Côte d’Ivoire : explosion de la criminalité à Bouaké, selon HRW

Selon l’ONG Human Rights Watch, l’insécurité et la criminalité sont en hausse dans le centre et le nord de la Côte d’Ivoire, essentiellement dans les zones anciennement sous contrôle des ex-rebelles des Forces nouvelles (FN) de Guillaume Soro. Le rapport publié lundi 5 mars est en tout cas accablant pour les militaires des FRCI ou assimilés qui ont soutenu Alassane Ouattara pendant la crise postélectorale.

Les armes des FRCI sont les mêmes que celles qui servent aux agressions nocturnes. © Finbarr O’Reilly/Reuters

Les armes des FRCI sont les mêmes que celles qui servent aux agressions nocturnes. © Finbarr O’Reilly/Reuters

silver

Publié le 5 mars 2012 Lecture : 4 minutes.

Attaques avec violences, braquages, meurtres, viols, etc… À en croire les témoignages récoltés par Human Rights Watch, les habitants de Bouaké, ex-quartier général des Forces nouvelles (ex-rébellion armée) et des localités du centre du pays, jadis contrôlées par les ex-rebelles, vivent un cauchemar depuis décembre 2011. Au banc des accusés, les ex-combattants ou assimilés des Forces armées des Forces nouvelles (FAFN), qui attendent une hypothétique démobilisation.

« Il y a énormément de militaires. Pendant la journée, on voit les armes qu’ils portent. Et la nuit, on voit le même type d’armes aux mains des braqueurs. Nous dormons la peur au ventre. Nous vivons dans la peur ». Ce témoignage recueilli par HRW auprès d’un habitant de Bouaké donne une idée du climat de terreur qui règne dans cette ville depuis la fin de l’année 2011. Si le conflit armé a pris fin et la réunification du pays est une réalité, la peur liée au grand banditisme à Bouaké, elle, est omniprésente. Elle irait même en s’accentuant au fils des semaines.

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Dans son rapport publié ce lundi 5 mars, l’Organisation non gouvernementale (ONG) de défense des droits de l’homme révèle que « depuis début décembre 2011, au moins 22 personnes ont été victimes de meurtres dans le centre de la Côte d’Ivoire, alors qu’elles se déplaçaient à moto ou en transport en commun ». Rien qu’à Bouaké, HRW a dénombré « 15 incidents, dans lesquels au moins 13 hommes ont été tués par balles et cinq femmes ont été violées. Des habitants de Bouaké ont indiqué que de tels actes de banditisme sur les routes se produisaient quotidiennement et reflétaient une hausse frappante de la criminalité violente, qui a pour effet de perturber gravement la vie quotidienne ».

Même mode opératoire

Le modus operandi des gangsters est le même à Bouaké comme dans les autres villes voisines (Béoumi, Botro, Djébonoua, Sakassou, etc…). Des individus (de quatre à huit) habillés pour la plupart en treillis militaires, armés de fusils de guerre, barrent la route avec une voiture ou un tronc d’arbre et dépouillent avec violence tous ceux qui viennent se buter, à pied, à moto ou en véhicule, à leur barrage. Et sur ces barrages improvisés, le drame peut survenir très rapidement. « Alors que nous étions étendus à plat ventre, témoigne une victime interrogée par HRW, un homme a tourné la tête et les a regardés. L’un d’eux s’est aussitôt approché de lui et l’a tué avec son arme; ce n’était pas un pistolet mais un gros fusil, du genre que les militaires portent en ville. Le type qu’ils ont tué avait à peu près 45 ans. Ils étaient masqués; nous ne pourrions même pas les identifier ».

D’autres témoins assurent que les criminels ne se donnent pas la peine de cacher leur visage, assurés sans doute de jouir d’une certaine impunité. « Les victimes ont également mentionnél’ubiquité des combattants des Forces républicaines (de Côte d’Ivoire, FRCI, force régulière installée par Alassane Ouattara, NDLR) et des anciennes Forces nouvelles à Bouaké et le fait que manifestement, leurs attaquants ne craignaient pas d’être interpellés par les troupes des Forces républicaines qui exercent un contrôle effectif sur cette ville », rapporte HRW.

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Le gouvernement de Ouattara essaye de régler le problème posé par la circulation des armes et par l’activité criminelle d’ex-combattants des FAFN non désarmés, ni démobilisés, après la crise postélectorale de 2010-2011. Une police militaire a été créée pour traquer les éléments indélicats des FRCI. Depuis son lancement, la criminalité impliquant des FRCI a baissé à Abidjan, la capitale économique. Mais l’insécurité à l’intérieur du pays, en général, et à Bouaké en particulier, demeure problématique. Les forces régaliennes de sécurité (gendarmes et policiers) constituant les ex-Forces de défense et de sécurité (FDS, restées loyales à Laurent Gbagbo jusqu’aux dernières heures de sa chute) ne disposent pas d’armes ni de moyens logistiques pour prévenir et combattre le grand banditisme. Par ailleurs, le tribunal militaire a été réactivé. Il doit juger une centaine de militaires, dont des éléments des FRCI.

Le désarmement se fait attendre

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Mais ces mesures sont largement insuffisantes face à des gangsters rompus au maniement des armes. HRW pointe clairement du doigt les anciens rebelles. « Il existe des indices sérieux permettant d’établir une implication au moins partielle des anciennes forces pro-Ouattara » dans les crimes en question, souligne l’ONG. Qui en veut pour preuve, entre autres, « qu’un ancien combattant des Forces républicaines, mécontent, avait admis lors (d’une réunion publique fin novembre, présidée par Mathieu Babaud Darret, ministre chargé des Ex-combattants et des Victimes de guerre, à Bouaké) que d’ex-combattants des FRCI commettaient les braquages et avait averti qu’il y aurait d’autres attaques. (…) L’ancien combattant avait dit que ses camarades et lui étaient toujours en possession de leurs armes et qu’ils les conserveraient, avertissant qu’ils étaient mieux entraînés que la police et les gendarmes et qu’ils savaient se battre ».

En tout état de cause, HRW souhaite que le gouvernement prenne « sans tarder des mesures pour désarmer les anciens combattants qui sont généralement considérés comme étant impliqués dans ces crimes, et équipe de manière adéquate la police et les gendarmes pour leur permettre de protéger la population ». Elle invite enfin les autorités à ouvrir des enquêtes « sur ces violences ».

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Par André Silver Konan, à Abidjan

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