Égypte : matraquez, vous êtes filmés !
Lancées par de jeunes activistes égyptiens, deux initiatives visent à combattre la désinformation et la répression menée par le Conseil suprême des forces armées (CSFA). À l’aide de leurs caméras, ces révolutionnaires d’un nouveau genre n’ont qu’un mot d’ordre : filmer pour résister.
Ils sont jeunes et déterminés à protester contre la manière dont le Conseil suprême des forces armées dirige la transition en Égypte. Participant à toutes les manifestations, ils s’évertuent à témoigner de la répression militaire et policière, pour mieux l’exposer et la dénoncer publiquement.
Leur arme : l’audiovisuel. Mosireen (déterminés, en arabe) est l’un des premiers collectifs à avoir développé ce nouveau concept de lutte. Avec succès : depuis l’ouverture de leur compte Youtube, en août 2011, les jeunes révolutionnaires ont posté pas moins de 62 vidéos qui ont été visionnées 2 500 000 fois. Elles montrent des témoignages de manifestants torturés, mais aussi des violences militaires et policières. Sur cette vidéo, tournée le 16 décembre, on peut voir des soldats lancer des pierres sur des manifestants, du haut du toit de l’Assemblée nationale :
« Notre spécificité vient du fait que nous sommes des activistes, nous sommes au cœur des événements, nous filmons ce qui se passe de l’intérieur », explique Salma Saïd, membre du collectif. Mosireen, qui a vu le jour quelques mois seulement après la révolution du 25 Janvier qui a mené Moubarak à sa chute, est géré par environ sept militants. Mais ils sont beaucoup plus nombreux, une cinquantaine, à graviter autour du noyau dur de l’organisation, qui propose des ateliers de travail pour enseigner aux amateurs les techniques de montage et de réalisation.
Journalisme citoyen
« Nous voulions proposer un endroit qui serve les journalistes citoyens, un endroit où ils puissent travailler, faire leur montage », affirme Salma Saïd. Le collectif est également en train de mettre en place les archives de la révolution. « Nous sommes en train de réunir le plus de données possible, et l’on essaye de voir avec d’autres groupes révolutionnaires comment on peut unifier le projet », explique Salma.
Toutes ces images, Mosireen les diffuse place al-Tahrir (voir photo ci-contre, Tahrir cinéma, le 5 décembre 2011, © Flick’r/CC/Mosireen), lors de grandes manifestations. Une manière de sortir du cercle très fermé des activistes du Net. Sur son blog, Omar Robert Hamilton, membre de l’association, raconte comment les premières projections ont été accueillies par un vieil homme, venu spécialement de Tanta, un petit village au nord du Caire, pour passer la journée sur la célèbre place.
« Il m’a serré la main fermement pour me remercier de tout le travail que nous avons effectué (…). Pendant des mois, il a eu le sentiment que la télévision officielle lui mentait, et maintenant, en regardant les images du 28 janvier sur notre écran de fortune en bois et en plastique, il en est persuadé. Il me dit que nous devons amener ce cinéma à Tanta (…).»
Une jeunesse déterminée
Aujourd’hui, grâce à 3Askar Kazeboon (militaires menteurs), c’est chose faite. Le concept est simple : avec un projecteur, un écran et un ordinateur portable, Kazeboon organise dans la rue la projection d’images chocs. « On essaye de construire une histoire : par exemple, on va montrer des extraits de militaires du Conseil suprême affirmant que l’armée n’a pas utilisé la force contre les manifestants, et juste après, des images qui témoignent du contraire », explique Reem Daoud, membre de l’association.
« Kazeboon utilise beaucoup nos vidéos [de Mosireen, NDLR]. Ils ont développé le concept en l’élargissant à tout le pays », explique Salma Saïd. Cette seconde initiative a vu le jour lors des derniers affrontements du 16 décembre, qui ont opposé manifestants et soldats de l’armée. « Nous sommes sept à gérer 3Askar Kazeboon, chacun représentant une association révolutionnaire différente », indique Reem Daoud.
Kazeboon se veut un mouvement décentralisé. « Nous n’aurions jamais cru que ça allait prendre une telle ampleur. Mais les gens ont commencé à organiser eux-mêmes les projections. Jeudi dernier, il y en a eu 14 au Caire. Quatre seulement ont été préparées par nous », s’exclame Salma.
Un exercice qui n’est pas sans danger, puisqu’à plusieurs reprises, les séances de diffusion ont été attaquées, par les forces de l’ordre ou par des civils. Sur cette vidéo ci-dessous, tournée le 29 décembre 2011, on voit les spectateurs tenter d’empêcher un intrus d’interrompre une projection dans le quartier huppé de zamalek :
« Il arrive que l’on soit attaqué par les baltaguiyas (petites frappes) du régime. Mais globalement la réaction des gens est positive, soit ils passent leur chemin où alors ils sont en empathie avec nous », tempère Reem, qui recommande cependant de ne jamais être moins de 40, pour « limiter les risques ».
Si de telles initiatives ont vu le jour, c’est parce qu’une grande partie des révolutionnaires égyptiens estiment que les médias traditionnels n’assument pas correctement leur rôle d’informateurs.
Médias alternatifs
« Les médias publics sont au service de l’État, ils diffusent des mensonges où ils omettent de parler de certains évènements », affirme Salma Saïd, qui ajoute que même les privés ont leurs limites : « ils dépendent des hommes d’affaires et ils ont des lignes rouges à ne pas franchir imposées par l’État. »
Affiche du collectif Mosireen, Flick’r/CC/Mosireen
Pour beaucoup, la liberté d’expression et l’indépendance des journalistes restent limitées. En septembre, une circulaire a ainsi été adressée par fax à tous les directeurs des rédactions égyptiennes, leur demandant de ne publier « aucune information, déclaration, photo ou critique concernant les membres du CSFA. »
Plus récemment, le 21 octobre, le célèbre présentateur d’une émission politique, Yossri Fouda, a pris la décision de suspendre son programme, après que des directives gouvernementales ont tenté de lui imposer un invité sur son plateau. Il a depuis retrouvé sa place à l’antenne.
Pendant les affrontements du 16 décembre, Mosireen a fait directement l’expérience de la censure qui pèse sur ceux qui veulent informer librement. « Nous filmions les événements depuis un appartement privé. La police a investi les lieux, et a confisqué le matériel. Plus tard, nous les avons vus détruire nos caméras. Nous avons porté plainte, mais rien n’a été fait pour le moment. »
Atelier de travail organisé par Mosireen : recueillir les témoignages de victimes.
© Flick’r/CC/Mosireen
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