Ziyed Krichen : « Les salafistes tunisiens ont mis mon nom sur une liste »

Le 23 janvier, à la sortie du procès Persepolis qui se tenait à Tunis, le journaliste Ziyed Krichen et l’universitaire Hamadi R’Dissi ont été violemment frappés par un manifestant salafiste devant les objectifs de nombreuses caméras. Encore sous le choc de cette agression, dont les images ont été largement diffusées sur internet, le journaliste revient sur le déroulé des événements.  

Z. Krichen (à g.) et H. R’Dissi après avoir été agressés par des salafistes, le 23 janvier. © Youtube

Z. Krichen (à g.) et H. R’Dissi après avoir été agressés par des salafistes, le 23 janvier. © Youtube

Publié le 30 janvier 2012 Lecture : 4 minutes.

Le 23 janvier, en marge du procès intenté contre la chaîne de télévision Nessma, poursuivie devant un tribunal tunisien pour avoir diffusé le film d’animation Persepolis jugé blasphématoire, un groupe de salafistes a brutalement agressé le journaliste Ziyed Krichen, directeur de publication du quotidien "el Maghreb".  Diffusées sur le net et sur les réseaux sociaux, les images ont choqué la classe politique et l’opinion tunisienne. Pour les lecteurs de Jeune Afrique, le journaliste revient sur le déroulement des faits qui l’ont profondément traumatisé.

Jeune Afrique : Avez-vous été surpris par l’agression que vous avez subie, le 23 janvier, de la part d’éléments salafistes ?

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Ziyed Krichen : Oui et non. Je sais, par expérience, que les rassemblements de militants salafistes s’accompagnent le plus souvent de violence verbale ou physique. Mais ce jour-là, je ne couvrais pas une manifestation politique mais un procès qui m’interpelle puisque l’enjeu tournait autour de la liberté d’expression. En arrivant devant le tribunal, à 10 heures, j’avais noté la présence de quelques 200 salafistes qui scandaient des slogans hostiles à la presse, et à mon égard dès lors que certains manifestants m’avaient reconnu. Cela  dit, j’ai pu entrer dans l’enceinte du tribunal. Au bout de deux heures, l’audience a été suspendue.

Sans doute ai-je sous-estimé la menace, j’ai décidé de sortir du palais de justice, en compagnie de l’universitaire Hamadi R’Dissi, pour prendre un café dans le quartier. Une fois dehors, j’ai entendu plusieurs manifestants criaient « c’est Krichen, c’est Krichen ! ». Ils nous ont entourés, les quolibets fusaient de partout puis ce fut des crachats et enfin des coups. J‘avais dit à mon compagnon de ne pas répondre aux provocations. Quand l’un des excités m’a asséné un coup sur la tête, R’dissi s’est tourné vers mon agresseur qui lui a assené un coup de tête, lui provoquant  un traumatisme crânien. 

Vidéo de l’agression de Ziyed Krichen.

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Par ailleurs, les forces de l’ordre ont été totalement absentes pendant cette manifestation. Il y avait à moins de 100 mètres du lieu de l’agression, un poste de police et tous les agents s’y trouvaient cloîtrés malgré le climat explosif qui a régné dans le quartier. Au cours de l’agression, il y avait une dizaine de photographes qui prenaient des photos et des images vidéo. Aucun d’eux n’est intervenu pour nous aider.

Leur en voulez-vous de ne pas être intervenu ?

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Je suis de la corporation, je comprends qu’ils choisissent de continuer à travailler. Mais tout de même, il y avait risque de mort d’homme. Finalement un policier est venu et nous a emmenés au poste de police. Ce qui nous a sans doute sauvé la vie.

Que s’est-il passé dans ce commissariat ?

S’il est vrai que la police nous a protégés, elle n’a, à aucun moment, inquiété les auteurs de l’agression. Ils ont recueilli notre déposition, nous ont demandé si nous portions plainte. Notre réponse était évidemment affirmative. Lorsque nous sommes arrivés au poste, l’attitude de l’officier était ambiguë. Il nous reprochait d’avoir provoqué les manifestants, et d’avoir pris des risques inconsidérés. Après une quarantaine de minute, il s’est fait mielleux et a changé de comportement à notre égard. J’ai compris qu’il avait certainement reçu des instructions de sa hiérarchie. Plus tard, j’ai appris qu’il s’agissait du ministre de l’Intérieur, Ali Laaridh. Il faut dire que la nouvelle de l’agression a fait le tour de Tunis, provoquant émotion et indignation.

J’ai quitté le poste sous escorte policière à 13 heures. Deux heures plus tard, le Premier ministre, Hamadi Jebali a condamné l’agression devant l’Assemblée nationale constituante [ANC, NDLR] et promis que les auteurs seront punis par la justice. Mais je ne me fait pas d’illusions. Quinze jours auparavant, un journaliste a subi le même type d’agression et le gouvernement a promis de poursuivre les auteurs qui, comme dans notre cas, ont été identifiés et localisés, mais n’ont jamais été inquiétés à ce jour. Selon moi, le gouvernement, Ennahdha donc, est en butte avec les partis de gauche et ne veut aucunement ouvrir un front à sa droite, c’est-à-dire, avec les salafistes.

Cette agression vous a-t-elle incité à prendre des précautions particulières ?

À la suite de la publication dans notre journal d’une série d’enquête sur les comportements salafistes, nous avons reçu de nombreuses menaces de mort. Nous avons informé les forces de l’ordre qui ont dépêché une dizaine d’agents dans le quartier où se trouve notre siège. Quelques jours plus tard, ils ont sans doute estimé que la menace n’était pas sérieuse, ils sont repartis. Les moyens de notre publication ne me permettent pas de payer des gardes du corps.

Avez-vous changé vos habitudes en fonction de cette menace ?

J’essaie de sortir du traumatisme psychologique de ces événements. Je continue de venir tôt au journal, d’en repartir tard, après le bouclage. Je sais que ce mouvement est porteur d’une extrême violence. Y compris entre les différents courants salafistes. Je suis quelque peu fataliste et je me dis que quelles que soient les précautions que l’on prend, nul n’est à l’abri d’un fou furieux convaincu d’accélérer son accès à l’éden s’il élimine un « apostat ». Et je sais que mon nom figure dans une liste des "mécréants" établie par les salafistes tunisiens.

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Propos recueillis à Tunis par Cherif Ouazani, envoyé spécial

 

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