Médias : à l’aube d’un nouvel âge d’or de la télévision algérienne ?
Le décès fin décembre 2011 d’Abdou Bouziane qui avait ouvert la télévision publique algérienne à la critique au début des années 1990, a ravivé le souvenir d’une « époque dorée » qui fait aujourd’hui écho aux velléités politiques d’ouverture de l’audiovisuel. Le lancement le 15 janvier dernier de « Jil FM » (« Génération FM »), une radio destinée « à la jeunesse », témoigne des réformes en cours. Même si celles-ci restent encore relativement timides.
La presse algérienne a été unanime à saluer la mémoire d’Abdou Bouziane, ex-directeur général (1990 à 1991 et 1993 à 1994) de l’Entreprise nationale de télévision (ENTV), décédé à la fin du mois de décembre dernier. Elle l’a célébré comme « l’homme qui a déverrouillé la boîte noire de l’ENTV » et en a profité pour se remémorer le souffle de liberté qui était passé sur les ondes algériennes, après la révolte d’octobre 1988 (fin du parti unique, liberté de la presse), et avant que la guerre contre les islamistes n’emporte tout.
Lorsque les autorités décident de lâcher la bride de la télévision, en 1990, elles s’appuient sur la radio publique, qui livre depuis plusieurs années déjà une bataille à Medi 1. « Cette radio marocaine avait commencé au début des années 1980 à diffuser des artistes populaires interdits en Algérie et à s’exprimer en darija (arabe parlé) et français, explique un ancien de la Radio télévision algérienne (RTA). Les auditeurs algériens ont tout de suite suivi, d’autant que nous étions toujours avec nos chanteurs officiels et notre arabe classique… » La Radio Alger chaîne 3 (en français) est la première à concurrencer Medi 1 sur son terrain, ce qui explique que nombre de ses animateurs rejoindront Abdou Bouziane lorsqu’il sera nommé à la tête d’ENTV par le Premier ministre réformiste de l’époque Mouloud Hamrouche.
Voir une émission de "Bled Music" :
Quand Mohammed VI regardait "Bled Music"
C’est le cas notamment de « Kamel Dynamite ». Animateur de « Local Rock », il lance « Bled Music » (voir vidéo ci-dessus) avec « Farid Rocker » et « Samia ». Fausses pubs, artistes détonants, problèmes politiques et sociaux abordés sous le ton de l’humour dans la rubrique « Johnny marre », c’est l’émission phare de l’époque. Cependant, même s’il est soutenu par son directeur général, Kamel doit éviter de nombreuses embuches. « Le système n’avait pas vraiment changé… », confie-t-il. Payé à peine 2 225 dinars l’émission, il découvre de nouveaux talents à ses frais et se débrouille pour obtenir caméras et cassettes. Alors que la situation se tend avec la montée du Front islamique du salut (FIS), « Bled Music », ses artistes rebelles, ses femmes et son franc-parler battent tous les records de popularité à l’indice de la rue. Même en Tunisie et au Maroc, où l’émission est vendue en cassette : « Mohammed VI lui-même la regardait, assure Kamel. Je le tiens de l’un de ses amis qui y participait. »
La nouvelle ENTV, c’est aussi une chaîne d’information reprise par ses concurrents, notamment pour sa couverture de la guerre du Golfe. Ce sont alors des débats mémorables, comme celui qui avait opposé Abassi Madani, numéro 1 du FIS, à Saïd Sadi, président du parti laïque du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD). Des questions taboues de l’histoire contemporaine algérienne y sont abordées. Les propos de Louisa Hanoune, présidente du Parti des travailleurs, contre le soutien égyptien à la guerre en Irak, conduisent même à une mini-crise avec Le Caire, bien avant celles provoquées au début des années 2000 par Al-Jazira. C’est là le regret des anciens « réformistes » de l’ENTV : n’avoir pas saisi l’occasion donnée à l’Algérie de devenir un leader médiatique alors que ses anciens journalistes font aujourd’hui le bonheur de la chaîne qatarie.
Une autre émission de "Bled Music" :
L’ouverture tant attendue…
Car dès 1992, suite à l’arrêt du processus électoral remporté par le FIS, la porte entrouverte commence déjà à se refermer, ne laissant plus apparaître qu’un entrebâillement, avant de redevenir totalement hermétique en 1994. Des journalistes sont directement visés par des actes terroristes alors que la propagande reprend le dessus au niveau éditorial. Même Bahdja (surnom d’« Alger »), une radio à dominante musicale créée en 1991 pour les jeunes, est récupérée.
Quelque vingt ans plus tard, à la mi-janvier 2012, c’est justement une radio « 100% jeunesse », « Jil FM » (« Génération FM »), que les autorités ont mis en onde, en posant l’un des premiers actes de l’ouverture de l’audiovisuel promise en 2011 par le président Abdelaziz Bouteflika. Cela en attendant l’ouverture au privé, à laquelle les magnats de la presse se préparent. De son côté, Kamel Dynamite, qui a récemment échoué à revenir avec un « Spécial 20 ans » de Bled Music, avec son comparse Aziz Smati (paraplégique après avoir échappé à un attentat en 1994), reste peu confiant « dans la capacité du système à changer seul. Mais je ne perds pas espoir, dit-il. Je connais quelqu’un qui est resté 22 ans au chômage et qui est devenu président de la République algérienne. »
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Par Saïd Aït-Hatrit, à Alger
Voir aussi cette émission de débat sur l’ENTV où Abassi Madani, numéro 1 du FIS, est notamment interrogé par l’actuelle ministre de la Culture, Khalida Messaoudi, alors dans le public.
khalida messaoudi (kabyle)-abassi madani et les… par algerien_pompier
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