Burundi : Teddy Mazina, photographe et « activiste de la mémoire »
Se définissant comme « activiste pour la mémoire », le photographe burundais Teddy Mazina expose depuis le 3 février, à l’Institut français de Bujumbura, des clichés pris sur le vif qui montrent la dure réalité de l’actualité de son pays.
« Objectifs Amnésie / Devoir de mémoire 2007-2011 » : tel est l’intitulé de la première exposition photographique de Teddy Mazina à Bujumbura. S’il ne remonte pas à la création du monde, le photographe fait un clin d’œil à l’origine des guerres qui ont embrasé le Burundi dans les années 1990 après l’assassinat, en 1993, du président Melchior Ndadaye. Il montre, à cet effet, la résidence du défunt tombée en ruines. Comme pour rappeler que l’histoire contemporaine du Burundi s’est écrite dans le sang. Qu’elle est marquée par des massacres à répétition, des guerres fratricides. Mais également par un long tunnel qui mena à la paix. Ses larmes séchées, on crut le Burundi capable de se débarrasser de ses vieux démons. Erreur, car il s’est remis à jouer à se faire peur. Surtout depuis les élections contestées de 2010. Teddy Mazina, né en 1972, appareil photo au poing, s’est retrouvé au milieu de la tourmente, qu’il a saisie dans ses multiples déclinaisons. Avec un privilège important : être au bon endroit au bon moment.
""Sarcophage ou emballage législatif" : photo prise d’une voiture d’un militant du CNDD (parti au pouvoir au Burundi) après le dernier meeting avant les législatives 2010. Il est fatigué, adossé à mur en plein Bujumbura. Ces élections se terminent par une victoire écrasante du CNDD-FDD et un boycott des partis de l’opposition. Un emballage du parlement avec une majorité à plus de 2/3." Teddy Mazina.
"Regarder l’image sans a priori politique"
Au bout de cette démarche, des images inédites chargées d’une intense émotion. Pour cette première exposition réalisée individuellement, la violence est là, omniprésente. Et la mort gratuitement donnée par des mains invisibles. Mais aussi la contestation menée par ceux qui refusent de courber l’échine. Avec, en toile de fond, un côté peur sur la ville évident. « En tant qu’activiste de la mémoire, c’est pour moi une manière de montrer l’actualité de mon pays, d’être le gardien de ces images qui représentent la réalité telle que je la vois », explique-t-il.
Les images sont en noir et blanc, comme s’il y avait une volonté de replacer l’actualité dans le passé. En réalité, c’est un choix artistique que Mazina justifie : « Nous sommes dans un petit pays où tout le monde se connaît. La couleur peut être perçue comme la représentation d’un camp politique. Le noir et blanc est plus neutre. Il pousse les gens à aller plus loin, à regarder l’image sans aucun a priori politique. Le côté intemporel séduit ».
""Le mort X" : dans la nuit du 14 mai 2010, un membre d’un parti d’opposition burundais est assassiné devant chez lui. Quelques rues plus loin on etrouvera deux autres corps sans vie qui ne seront pas identifiés et dont personne parlera vraiment." T.M.
Le photographe s’est fixé des règles de conduite. Il s’est interdit, par exemple, de montrer les visages de morts par pudeur et respect pour eux. Et aussi pour ne pas choquer ni tomber dans une sorte de voyeurisme. Pourtant, malgré toutes ces précautions, les lieux où ils ont perdu la vie ravivent les souvenirs. Les visiteurs n’ont pas effacé de leurs mémoires des faits qui ont défrayé la chronique. Teddy Mazina se souvient : « Un jour, un jeune homme est venu visiter l’exposition. Il s’est attardé devant une photo représentant un mort. Je me suis approché de lui pour lui demander ce que cela lui inspirait. Il m’a répondu que c’était son frère tué en 2010. Le lendemain, une dame est venue. Elle s’est arrêtée devant la même photo. Elle a enlevé ses lunettes pour essuyer les larmes qui coulaient de ses yeux. Lorsque j’ai cherché à comprendre, elle m’a dit que c’était son fils. J’étais moi-même très ému ».
Les années de guerre
En matière d’engagement, Teddy Mazina n’est pas un novice. Déjà, au début des années 1990, alors étudiant en droit à l’université nationale, il fonde avec d’autres camarades une association dénommée Organisation. Jeunesse. Futur. C’était en 1993, l’année de l’assassinat de Melchior Ndadaye. Ce groupe, qu’il présidait alors, « s’inscrivait en porte-à-faux face aux extrémistes et aux manipulations de tous bords » et prônait la non-violence. Mais le Burundi s’est enfoncé dans la guerre et la division. En 1995, profitant d’un voyage en Allemagne, Teddy Mazina va demander l’asile politique en Belgique. Pendant ces années de plomb, quelque 300 000 de ses compatriotes trouveront la mort. Douze ans plus tard, en 2007, il revient au bercail, déterminé à s’adapter à la nouvelle donne. « Malheureusement, je me suis rendu compte que nous étions en face des mêmes problèmes que par le passé », déplore-t-il.
"Une jeune fille découvre le corps sans vie d’un parent le lendemain du
20 septembre 2011, après le massacre de 39 personnes à Gatumba, à 15 Km de
Bujumbura".T.M.
Constatant avec stupeur que les événements et les massacres du passé ne se trouvaient consignés sur aucun support visuel, il décide alors de se lancer dans la photographie. Dans un premier temps, il prend des photos au quotidien et collabore avec une télévision locale « afin d’être sur le terrain ». En 2010, durant la période électorale, Teddy Mazina crée, avec une consœur, une banque d’images électorales baptisée « Piga Picha 2010, mouvement pour l’image indépendante au Burundi ». Une démarche qu’il poursuit aujourd’hui à travers le Studio Clan-Destin.
La photo est, en définitive, un moyen pour interpeller les consciences. « Je ne crie pas au loup ou à la catastrophe, se défend-il, mais nous sommes dans une situation surréaliste où les gens sont moins touchés par les drames du quotidien. Je voudrais que nous sortions de la banalité, que les gens soient moins indifférents à la mort ». En attendant, Teddy Mazina prépare un travail sur les 50 ans d’indépendance de son pays et un livre sur son parcours personnel.
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Tshitenge Lubabu M.K., envoyé spécial à Bujumbura
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