Amadou Bah Oury : « Condé n’était pas prêt à gouverner la Guinée, ni même une préfecture »

Le chef de l’État guinéen Alpha Condé suspecte le vice-président de l’UFDG, Amadou Bah Oury, d’avoir voulu l’assassiner. Visé par un mandat d’arrêt international, celui-ci a fui la Guinée et trouvé refuge en France. De son exil forcé, l’opposant répond aux questions de Jeune Afrique, non sans fustiger le bilan du président guinéen. Interview.

Amadou Bah Oury, co-fondateur de l’UFDG, en exil en France. © DR

Amadou Bah Oury, co-fondateur de l’UFDG, en exil en France. © DR

ProfilAuteur_PierreFrancoisNaude

Publié le 17 février 2012 Lecture : 5 minutes.

Jeune Afrique : Lundi 13 février a été déclaré "journée ville morte" en Guinée par l’opposition. Quel bilan tirez-vous de cette action ?

Amadou Bah Oury : Le bilan est mitigé. La journée d’action a été suivie dans les fiefs de l’opposition mais pas beaucoup ailleurs. On peut néanmoins dire que c’est réussi car cela a constitué un signal d’alarme, et signifié la méfiance et de la défiance du peuple guinéen vis à vis du pouvoir.

Il n’y a toujours pas d’État de droit ni d’indépendance de la justice guinéenne.

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De quelle défiance parlez-vous ?

Il s’agit avant tout d’une grande déception car le changement espéré n’a pas eu lieu. Cela créé de la défiance à l’égard d’Alpha Condé, laquelle est perceptible un peu partout en Haute et Moyenne-Guinée, en région forestière, en Basse-Côte, etc.

Concrètement, comment se traduit ce "non-changement" dont vous parlez ?

Il est d’abord visible au niveau institutionnel : il n’y a toujours pas d’État de droit ni d’indépendance de la justice guinéenne malgré le combat que nous avons livré ces dernières années contre la dictature. Au niveau social, il n’y a pas non plus de réconciliation entre les Guinéens, malgré ce qu’on était en droit d’attendre après des élections dites « démocratiques ». Enfin au niveau économique, rien n’a été fait : le manque d’eau et d’électricité est toujours prégnant et il n’y a pas eu d’amélioration du pouvoir d’achat.

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Alpha Condé est au pouvoir depuis un an. N’est-ce pas trop court pour dénigrer son bilan ?

Je serais d’accord avec cette vision pour tout autre pays qui se trouverait dans la même situation économique. Mais en Guinée, nous avons la preuve que Condé effectue un retour vers le passé. Aujourd’hui, les personnes qui l’entourent sont les mêmes que celles qui entouraient le dictateur grabataire Lansana Conté dans les années 2005-2006. Ce qui est important ce sont les symboles et je pourrais soutenir le gouvernement si l’harmonie y était. Nous ne demandons pas l’impossible. Mais dès le début, Condé l’a affirmé : il veut « ramener la Guinée là où Sékou Touré l’a laissée ».

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N’y a-t-il pas, selon vous, une seule chose de positive dans la gouvernance de Condé ?

Condé tourne le dos à l’intérêt général du pays. Néanmoins, il est important d’un point de vue sociologique qu’il soit confronté à la gestion du pays. Sinon il nous aurait dit pendant des années qu’il aurait pu faire mieux. Mais à l’épreuve du pouvoir, il a montré qu’il n’était pas prêt à gouverner la Guinée, ni même une préfecture. En développant une administration entièrement contrôlée par son parti, le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée, NDLR), il prouve aussi qu’il n’est pas prêt à accepter une quelconque alternance. Il va clairement dans le sens d’une dictature.

Tant que les législatives n’auront pas eu lieu, la Cedeao ne doit pas considérer que la situation en Guinée est réglée.

Quelles solutions proposez-vous pour sortir du blocage entre l’opposition et le pouvoir ?

