Côte d’Ivoire : les voeux de lumière et de réconciliation d’un sapin numérique
Pour les fêtes de fin d’année, la capitale économique de Côte d’Ivoire, Abidjan, s’est illuminée de tous ses feux. Joyau de ce dispositif, un sapin numérique de cinq tonnes trônant sur l’ancienne place du marché du quartier d’affaires du Plateau, non loin de la présidence.
Il est 18 heures, ce jour de Noël. La lagune ébrié s’apprête à disparaître dans la nuit abidjanaise, emportant dans son sommeil les derniers reflets du soleil de décembre. Paré de mes perles lumineuses, je m’apprête à régner sur la commune la plus dynamique de la Côte d’Ivoire, cœur administratif et quartier d’affaires de la capitale économique : le Plateau. Je suis le sapin numérique de cinq tonnes qui, à la nuit tombée, concentre tous les regards et relègue dans l’ombre le palais présidentiel où, à deux pas d’ici, se sont succédés Félix Houphouët-Boigny, Henri Konan Bédié, Robert Guéi, Laurent Gbagbo et, aujourd’hui, Alassane Ouattara.
Mon trône, c’est l’ancien marché du Plateau. Réhabilité pour l’occasion, l’espace était inoccupé depuis que les commerçants qui s’y étaient installés avaient été déguerpis, il y a de cela plusieurs années. Il est vrai que je ne peux me comparer aux lumières exaltées des Champs Elysées à Paris, mais je m’enorgueillis d’être le premier sapin numérique à briller de ses mille feux pendant les fêtes de fin d’année en Afrique.
Le 21 décembre, à quelques jours de la fête de la nativité, j’ai eu quelques appréhensions, avant ma mise en service. La première dame Dominique Ouattara, accompagnée de hautes personnalités du pays, dont le gouverneur du district d’Abidjan, Robert Beugré Mambé et le maire du Plateau, Noël Akossi Bendjo, a elle-même actionné le levier du groupe électrique qui donne sa sève à mon système électronique, pour me faire briller. Mais tout s’est bien passé. Et en un clic, Abidjan, l’ex-perle des lagunes, est devenu – par endroits -, la perle des lumières.
Renaissance
« Ces lumières illuminent le cœur des Ivoiriens et symbolisent la renaissance de la Côte d’Ivoire », a déclaré la première dame, à ma grande joie. Un message d’espoir dans lequel elle a invité les hommes au pardon et à la réconciliation. « Rêvons ensemble d’une Côte d’Ivoire merveilleuse où nos différences feront nos forces et notre beauté », a-t-elle souhaité. Pour ma part, je me réjouis de ne pas être le seul à incarner ce « renouveau, l’image d’une Côte d’Ivoire que nous voulons brillante et belle ».
Du haut de mes 30 mètres, appuyé sur mon large socle, je vois le boulevard de la République, devenu mythique pour avoir abrité sur sa place éponyme tant de manifestations patriotiques, la dernière étant la veillée de prière patriotique organisée par Charles Blé Goudé, quelques jours avant la chute de Laurent Gbagbo. Ce boulevard que les autorités rêvent de faire le plus beau d’Afrique est illuminé pour les fêtes jusqu’à l’ancienne place de la Sorbonne, autre vestige du pouvoir Gbagbo, rasée par les engins furieux de « Maman Bulldozer », alias Anne Ouloto.
Je suis fier de voir un véritable déferlement humain, chaque soir jusqu’à l’aube, parcourir ce boulevard dans les deux sens. De ma forme pyramidale et de ma cime pointue, je distingue d’autres lumières sur les ponts Houphouët-Boigny et De Gaulle qui relient le Plateau aux autres communes d’Abidjan sud. De ma position dominante, je vois les couleurs arc en ciel qui illuminent les dizaines d’étages de l’hôtel Ivoire, non totalement réhabilité, et les guirlandes lumineuses du boulevard lagunaire où viennent échouer les vagues timides d’une lagune ébrié aux relents parfois insupportables.
