Côte d’Ivoire : HRW dénonce les méthodes « expéditives » de la Commission nationale d’enquête

Un seul mois d’enquête pour une crise qui a causé la mort d’au moins 3 000 personnes, selon l’ONU ? La célérité avec laquelle la Commission nationale d’enquête mise en place par le président ivoirien Alassane Ouattara mène ses investigations inquiète l’ONG Human Rights Watch (HRW).

Des civils fuyant les combats entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, à Abidjan en février 2011. © Issouf Sanogo/AFP

Des civils fuyant les combats entre pro-Gbagbo et pro-Ouattara, à Abidjan en février 2011. © Issouf Sanogo/AFP

silver

Publié le 23 février 2012 Lecture : 3 minutes.

« Bien que créée en juillet 2011, la commission [nationale d’enquête, NDLR] n’a commencé ses investigations qu’à la mi-janvier 2012 et est déjà en train de conclure son rapport, révèle Human Right Watch (HRW) dans un communiqué publié à Nairobi, jeudi 23 février. Et de conclure qu’« il semble peu probable qu’après un seul mois d’enquête, elle ait été en mesure de documenter de manière adéquate les graves crimes commis pendant le conflit, ni d’identifier leurs auteurs dans les deux camps ».

L’Organisation des Nations Unies en Côte d’Ivoire (Onuci) estime à au moins 3 000 le nombre de personnes tuées lors du conflit postélectoral ivoirien. Les enquêtes ouvertes depuis mai 2011 par les parquets civil et militaire d’Abidjan sur les crimes postélectoraux ont conduit les enquêteurs à auditionner des milliers de témoins et de victimes. Mais jusque-là, seuls des pro-Gbagbo ont été inculpés alors que les rapports de l’Onuci et de certaines organisation non gouvernementales (ONG) de défense des droits de l’homme, dont HRW, mettent en cause les deux camps.

la suite après cette publicité

En créant la commission nationale d’enquête le 20 juillet dernier, le président ivoirien Alassane Ouattara avait indiqué qu’elle mènerait des enquêtes non judiciaires sur les violations du droit humanitaire international et des droits de l’homme commises entre le 31 octobre 2010 (après le premier tour de la présidentielle) et le 15 mai 2011, un peu plus d’un mois après la chute de Laurent Gbagbo. Un mois plus tard, le numéro un ivoirien nommait à la tête de cette commission la juge Matto Loma Cissé, réputée intègre mais soupçonnée par l’opposition d’être favorable au Rassemblement des républicains (RDR, parti présidentiel).

La pression de la France ?

La commission n’a commencé à être opérationnelle que six mois plus tard. Elle disposait de six mois renouvelables pour présenter son rapport au gouvernement. « Mais maintenant, à en juger par les déclarations publiques du président Ouattara et celles de responsables gouvernementaux lors d’entretiens avec Human Rights Watch, note cette ONG, il semble que la commission a prévu de présenter son rapport à la fin février – un mois seulement après avoir pu véritablement commencer ses recherches sur le terrain. La remise du rapport a semblé prendre davantage d’urgence après que le président Ouattara eut promis en France fin janvier que la commission achèverait ses travaux fin février ou début mars ».

Cette précipitation dans la rédaction et dans la remise du rapport d’enquête inquiète les ONG de défense des droits de l’homme. « La commission a été investie de la lourde tâche d’enquêter sur les graves crimes qui ont marqué la période postélectorale en Côte d’Ivoire, indique Corinne Dufka, chercheuse pour l’Afrique de l’ouest à HRW. Un rapport incomplet ou biaisé compromettrait les efforts pour rendre justice aux victimes et combler le fossé intercommunautaire qui a été à l’origine d’une décennie de graves violations des droits humains. »

la suite après cette publicité

Manque d’information et de confiance

Le Front populaire ivoirien (FPI de Gbagbo) a refusé de siéger au sein de cette commission composée de dix-sept personnes, majoritairement proches du pouvoir. Le parti de Laurent Gbagbo, qui a été transféré à la Cour pénale internationale (CPI) fin novembre 2010, a rejeté par avance les conclusions du rapport d’enquête. Et sur le terrain, notamment dans les fiefs électoraux de Gbagbo, les victimes des milices pro-Gbagbo et des ex-rebelles des Forces nouvelles pro-Ouattara ne se pressent pas pour témoigner, d’une part par manque d’information et, d’autre part, par manque de confiance envers les enquêteurs.

la suite après cette publicité

HRW souligne que « des responsables de l’ONU et des activistes ivoiriens ont également critiqué le caractère expéditif des enquêtes, voire même leur absence totale, dans certaines zones particulièrement touchées par les violations des droits humains, et où il reste d’importantes concentrations de victimes. Un responsable de l’ONU a qualifié les enquêtes de la commission de "cinéma”, précisant que les membres de la commission arrivent et font un rapide décompte des violations commises dans certaines localités ou villages, sans organiser d’entretiens en profondeur ».

Pour toutes ces raisons, l’ONG demande une prorogation de six mois, « jusqu’à août 2012 », du mandat de la commission, pour lui permettre «  de mieux assurer la réalisation d’une enquête impartiale et exhaustive sur les crimes commis par toutes les parties ». Reste à savoir si son appel sera entendu par le gouvernement ivoirien.
______

Par André Silver Konan, à Abidjan

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

La rédaction vous recommande

Contenus partenaires