ans et demi de folie et d’atrocités débouchent sur une très grande sagesse, que ce peuple « d’égorgeurs » et de « fanatiques » que l’on vouait au massacre et à la ratonnade décide aujourd’hui d’oublier, qu’en son nom le G.P.R.A. proclame la volonté des Algériens de coopérer avec les Français, qu’en cautionnant cette volonté, la puissante A.L.N., veille l’arme au pied à la règle du jeu, qu’une province maghrébine apporte au monde la preuve qu’une guerre peut se transformer en une entreprise passionnante de coopération pacifique entre belligérants, que l’Algérie offre ainsi le rare et bel exemple qu’un conflit armé au terme duquel il n’y a que des gagnants !…. Je dis : c’est beau, c’est grand et c’est généreux, l’Algérie !
La Une du J.A. n° 77, du 19 au 26 mars 1962.
Comme hommes, comme Maghrébins, nous devons en être fiers.
Souffle nouveau
De Khrouchtchev à Kennedy, en passant par le secrétaire général de l’O.N.U., tous les responsables de l’univers, les grands et les petits, en saluant avec autant de chaleur et d’empressement l’événement d’Evian, semblent en avoir saisi l’importance : l’esprit qui s’en dégage peut marquer le Tiers Monde. Déjà, il introduit dans les relations internationales un souffle nouveau de fraîcheur et de pureté.
L’homme algérien nouveau, méfiant à l’égard des doctrines importées, ne laissera pas l’Est et l’Ouest s’affronter sur son sol dans des querelles stériles d’hégémonie dont l’Algérie risque de faire les frais.
Tout risque de partage, de « vietnamisation » étant écarté, toute menace d’anarchie, de « congolisation » étant exclue, la guerre froide ne s’installera pas en Algérie. L’homme algérien nouveau, façonné dans la lutte, formé par la Révolution, si attaché à l’ordre, à l’unité, au concret, indifférent, méfiant même à l’égard des doctrines importées, des idées abstraites, ne laissera pas l’Est et l’Ouest s’affronter sur son sol dans des querelles stériles d’hégémonie dont l’Algérie risque de faire les frais. Sa lutte de libération, en durant, a donné à sa révolution des possibilités extraordinaires d’adaptation et de survie.
Au surplus, l’Algérien a eu le temps d’étudier l’expérience des uns et des autres ailleurs, dans les pays sous-développés. Leur succès, leurs erreurs, leurs excès l’ont édifié. La voie qu’il a choisie, celle qui l’a amené à souscrire au compromis révolutionnaire d’Evian en témoigne. Conscient de ce qu’il vaut, de ce qu’il veut et de ce qu’il peut, il semble vouloir reprendre à la faveur de la période transitoire, son second souffle pour parfaire, avec l’instrument de l’État, sa révolution.
Fac-similé de l’article de Mohamed Masmoudi, du J.A. n°77 (19-26 mars 1962)
Option définitive ?
Pour lui comme pour nous, le compromis d’Evian peut ne pas être seulement un expédient tactique destiné à améliorer une position stratégique.
Il peut impliquer une option. Pour que cette option devienne définitive, pour qu’elle ait des chances d’entraîner l’ensemble du Maghreb il importe que de Gaulle la souhaite sincèrement et que la France l’encourage effectivement.
Est-ce une simple coïncidence de l’histoire que les hommes de bonne volonté en France et en Afrique du Nord proclament solennellement :
– le 2 mars 1956 l’indépendance du Maroc dans l’interdépendance ;
– le 20 mars 1956 l’indépendance de la Tunisie dans l’interdépendance ;
– le 18 mars 1962 l’indépendance de l’Algérie dans la coopération ?
Ces vœux successifs, formulés dans des protocoles ou dans des accords, sont dans la nature des choses parce qu’ils répondent aux exigences de la géographie et vont au devant des souhaits des masses françaises et nord-africaines. Ils n’ont été réalisés ni en Tunisie ni au Maroc, parce que durant la guerre d’Algérie, la France donnait à la coopération un caractère de complicité qui n’était la sagesse des dirigeants tunisiens et marocains, aurait définitivement insulté l’avenir.
Politique de coopération avec le Maghreb
Ce vœu ne se réalisera pas demain en Algérie si de Gaulle n’acceptait pas d’évacuer en Tunisie comme il s’est engagé à le faire en Algérie. Ce vœu ne se réaliserait pas en Afrique du Nord si la France jouait la coopération avec l’Algérie pour mieux l’isoler de la Tunisie et du Maroc. Ce vœu ne se réaliserait jamais si de Gaulle n’admettait pas les conséquences de la Révolution algérienne, et s’il ne se décidait pas à dépasser le juridisme des accords, les faux problèmes de panache pour appliquer résolument une vraie politique de coopération avec le Maghreb.
Si de Gaulle le voulait réellement, l’O.A.S. ne constituerait pas un obstacle sérieux. A l’analyse, cette organisation apparaitrait comme « un phénomène » artificiel et accidentel ». Un genre de néo-youssefisme français qui, emporté par ses propres contradictions ne tarderait pas à s’éteindre. Pour la France et l’Algérie, ce ne sera plus qu’un mauvais souvenir ; pour le Nord-Africain un mauvais exemple … un de plus … à ne pas suivre.
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Par Mohamed Masmoudi, dans J.A. n° 77, du 19 au 26 mars 1962
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Algérie – Accords d’Évian : les archives de Jeune Afrique
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