Abdoul Kabèlè Camara : « Les militaires guinéens ont adhéré massivement et librement à la réforme »
Dans cet entretien, organisé dans son bureau au camp Samory Touré de Conakry, le ministre délégué à la Défense guinéen, Me Abdoul Kabèlè Camara, fait le point sur la réforme de l’armée guinéenne. Il évoque les principales mesures déjà entrées en vigueur, celles qui se préparent et la façon dont elles sont perçues dans les casernes.
Démilitarisation de l’administration et de la capitale, démantèlement de nombreux barrages, création d’une police militaire chargée de traquer les soldats indisciplinés et les usurpateurs, sans oublier le départ à la retraite de quelque 4 000 hommes, dont des officiers en service depuis… soixante ans : la réforme de l’armée guinéenne engagée par le président Alpha Condé, ministre de la Défense, constitue une véritable révolution. Entretien avec le ministre délégué à la Défense guinéen, Abdoul Kabèlè Camara.
Jeune Afrique : Un an après le lancement de la réforme de l’armée, quel bilan pouvez-vous en faire ?
Abdoul Kabèlè Camara : La réforme avance, tous les dossiers concernant la retraite des militaires ont été montés. Ainsi, 4 006 militaires ont été admis à faire valoir leurs droits à la retraite et toutes les mesures d’accompagnement promises par le président de la République (4 mois de salaires notamment) sont prêtes. En application de l’article 82 du statut général des forces armées, le président a seulement maintenu en service 76 militaires de carrière spécialisés, pour une période qui ne doit pas excéder deux ans.
Les dispositions du statut général des forces armées concernant les retraites n’avaient pas été appliquées depuis longtemps, c’est la raison pour laquelle le nombre de demande est si élevé. Le statut révisé des forces armées, adopté par le CNT [Conseil national de transition, organe législatif en attendant les législatives et l’installation de l’Assemblée nationale NDLR], prévoit des départs à la retraite deux fois par an : le 1er juin et le 1er décembre. Ces derniers se font selon le grade et l’ancienneté. Il est de notoriété qu’un officier prenne sa retraite après trente-cinq années de service.
Quelles sont les autres mesures prises dans le cadre de cette réforme ?
L’une des plus importantes est le recensement biométrique. D’ici quelques jours, nous aurons le rapport final. Les ressources humaines travaillent pour une analyse et un croisement de tous les fichiers : ceux du service des ressources humaines et ceux de l’État-major des armées, en particulier. Après quoi, on procédera à la distribution des cartes biométriques infalsifiables. L’objectif est de connaître le nombre exact de militaires (aujourd’hui nous estimons l’effectif à 23 000) et de réduire, par conséquent, l’incidence des soldes fictives ou indues, sur le budget consacré à l’armée, qui est de 1 400 milliards de francs guinéens [163 millions d’euros, NDLR]. Pour le moment, et depuis que nous avons commencé le recensement, nous faisons une économie de 3 milliards GNF [314 000 euros, NDLR], qui représente la masse salariale de militaires qui ont été radiés, sont décédés ou ont déserté les rangs.
Par ailleurs, dès notre prise de fonction, nous avons reçu des instructions du président de la République, ministre de la Défense, pour valider le rapport d’évaluation de la réforme du secteur de la sécurité, décidée, rappelez-vous, par les accords de Ouagadougou, signés en janvier 2010. Nous avons d’ores et déjà levé tous les barrages qui empêchaient la circulation des biens et des personnes. N’eût été la tentative d’assassinat du chef de l’État, le 19 juillet dernier, tous les barrages auraient disparu. Certains d’entre eux ont été réinstaurés à des endroits stratégiques, mais seulement à des heures bien précises, pour ne pas gêner la libre circulation.