Marée humaine
Très loin, sur la route qui mène à l’aéroport Félix Houphouët-Boigny de Port-Bouët, je me délecte des lumières qui flottent à quinze mètres du sol. Un beau spectacle qui accueille le visiteur et qui va au moins le rassurer dans un pays où les Forces républicaines de Côte d’Ivoire (FRCI) sont passées de statut de « sauveur » de la démocratie à celui de bourreau des civils.
Lors du réveillon de Noël, j’ai été surpris par la marée humaine qui est arrivée à mes pieds, me tripotant, posant à mes pieds et se faisant immortaliser. Je me suis réjoui de voir des Ivoiriens si heureux. Mais certains comportements politiques m’ont déçu. J’ai été choqué de la chanson improvisée par un groupe de femmes arrivées de la commune d’Adjamé, réputée alassaniste, qui reprenait une chanson culte, en dioula, des campagnes électorales du Rassemblement des républicains (RDR, parti d’Alassane Ouattara) : « ADO pissanci, amanhi dèh ». Traduction : « Ouattara est puissant ».
Ce genre de comportement venant d’une poignée de supporteurs zélés m’a fait d’autant plus de peine que je ne brille pas de toutes mes lumières seulement pour les pro-Ouattara, mais pour tous les Ivoiriens, qu’ils soient pro-Gbagbo, pro-Bédié, pro-Ouattara, et même pro-Personne. J’ai dès lors compris les méchancetés gratuites lancées dans certains milieux patriotiques pro-Gbagbo à Yopougon, Accra, et jusqu’à Paris, tendant à me comparer, moi et les autres luminaires, à des illuminati.
Que n’ai-je donc pas entendu ? « Des lumières maçonniques », des « figurines de l’Égypte pharaonique mystique », des « signes du diable », etc. Et pourtant, je ne suis qu’un sapin numérique, qui veut illuminer, tant soit peu, le cœur meurtri de millions d’Ivoiriens, qui n’ont jamais vécu de Noël vraiment heureux depuis le jour maudit du 24 décembre 1999, quand le père Noël en treillis a emporté dans ses bottes le régime du président Henri Konan Bédié et du Parti démocratique de Côte d’Ivoire (PDCI).
Les railleries des uns, les exaltations des autres ne me feront certes pas pâlir au point de m’amener à m’éteindre. Jusqu’à la mi-janvier, je vais briller au milieu du Plateau, à côté des immanquables « maquis » qui commencent à pousser à mon flanc gauche et accueillent chaque jour, à partir de l’heure où je commence à darder mes rayons lumineux, des amateurs de bière, de « kédjénou » au poulet, d’aloco et d’attiéké, dans une ambiance surchauffée ponctuée de morceaux de maîtres du « couper-décaler » et de « zouglou ».
Feux d’artifice
Mais je ne veux surtout pas être un objet de vénération : au lendemain de la fête de Noël, j’ai lu dans un journal que des gens avaient constitué des convois pour venir me contempler et qu’ils avaient assimilé cela à un pèlerinage ! Le 30 et le 31 décembre, je prépare une surprise qui n’en sera pas une. Des milliers de feux d’artifices vont illuminer le ciel d’Abidjan. C’est une tradition initiée par l’ancien gouverneur sous Laurent Gbagbo, Pierre Djédji Amondji, que le nouveau gouverneur va perpétuer.
Preuve que les hommes passent, mais que les idées, les bonnes surtout, demeurent. Si ma présence est vue par de nombreux Ivoiriens comme une brillante idée, alors j’aurai accompli ma mission… prophétique. Et peut-être que l’année prochaine, je serai accompagné d’autres sapins numériques qui illumineront d’autres quartiers de la ville. En attendant, tout le mal que je vous souhaite, chers Ivoiriens, c’est que 2012 soit une année pleine de lumière !
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Par André Silver Konan, à Abidjan
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