Pour l’instant, nous sommes toujours dans une phase de transition. Tant que les législatives n’auront pas eu lieu, la Cedeao ne doit pas considérer que la situation en Guinée est réglée. La Ceni est déboussolée car elle est mise sous tutelle. Le pays est en danger. La communauté internationale – ONU et Cedeao – doit s’impliquer davantage dans le règlement des problèmes du pays, avec des missions d’observation et même une force de dissuasion. Il faut prévenir les conflits. Car avec la dynamique instaurée par Condé et le lourd passé de la Guinée, le pays risque de sombrer dans la violence.

Pourquoi avez-vous fui la Guinée ?

J’ai fui la Guinée car j’ai été victime d’une tentative d’assassinat par les sbires d’Alpha Condé. Puis j’ai été accusé de tentative de coup d’État et un mandat d’arrêt international a été émis contre moi. Mais visiblement, la France ne veut pas l’appliquer. Elle m’a accordé le statut de réfugié le 13 février.

Quelles sont les conditions pour que vous rentriez en Guinée ?

Il faudrait que le mandat d’arrêt international lancé contre moi soit abandonné ou qu’il y ait au moins des signes d’une quelconque indépendance de la justice en Guinée, que les prisonniers politiques soient libérés et que la liberté d’expression soit respectée. Mais Condé ne changera pas ce qu’il a entrepris, il a une vision très systématique de son action, tout est calculé. Son objectif est la mise en place d’une dictature. Le mien est de l’en empêcher.

Votre exil forcé ne risque-t-il pas de diminuer votre influence sur le terrain ?

C’est un risque mais tant qu’Alpha Condé organisera une mascarade de discussion avec l’opposition, j’aurai mon mot à dire et je garderai mon influence.

Je n’exclus pas des rivalités possibles, mais c’est un détail.

Quels sont vos rapports avec le président de l’Union des Forces démocratiques de Guinée (UFDG), Cellou Dalein Diallo ?

Nous nous appelons régulièrement. La situation est aussi délicate pour lui. Il a espéré en vain pouvoir obtenir des résultats dans le cadre de la concertation avec Condé, même si je l’avais averti du caractère implacable d’Alpha Condé et de ses objectifs dictatoriaux.

N’avez-vous pas peur d’être mis sur la touche par des proches de Cellou Dalein Diallo ?

Je n’exclus pas des rivalités possibles, mais c’est un détail. Je suis un des fondateurs de l’UFDG. En 2007, dans un souci d’ouverture et de rassemblement, nous avons accueilli Cellou Dalein Diallo à la tête du parti. Mais j’incarne, avec d’autres, une légitimité historique. Et actuellement, je ne me sens pas fragilisé, bien au contraire.

Le camp de Condé vous accuse d’être à la tête de l’aile dure de l’UFDG, d’être le meneur d’une ligne pro-peule, ethnocentriste…

Cela n’a pas de sens. Sous la dictature de Lansana Conté, nous nous battions côte à côte avec Condé. Quand il a été arrêté, nous avons manifesté avec son parti le RPG (Rassemblement du peuple de Guinée, NDLR) pour qu’il soit libéré. Dans les années 1990, nous partagions aussi le même combat pour les droits de l’homme.

Y a-t-il un problème ethnique en Guinée ?

Non, pas sur le fond. La classe politique s’appuie sur des contradictions superficielles de la société pour créer et entretenir des réseaux mafieux. Il s’agit de gestion patrimoniale, pour siphonner les ressources du pays. Condé ramène tout à son clan. Il exacerbe les antagonismes ethniques et régionaux afin de « diviser pour mieux régner », au profit d’une vision ethnocentriste mandingue et néo-patrimoniale. Le dernier stade de cette conception est la dictature personnelle de type Sékou Touré, dans laquelle, en termes de développement, toutes les ethnies sont perdantes.

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Propos recueillis par Pierre-François Naudé

 

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