LRA : Joseph Kony, superstar du web
C’est une ascension aussi fulgurante qu’inattendue : en quelques jours, Joseph Kony est devenu une superstar du web. Affolant les compteurs sur Twitter ou encore sur YouTube avec un documentaire, Kony 2012, qui approche les 50 millions de spectateurs, le leader de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) ougandaise est au centre d’un buzz mondial. Bien malgré lui.
On ne l’attendait pas dans le cercle fermé des stars de Twitter. Pourtant, Lady Gaga et Justin Bieber vont bien devoir s’y faire : le leader ougandais de l’Armée de Résistance du Seigneur (LRA) Joseph Kony – l’un des criminels de guerre les plus sanglants de tous les temps -, monopolise le devant de la scène sur le réseau social. Le nombre de tweets postés par minute depuis deux jours en lien avec le hashtag #kony2012 – une centaine – est non seulement ahurissant mais peut-être même totalement inédit en ce qui concerne un sujet africain.
L’origine de ce buzz ? Un documentaire mis en ligne le lundi 5 mars et produit par l’ONG américaine « Invisible Children » qui s’est donné pour mission de faire arrêter Joseph Kony, surnommé « le Messie sanglant » et visé par un mandat d’arrêt international, avant la fin de l’année en mobilisant les réseaux sociaux. « 99,9% de la population mondiale ne sait pas qui il est. S’ils le savaient, il aurait été arrêté depuis longtemps », explique « Invisible Children » qui peut se vanter d’avoir réuni près d’un million de fans sur Facebook et d’avoir fait visionner le documentaire « Kony 2012 » près de 50 millions de fois sur la plateforme YouTube.
Un "succès" mystérieux
Pourquoi ce buzz mondial ? Sans doute parce que Barack Obama lui-même (ce qui, en ces temps 2.0, représente tout de même beaucoup) a décidé en octobre 2011 d’envoyer une centaine de soldats en Ouganda avec pour mission la capture de Kony. La pression de nombreuses ONG, dont Invisible Children, avait fait pencher la balance du côté de l’intervention. Et à l’époque, une bonne partie de l’opinion américaine avait découvert l’existence du personnage Kony, voire même celle de son pays d’origine, l’Ouganda.
Seulement, l’explication est sans doute un peu courte au vu de l’ampleur du buzz « Kony 2012 ». Si l’ONG Invisible Children n’est pas une inconnue, difficile de comprendre comment elle serait parvenue à frapper un tel coup médiatique sur un sujet qui n’a jamais réellement passionné les foules – les exactions de la LRA durent depuis 1986. Sans se laisser aller à des hypothèses farfelues, quelques observations s’imposent pour tenter d’y voir plus clair.
American way
Réalisé par le metteur en scène américain Jason Russell (qui est lui-même l’un des fondateurs de Invisible Children), le documentaire colle parfaitement à la vision américaine de la situation. Sur son blog publié par le quotidien britannique The Independent, le journaliste ougandais Musa Okwonga s’étonne ainsi que le documentaire n’égratigne pas une seule seconde le président Yoweri Museveni, au pouvoir depuis 1986 : « Si des milliers d’enfants britanniques étaient enlevés chaque année dans leur village et recrutés dans une armée, vous pouvez parier que David Cameron devrait faire face à de très sérieuses questions à la chambre des Communes. Vous pouvez parier qu’après vingt années de tels agissements sous sa direction, il ne dirigerait plus le pays. »
Or, le soutien à Museveni est très exactement la ligne défendue par Washington, dans un contexte où les obédiences évangélistes influentes auprès du pouvoir ougandais, notamment de la première dame, mais aussi les champs de pétrole découverts à proximité du lac Albert, jouent un rôle certain. La lutte contre la LRA tient ainsi une place importante dans la politique régionale des États-Unis puisque les hommes de Joseph Kony ont élargi leur champ d’action à la République Démocratique du Congo (RDC), à la Centrafrique ou encore au Soudan du Sud et restent, contrairement à ce que suggère le documentaire, relativement moins actifs sur le territoire ougandais ces dernières années.
Le Soudan du Sud et l’Ouganda notamment restent primordiaux pour les Américains pour ce qui est des intérêts économiques. En effet, dans un contexte de concurrence avec la Chine, Les États-Unis n’ont pas ménagé ses efforts depuis l’indépendance du Soudan du Sud afin d’occuper une place de choix dans le domaine de l’exploitation du pétrole du nouvel État et Washington a apporté un soutien sans faille à Bangui, Kampala et Juba, espérant stabiliser la situation politique régionale. Aboutissement de ce travail, un accord a été signé en janvier 2012 par les pouvoirs sud-soudanais et kenyan sur la construction d’un oléoduc, allant du Soudan du Sud au port de Lamu au Kenya et qui devrait traverser l’Ouganda.
En relayant dans le monde les agissements du « Messie sanglant » et en sensibilisant l’opinion internationale, l’ascension mystérieuse de Joseph Kony sur Twitter aura donc fait quelques heureux. Invisible Children d’abord, les États-Unis ensuite, Kampala enfin, épargnée par le documentaire. Le leader de la LRA, de son côté, doit peu goûter à cette médiatisation renforcée. Recherché par la CPI, il est accusé d’enlèvements d’enfants, de pratique de l’esclavage ou encore de massacres de civils.
Le documentaire "Kony 2012"
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