Il y a une avancée significative puisque les militaires sont en retrait, contrairement au passé. Seuls les gendarmes et les policiers sont habilités à assurer la sécurité. Nous avons d’ailleurs insisté sur les notions de respect du citoyen et de ses droits par les agents de l’ordre et de sécurité. Nous avons par ailleurs procédé à la démilitarisation de la ville de Conakry et remis en scelle la police militaire. La consigne de celle-ci est ferme et elle l’applique avec beaucoup de satisfaction : aucun militaire ne doit circuler dans la rue avec ou sans armes et sans ordre de mission de sa hiérarchie. Nous avons également procédé à la délocalisation des armes lourdes des camps militaires de Conakry, celles-ci ont été placées à des endroits bien précis sur l’étendue du territoire.
L’armée guinéenne est réputée indisciplinée. Que prévoyez-vous pour la formation des troupes ?
Nous avons en effet mis l’accent sur la formation. Cela fait partie des mesures urgentes que nous avons prises dès décembre 2010. De nombreux militaires ont été déjà formés et d’autres sont actuellement en formation, aussi bien en Guinée qu’à l’extérieur du pays, notamment en Chine, en France et aux États-Unis, mais aussi dans certains pays de la Cedeao [Communauté économique des États de l’Afrique de l’ouest, NDLR].
Nous insistons beaucoup sur la formation parce que, pendant un temps, il y a eu des avancements fictifs : un adjudant-chef pouvait se retrouver lieutenant-colonel en un temps record, sans suivre le cours normal de sa carrière. La formation vise à faire correspondre un tant soit peu le galon au niveau professionnel du militaire.
Par ailleurs, il faut signaler que, pour la première fois, un tribunal militaire, a été créé. Jusque-là, les militaires étaient jugés par des juridictions de droit commun, pour les infractions de tous genres. Aujourd’hui, le code de justice militaire est adopté, le statut du personnel de justice militaire est connu. Bref, tous les textes qui doivent régir le fonctionnement d’une armée normale et disciplinée soit ont été adoptés par le CNT et promulgués par le président, soit ont fait l’objet de décret présidentiel. L’étape suivante sera la vulgarisation de ces textes.
Comment comptez-vous régler le problème des 10 000 jeunes qui ont été appelés sous les drapeaux pendant la transition militaire, mais n’ont pas encore été intégrés dans l’armée ?
Ces derniers sont en formation et nourris sur le budget de l’État, malheureusement, ils ne sont pas immatriculés. Nous sommes en train de réfléchir au problème. L’idée est d’affecter certains à la préservation de l’environnement, pour constituer le corps des conservateurs de la biodiversité, ou à la protection civile, pour constituer le corps des sapeurs-pompiers. Dans tous les cas, ils ne seront pas abandonnés, même si l’incidence financière est très importante.
Selon plusieurs rapports, le mode de payement de la solde (de la main à main et dans les casernes) encourage la fraude. Que prévoyez-vous pour y remédier ?
L’idéal est que les soldes soient virées dans des banques, mais la réalité du terrain nous oblige à nous accommoder de cette situation pour encore un temps. En effet, certains militaires sont à des postes très éloignés et il leur est impossible d’avoir accès à des banques. Cependant, on y viendra.
La réforme a-t-elle l’adhésion des militaires ?
La réforme a rencontré l’adhésion de tous les militaires. Tous ont compris qu’il serait difficile d’arriver à la démocratie tant souhaitée si l’armée ne jouait pas son rôle républicain. Le message est bien passé. Si tel n’était pas le cas, je puis vous l’assurer, vous auriez entendu des bruits dans les casernes. Imaginez plus de 4 000 militaires admis à la retraite et qui seraient mécontents de leur situation !
Cependant, je dois avouer que cela ne s’est pas fait au hasard. Il a fallu faire beaucoup de sensibilisation, d’explications, de visite dans les casernes, etc. Aujourd’hui, je peux le dire sans risque de me tromper que les militaires ont adhéré massivement et librement à la réforme de l’armée. Ils ont compris que la réforme est faite dans leur intérêt.
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Propos recueillis à Conakry par André Silver Konan
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