Le conflit au Soudan, grand oublié de l’UA
Zachary Vertin est analyste en charge du Soudan et du Sud Soudan pour l’International Crisis Group (ICG).
Lors du dernier sommet annuel de l’Union africaine (UA), à Addis Abeba, les chefs d’États africains y ont passé en revue les problèmes du continent, à l’exception toutefois d’une crise majeure. La guerre persiste dans les régions des monts Nuba et du Nil Bleu au Soudan, et selon les experts, l’insécurité alimentaire y atteindra le niveau de famine dans moins d’un mois. Alors que Khartoum empêche l’accès aux territoires les plus affectés par la crise et que les États-Unis cherchent des moyens alternatifs à cet échec humanitaire, les États africains auraient pu négocier une solution et assumer le rôle qui est le leur.
Depuis juin, Khartoum s’est engagé dans une guerre impitoyable avec les forces d’opposition, d’abord dans le Kordofan du Sud, puis dans le Nil Bleu – deux États alignés avec d’autres régions marginalisées lors de la guerre civile. Leurs populations protestent contre un problème structurel : la centralisation de la richesse et du pouvoir à Khartoum au détriment des périphéries. À la suite de la guerre civile, la difficulté à trouver de nouveaux arrangements politiques et sécuritaires dans ces régions a provoqué le regain des violences, de la souffrance et des déplacements de population.
Outre l’interruption du commerce dans les aires de conflit, le gouvernement a délibérément bloqué l’accès des organisations humanitaires aux civils les plus touchés par la crise.
En novembre, Barack Obama a dépêché des hauts responsables de sécurité à Khartoum, exhortant la capitale à ouvrir un couloir humanitaire « suffisant et durable » et plaidant pour qu’un dialogue soit établi en vue de la résolution du conflit. Méfiant, le Parti du congrès national (PCN), actuellement au pouvoir, a rejeté ces sollicitations. Réticent à cesser sa campagne militaire et sceptique quant à la consistance des propositions de Washington, il n’a même pas daigné y répondre.
Ainsi, malgré les tentatives des Nations unies pour trouver les termes d’un accord, la collaboration de Khartoum reste minimale. Face à ce refus de coopérer, Washington a étudié la possibilité d’un plan B, à savoir une assistance interfrontalière qui verrait le jour sans le consentement de Khartoum.
Les États-Unis ont analysé cette ultime option en profondeur, y compris ses risques. Toute forme d’accès non-consensuel pourrait provoquer une réponse hostile de Khartoum et entraîner la détérioration des relations soudano-américaines. De même, les États africains déjà circonspects face à l’intervention internationale en Libye seraient consternés. Mais dans la mesure où Khartoum ne donne aucun signe favorable de coopération, les États-Unis sont pressés d’agir avant que le monde n’assiste, impuissant, au déploiement d’une nouvelle catastrophe humanitaire. Ceci dit, l’alternative négociée avec Khartoum l’emporte largement sur le plan B, étant donné les conséquences néfastes que ce dernier engendrerait. Avec le sommet des 29 et 30 janvier, l’Union africaine disposait d’une belle opportunité. Elle aurait pu atténuer une crise et de la sorte assurer la stabilité régionale à moyen terme. Il en allait de sa réputation ainsi que de son rôle d’acteur dans les affaires mondiales.
Certes, l’UA s’est engagée à plusieurs reprises. Afin de faciliter la résolution des conflits soudanais en suspens, elle a désigné une équipe de médiation dirigée par l’ancien président de l’Afrique du Sud, Thabo Mbeki. Il s’agissait là d’une entreprise d’envergure qui incluait des réformes de gouvernance, l’accès humanitaire et la sécurisation des deux zones. En décembre, son président a envoyé une lettre à Khartoum proposant de gérer le déploiement humanitaire. Et, plus récemment, l’UA s’est jointe à d’autres acteurs pour contrôler la distribution de l’aide internationale et rassurer les donateurs quant à la bonne répartition des provisions.
Mais l’Union africaine doit s’engager davantage. L’Afrique a l’occasion d’agir sur deux fronts. Afin de mettre un terme aux perceptions d’inertie qui l’accablent, l’UA doit reprendre vigueur et forger une solution régionale qui comprenne les efforts multilatéraux déjà entamés. Certains États africains d’avis que les États-Unis empiètent sur leur souveraineté se trouveraient ainsi apaisés. Par ailleurs, les dirigeants de l’UA qui disposent de contacts à Khartoum doivent convaincre le PCN qu’un accès négocié est à la fois nécessaire et dans l’intérêt du parti. Une intervention externe serait politiquement dommageable pour le régime soudanais. À une époque où il a besoin d’assistance pour sortir de ses difficultés économiques, il apparaîtrait faible et belligérant aux yeux de la communauté internationale.
Il est plus que temps que l’Union africaine assume un rôle de premier plan. Suite au sommet, l’UA aurait dû étayer un plan de médiation entre le gouvernement soudanais et les travailleurs humanitaires internationaux. De même, elle aurait dû inciter Khartoum à respecter les impératifs politiques et négocier avec l’opposition. Les populations civiles ont droit à de l’assistance et la sécurité du personnel humanitaire doit être assurée.
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