Incendie du boulevard Auriol à Paris : « L’enquête a été bâclée de manière scandaleuse »

Le 19 janvier, le tribunal correctionnel de Paris a condamné deux personnes morales – une association et une société – pour l’incendie du boulevard Vincent-Auriol à Paris, en 2005. Le drame avait provoqué la mort de 17 personnes d’origine africaine, dont 14 enfants. L’avocat de deux des familles de victimes, Maître Olivier Tiquant, réagit au jugement. Interview.

L’incendie ravage un immeuble du boulevard Vincent-Auriol, la nuit du 25 au 26 août 2005 à Paris. © Pierre Racine/AFP

L’incendie ravage un immeuble du boulevard Vincent-Auriol, la nuit du 25 au 26 août 2005 à Paris. © Pierre Racine/AFP

Publié le 21 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.

Jeune Afrique : Pourquoi le procès s’est-il tenu en deux temps ?

Maître Olivier Tiquant : En mars 2011, nous sommes arrivés dans une salle si exigüe que toute l’assistance ne pouvait pas s’asseoir, sans compter que les micros ne fonctionnaient pas ! L’audience n’était pas du tout organisée, ce qui est extrêmement choquant. Aussi, nous avons été dans l’obligation de changer de salles à plusieurs reprises. C’est pourquoi les avocats de la défense et des parties civiles ont demandé au tribunal le report de la date du procès afin de l’organiser dans des conditions normales. Cela a été le cas lors de la deuxième audience, aux mois de septembre et octobre derniers.

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Comptez-vous interjeter appel de la décision du tribunal correctionnel de Paris ?

A priori, non. L’objet de ce procès n’était pas de trouver le criminel, mais simplement de sanctionner la négligence de l’association Freha et de la société PCB. Le tribunal les a reconnus coupable d’homicide involontaire et a indemnisé les victimes. Sur ce sujet précis, je considère la décision comme satisfaisante.

Mais le jugement n’est-il pas frustrant pour les familles des victimes ?

Les policiers ont manqué de détermination dans la recherche de l’incendiaire.

Bien sûr, mais cette frustration est également liée à l’ensemble de l’enquête menée depuis 2005. Les policiers ont manqué de détermination dans la recherche du véritable coupable. Aujourd’hui, nous ne connaissons toujours pas l’identité de l’incendiaire et cela empêche les familles de faire le deuil de ces disparitions. Sans compter que l’État a été mis hors de cause. Pour toutes ces raisons, la décision du 19 janvier a en effet été accueillie avec une certaine froideur.

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Justement, pourquoi l’État n’a-t-il jamais été inquiété alors qu’il a manifestement failli à ses obligations en ne relogeant pas les habitants de l’immeuble ?

Les familles des victimes, qui se sont constituées parties civiles, demandaient la mise en cause de l’État pour n’avoir pas vérifié que l’association Freha respectait bien son obligation de réhabiliter l’immeuble. Pendant quinze ans, toutes les autorités administratives se sont satisfaites de cette situation qui était pourtant extrêmement dangereuse ! Or, la Cour d’appel a considéré que les représentants de l’État n’avaient pas commis de faute pénale directe. En revanche, ce dernier a très certainement engagé sa responsabilité, mais cela devrait être traité dans le cadre d’un procès administratif.

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Quels sont selon vous les vrais responsables dans cette affaire ?

Sur le plan criminel, l’unique responsable est l’incendiaire. Mais, les expertises ont révélé que si PCB n’avait pas, sur ordre de Freha, posé de contreplaqué sur les murs de l’entrée du bâtiment, le feu se serait limité à la cage d’escalier et n’aurait pas envahi les étages. Par conséquent, si elles ne sont pas de la même gravité sur le plan moral, les responsabilités sont partagées. Le criminel, s’il est retrouvé, risque la prison à vie tandis que les deux personnes morales n’encouraient qu’une peine d’amende, à laquelle elles ont d’ailleurs été condamnées.

Le responsable de l’enquête a avoué que l’éventualité d’un incendie raciste ne lui avait même pas traversé l’esprit

Peut-on parler d’une enquête bâclée ?

Tout à fait et elle l’a été de manière scandaleuse. Le responsable de l’enquête, présent à l’audience, nous a très clairement démontré son manque de volonté. Par exemple, au cours de l’instruction, les familles avaient demandé que soit lancé un appel à témoins, puisque l’enquête s’enlisait. Le juge d’instruction a refusé au motif que les faits étaient trop anciens et qu’une enquête de voisinage avait déjà été effectuée. Lorsque le policier a été interrogé, il a avoué avoir refusé d’organiser cet appel car, selon lui, il y a traditionnellement 80% d’échecs. Les 20% de chances d’avoir une information pertinente ont donc été complètement négligées !

La police n’a donc pas suivi toutes les pistes ?

La réponse est non. Seules des familles africaines résidaient dans l’immeuble. Or, le policier a avoué que l’éventualité d’un incendie raciste ne lui avait même pas traversé l’esprit.

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Propos recueillis par Justine Spiegel
 

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