Financement des ONG : le torchon brûle entre les États-Unis et l’Égypte

Plusieurs ONG américaines sont accusées par les autorités égyptiennes d’activités et de financements illégaux. Une affaire qui contribue à tendre les relations entre les deux pays.

Des soldats égyptiens postés l’ONG National Democratic Institute (NDI), le 29 décembre 2011. © AFP

Des soldats égyptiens postés l’ONG National Democratic Institute (NDI), le 29 décembre 2011. © AFP

Publié le 9 février 2012 Lecture : 4 minutes.

Le 5 Janvier, la justice égyptienne déférait les 44 travailleurs associatifs de 5 ONG devant la cour criminelle du Caire. Ils sont « accusés d’avoir agi sans autorisation pour mener des activités purement politique sans rapport avec un travail auprès de la société civile » a indiqué mercredi l’un des magistrats en charge de l’enquête, Sameh Abou Zeid.

19 citoyens américains sont incriminés et 5 ONG américaines concernées. Accusés de travailler sans permis officiel et d’avoir reçu des financements illégaux de l’étranger, les inculpés ont interdiction de quitter le territoire  jusqu’à leur procès, dont la date n’a pas encore été déterminée.

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D’après Sameh Abou Zeid, les activités des ONG auraient pris une nouvelle dimension après la révolution du 25 janvier qui a conduit à la chute du président Hosni Moubarak. « Elles sont devenues politiques, avec de la formation dispensée à des partis et des tentatives de mobiliser des gens », a ainsi précisé Sameh Abou Zeid.

Tensions diplomatiques

Les événements ont pris un tour politique puisque le pays le plus peuplé du monde arabe reçoit des États-Unis une aide de près d’1,3 milliards d’euros, votée chaque année par le Congrès américain.

Pour Bernard Rougier, directeur du Centre d’études et de documentation économiques, juridiques et sociales (CEDEJ), l’affaire risque de tendre les rapports entre l’Égypte et son allié historique. Signe avant-coureur d’une éventuelle dégradation des relations au sommet : une délégation de militaires égyptiens présente à Washington a annulé mercredi sa rencontre avec des députés américains, prétextant d’un retour précipité au Caire.

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« La délégation égyptienne a écourté son voyage aux États-Unis, car elle a compris que les sénateurs étaient en colère » explique le chercheur qui ajoute : « Obama n’est pas en position de force. Il est conscient des enjeux des relations avec l’Égypte. Mais on est en période électorale, et il vise sa réélection. Ce n’est donc pas le moment d’entrer en conflit avec le Congrès qui est sensible à la situation des ONG ».

Le 6 février, la Maison Blanche réagissait vivement à l’inculpation officielle de ses citoyens qu’elle juge innocents, faisant savoir que les actions des autorités égyptiennes pouvaient « avoir des conséquences » sur les rapports des deux pays « et pour les programmes d’aides » américaines.

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Plusieurs sénateurs ont également pris la parole pour dénoncer la tournure que prenaient les évènements. Parmi eux, le sénateur démocrate Benjamin Cardin, membre de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée, qui appelait dans un communiqué « à réévaluer l’état des relations bilatérales durant cette période de transition », ajoutant que les organisations incriminées « qui ont soutenu les Égyptiens dans leur combat pour la liberté et une démocratie représentative, sont les cibles des vestiges de (l’ancien) régime qui a peur du changement. »

Une opinion publique anti-américaine?

A ce stade, il serait cependant précipité de parler de rupture. « Il n’y aura pas de suppression de l’aide américaine, mais des signaux vont être envoyés : on peut assister à une diminution de l’aide, à sa conditionnalité. Mais du côté Égyptien, ça risque de mal passer et les autorités peuvent être tentées d’affirmer une position souverainiste sous la pression de l’opinion publique », ajoute Bernard Rougier.

Une opinion publique qui reste en effet majoritairement opposée à une ingérence américaine dans les affaires interne du pays : un sondage, publié lundi 6 février par le centre de recherche économique et sociale Gallup, montre que près de 71% des Égyptiens refusent l’aide économique versée par les États-Unis à l’Égypte, alors que 74% se disaient contre le soutien financier apporté par les États-Unis aux associations de la société civile.

Pour Robert Springborg, spécialiste du monde arabe et professeur à l’école navale américaine, les militaires égyptiens tenteraient d’exploiter cet anti-américanisme ambiant pour se refaire une image. « Le Conseil suprême des forces armées a été affaibli par la transition politique du pays et l’arrivée au pouvoir des Frères musulmans » explique Springborg qui ajoute que le Conseil « essaye donc de pousser les Etats-Unis à agir, pour ensuite avoir une réaction "patriotique" qui améliorera sa popularité, voire lui permettra d’assurer son emprise politique. »

C’est donc sans crainte de répercussions médiatiques négatives que le Premier ministre Kamal al-Ganzouri indiquait mercredi 8 février que la justice suivrait son cours, même si cela devait impacter les relations des deux pays, et menacer le paiement des aides américaines.

De son côté, Emad Abdel Ghaffour, président du parti salafiste al-Noor a fait savoir dans une interview avec l’agence d’information Reuters que son parti avait participé à une formation organisée par l’Institut démocratique national, une des ONG américaines concernées par la procédure judiciaire.

« Je ne crois pas que les activités auxquelles nous avons participé violaient la loi. Nous avons vu comment mesurer l’opinion publique, rédiger des manifestes de parti », précise le président de la seconde force politique du parlement égyptien qui ajoute : « il est indéniable que c’est une manière d’enrichir la vie politique. »

En septembre, les autorités égyptiennes ont lancé une enquête concernant le financement des ONG, après les déclarations de l’ambassadrice des États-Unis en Égypte, Ann Patterson, qui faisait savoir que son pays avait distribué 35 millions d’euros à des ONG locales. Le 29 décembre déjà, 17 locaux d’ONG égyptiennes et internationales avaient été perquisitionnés.

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