Après 10 ans de lutte contre l’excision, où en est l’Afrique ?
Tous les ans depuis 2003, chaque 6 février, les Nations unies célèbrent la journée mondiale de lutte contre les mutilations génitales féminines. Une initiative lancée par Stella Obasanjo, alors première dame du Nigeria. Alors que cette lutte internationale contre l’excision entre dans sa 10e année, où en sont les pays africains ? Qui sont les bons et les mauvais élèves ? Décryptage et cartographie.
Neuf années se sont déjà écoulées depuis que Stella Obasanjo, ancienne première dame du Nigeria, lançait officiellement la lutte internationale contre les mutilations sexuelles féminines dont l’excision. Si l’ONU a fait sienne cette bataille, les résultats sur le terrain demeurent mitigés.
L’Afrique compte à ce jour 92 millions de jeunes filles de 10 ans et plus mutilées sexuellement.
À en croire l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Afrique compte à ce jour « 92 millions de jeunes filles de 10 ans et plus mutilées sexuellement ». Des chiffres qui démontrent à eux seuls l’ampleur du phénomène.
À l’école de la lutte contre l’excision
Après presque une décennie de lutte internationale contre l’excision, « le continent africain n’est toujours pas sorti de l’auberge », avoue Joachim Theis, conseiller régional Afrique de l’Ouest et centrale à l’Unicef. Entre les États où les mutilations génitales des femmes persistent et ceux dans lesquels les efforts de sensibilisation commencent à porter leurs fruits, l’expert a identifié trois catégories de pays.
L’Égypte, la Gambie, la Guinée, le Mali, la Sierra Leone, le Tchad et la Mauritanie se retrouvent parmi « les pays à haute prévalence, à cause de la faible réduction de l’écart entre les mères et les filles excisées (moins de 10 %) ». Dans l’écurie des « pays au taux moyen de prévalence », il place notamment le Sénégal et le Nigeria où « le phénomène recule dans 20 à 40 % des cas ». Dans le rang des bons élèves, il mentionne le Benin, le Niger, le Ghana, le Togo et le Cameroun comme « des pays à basse prévalence, avec une diminution de près de 80 % des femmes qui risquent l’excision ».
Pour établir son classement, le délégué de l’Unicef s’est fondé sur « les chiffres des enquêtes nationales et régionales réalisées ces dernières années par les chercheurs et autres organisations compétentes ». Des chiffres qui viennent corroborer le constat dressé par les institutions spécialisées du système des Nations unies, signataires de la déclaration « Éliminer les mutilations sexuelles féminines ». Ces organismes notent qu’en Afrique, « le rythme général de diminution de la prévalence des mutilations sexuelles féminines reste lent ». La courbe ci-dessous de prévalence estimée pour les femmes âgées entre 15 et 49 ans illustre cette inertie.
Sources : Demographic and Health Surveys (Measure DHS) et enquête à indicateurs multiples de l’Unicef
Lois anti-excision, une "approche inappropriée" ?
Le taux de prévalence dans les pays ayant adopté des lois contre l’excision démontre que les populations restent attachées à leurs us et coutumes.
Pour tenter d’apporter un souffle nouveau dans cette lutte contre les mutilations génitales féminines, une dizaine de pays africains ont adopté des législations spécifiques anti-excision. Une tentative d’imposer la force de la loi sur celle des traditions. « Bonne démarche, mais pas une approche appropriée », nuance Joachim Theis. Le spécialiste de l’Unicef en veut pour preuve « la faible mise en application effective de toutes ces dispositions légales dans les pays concernés ».
Aujourd’hui encore, le taux de prévalence dans les pays ayant adopté des lois contre l’excision démontre que les populations restent attachées à leurs us et coutumes. La cartographie ci-dessous met en exergue les limites de la répression comme moyen de lutte anti-excision.
"Faire reculer l’excision sur le terrain"
Joachim Theis préconise quant à lui une autre approche. « Les mutilations sexuelles féminines en Afrique constituent des normes sociales. Pour les faire reculer, nous devons privilégier un travail de terrain qui passe par l’éducation et sensibilisation des communautés locales », soutient-il. Un credo que partagent de nombreuses ONG spécialisées dans la question.
C’est notamment le cas de l’une d’entre elles, basée en Suisse, Masanga Éducation et Assistance (MEA). Elle intervient dans un village au centre de la Sierra Leone. Sa stratégie : « aller sur le terrain, s’intégrer et agir tout en douceur ». Michèle Moreau, fondatrice de l’association, offre un deal aux communautés bénéficiaires de son programme. « Comme elles s’attachent à des traditions bien établies, nous leur proposons de maintenir les cérémonies d’initiation de leurs jeunes filles, dans le respect de tous les rituels, sauf l’excision ».
En retour, la MEA qui a ouvert une école maternelle dans le village, supporte tous les frais de scolarité des filles dont les parents acceptent cette nouvelle formule. « Aujourd’hui, à Masanga, le nombre de petites filles de moins de 6 ans qui ne sont pas excisées dépassent le nombre de celles qui le sont », se réjouit Michèle Moreau. Une vraie victoire, si petite soit-elle, dans la grande bataille contre l’excision.
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