L’identité qatarie, une idéologie de l’origine
Anie Montigny est anthropologue au Muséum national d’histoire naturelle – Musée de l’Homme à Paris.
Qatar : l’émirat insatiable
Peut-on distinguer une identité culturelle qatarie ? Par rapport aux autres pays arabes du Golfe, comment pourrait-on la définir ? Nous savons que l’identité est une notion floue, qui peut inclure divers critères tels que la langue, l’origine, les groupes sociaux, la citoyenneté… Critères qui, eux-mêmes, sont susceptibles de changer dans le temps selon l’importance attribuée à un déterminant plutôt qu’à un autre. Au plan culturel, elle est une manière de se distinguer de l’Autre. Au plan politique, l’identité nationale est affirmée par l’État. Dans ce cas, elle se constitue par étapes, selon une logique en construction. Aujourd’hui plus qu’hier, l’identité est fondée sur le sentiment d’appartenance nationale. Bien que minoritaires en nombre dans leur pays, les Qataris représentent une minorité dominante par rapport aux trois quarts d’étrangers immigrés.
Pour cela, le père de l’émir actuel a imposé l’idée de citoyenneté en réduisant de plus en plus les prérogatives et les droits acquis par les groupes d’origine bédouine, qui étaient susceptibles d’être en compétition avec l’aristocratie au pouvoir. Car traditionnellement, la concurrence entre groupes tribaux, éleveurs de grand bétail, s’exerçait à la fois sur la capacité guerrière et sur la revendication de l’ascendance généalogique dans la longue durée. Depuis lors, ces tribus doivent loyauté à l’État, quand bien même leurs membres entretiennent des liens de parenté principalement au Bahreïn, en Arabie saoudite et dans les Émirats arabes unis.
L’identité nationale s’est constituée sur l’idéologie de l’origine, en classant les groupes et les familles selon la qualité et la profondeur généalogiques. C’est encore cette idéologie qui fonde la structure sociale et politique du pays. Et elle s’impose comme moyen d’identification et de différenciation des familles entre lesquelles les pratiques matrimoniales sont maintenues. Un autre effet de ce classement à partir de la qualité de la filiation généalogique est la répartition entre deux grandes catégories, selon l’origine arabe ou iranienne. Ainsi les familles d’affiliation tribale sont-elles considérées comme authentiques ; alors que les autres, sunnites ou chiites – qui n’admettent pas toutes une origine iranienne –, se voient attribuer le statut de Qataris par naturalisation, à moins de pouvoir prouver leur résidence au Qatar avant 1920. Il en est de même pour les descendants d’esclaves, leur nom patronymique d’adoption venant témoigner de leur lien ancestral au Qatar.
C’est ce qui fournit la base des données pour l’attribution de la nationalité. Mais cela demeure une question sensible, surtout depuis l’invasion du Koweït par l’armée de Saddam Hussein. Depuis lors, les gouvernements du Golfe sont devenus très soupçonneux, au point de retirer la nationalité à certains et d’en faire des apatrides (les Bidouns). D’autres sont au contraire les bienvenus : sportifs de haut niveau, groupes tribaux… Telle est la stratégie que semble privilégier l’émir actuel. Mais dans ce pays où tous les nationaux se connaissent, qu’une personne vienne à déroger aux règles de la bienséance et l’on fera des commentaires sur son origine qatarie : vrai ou fausse !
La patrimonialisation commanditée par l’État et construite à partir de la notion de turâth (l’héritage culturel) contribue à l’exacerbation du sentiment national. Dès les années 1970, des fouilles archéologiques ont fourni une assise au pays ; et la réhabilitation d’un passé idéalisé à travers les manifestations populaires (patrimoine bédouin, traditions maritimes) confère aux membres de la société une individualité façonnée par une identité unitaire.
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À lire en ligne, deux articles d’Anie Montigny :
– « L’Afrique oubliée des noirs du Qatar », dans le Journal des Africanistes, 72 (2), p. 213-225, 2002.
– « Le turâth comme construction de l’identité nationale au Qatar», dans le Monde arabe contemporain, Cahiers de recherche 1998, Patrimoine, Identité, Enjeux Politique. N°6, 1998
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