Les incertitudes planent sur la croissance mondiale

La Chine ralentit, les États-Unis repartent, le pic de la crise européenne s’éloigne mais la spirale déflationniste guette. Résultat : les prévisions mondiales changent mois après mois.

Si les importations chinoises (ici à Qingdao) diminuent, les producteurs africains de minerais en souffriront. © AFP

Si les importations chinoises (ici à Qingdao) diminuent, les producteurs africains de minerais en souffriront. © AFP

ProfilAuteur_FredMaury

Publié le 30 juillet 2013 Lecture : 6 minutes.

«Une nouvelle période d’incertitude et de volatilité a commencé. » Le dernier billet de l’Américain Nouriel Roubini, l’un des rares économistes à avoir vu venir le krach de 2007-2008, ne cache rien du flou qui nimbe l’avenir de l’économie mondiale. D’un côté, la situation pourrait paraître bien moins inquiétante qu’il y a un an. La fameuse « falaise fiscale » américaine, cette mésentente entre démocrates et républicains au sujet d’éventuelles – et dramatiques – coupes budgétaires, s’est nettement éloignée, et la croissance des États-Unis tutoie les 2 %. Le gros de la crise de la dette européenne, marquée par la faillite grecque et l’extension des difficultés à l’Espagne et au Portugal, semble également derrière nous. La zone euro pourrait sortir de la récession en fin d’année.

Un beau tableau, en somme, s’il ne cachait d’autres réalités. Le 9 juillet, le Fonds monétaire international (FMI) a une nouvelle fois revu à la baisse ses prévisions de croissance mondiale pour 2013, ramenées à 3,1 % – soit beaucoup moins que les 4 % de 2011 et le même niveau qu’en 2012. La Chine confirme sa décélération, son avenir en termes de croissance se situant entre 7 % et 8 % (contre 9,3 % en 2011). Depuis un an et demi, les analystes ne cessent d’abaisser leurs prévisions de croissance pour les grandes zones économiques (voir infographie ci-dessus).

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Embourbement

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L’Afrique doit-elle s’en inquiéter ? « Elle fait partie de l’économie mondiale et, même si elle est moins intégrée que d’autres régions, ce qui se produit ailleurs aura forcément des effets sur sa croissance », souligne Emmanuel Nnadozie, économiste à la Commission économique des Nations unies pour l’Afrique (CEA). « Oui, nous anticipons un ralentissement chinois, mais finalement plutôt modeste et dont l’effet sera en partie annulé par la reprise américaine, la zone euro restant quant à elle embourbée dans une croissance faible », tempère David Cowan, économiste Afrique chez Citigroup. Selon le FMI, les économies subsahariennes devraient croître de 5,1 % en 2013 (au lieu des 5,6 % prévus en avril), celles d’Afrique du Nord et du Moyen-Orient de 3 % (au lieu de 3,1 %). Et encore, les estimations datent d’avant la crise égyptienne… David Cowan reste toutefois prudent : « Dans le cas de l’Afrique, il y a trop d’imprécisions dans les statistiques de PIB pour donner tant d’importance à des révisions de cet ordre. »

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Restent toutefois des incertitudes qui, elles, n’apparaissent pas à ce jour dans les prévisions : l’éclatement de la bulle du crédit en Chine, une guerre des monnaies internationales, une reprise de la crise en Europe… Impossible ? Loin de là. Passage en revue des grandes tendances à venir.

DEUX CERTITUDES…

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1. Les émergents ralentissent

Il y a un an, nous évoquions la vraisemblance d’une relance chinoise, avec à la clé une reprise des achats de matières premières. Raté. Fini la croissance à deux chiffres pour l’empire du Milieu. Les autorités, qui avaient massivement relancé l’économie en 2008 grâce à un vaste plan d’investissement, lèvent le pied. Et le pays devrait connaître sa plus faible croissance depuis 1991. « La transition de la Chine vers la nouvelle norme de 7 % à 7,5 % de taux de croissance est déjà là », constatent les équipes de recherche de Citigroup. Surtout, soulignent-elles, Pékin ne devrait pas tenter de relancer davantage la machine : « Au cours des dernières années, la diminution de la croissance des exportations nettes a été largement compensée par une hausse de l’investissement alimentée par le crédit. Nous pensons que les responsables chinois considèrent aujourd’hui un léger ralentissement économique moins perturbateur qu’un nouveau grand stimulus de prêts. » Autrement dit, le monde devra s’habituer à une croissance chinoise moins élevée. À court terme, cela se traduira par la poursuite de la baisse des prix d’un certain nombre de minerais très prisés par la Chine, notamment le cuivre. Dans les autres grands pays émergents, la situation est proche : la croissance indienne est ainsi passée en trois ans de 11,2 % à 5,7 %, tandis que le Brésil, la Russie et l’Afrique du Sud ne voient leur PIB progresser que de 3 % au mieux…

L’Allemagne échappe de peu à la récession, et la France devrait renouer avec la croissance. Ouf !

2. Des Américains moins conciliants

Aux États-Unis, fini la politique monétaire dite d’assouplissement quantitatif. Le gouverneur de la Réserve fédérale (Fed) l’a annoncé récemment : la première économie mondiale entend revenir progressivement à une politique monétaire restrictive. « La conséquence est claire, souligne Paul-Harry Aithnard, directeur de la recherche chez Ecobank. L’appétit des banques et des investisseurs pour les marchés émergents, y compris l’Afrique, va se réduire. » Les obligations américaines étant de nouveau rémunératrices et toujours moins risquées, les flux financiers vont se détourner en partie des grandes économies du Sud pour se tourner vers les États-Unis. C’est déjà le cas depuis quelques semaines, ce qui a provoqué un effondrement de plusieurs monnaies de pays émergents, dont l’Inde. Autre souci venu des États-Unis : la nature de la croissance. Certes, Washington est clairement sorti de l’ornière, avec une hausse du PIB qui frôlera les 2 % en 2013, mais cela ne servira pas à grand-chose pour le reste du monde, si ce n’est à maintenir le cours du baril de pétrole entre 80 et 100 dollars (entre 60 et 76 euros). « Il n’y a plus de moteur de la croissance mondiale, soulignait l’économiste français Patrick Artus dans le quotidien Les Échos le 15 juillet. Aux États-Unis, la croissance est essentiellement domestique et les importations baissent. En Chine, la croissance est entretenue par la construction et les importations reculent. »

croissance-intl info… ET TROIS QUESTIONS

1. La bulle chinoise va-t-elle éclater ?

Le shadow banking chinois est l’une des deux plus grandes inquiétudes du moment, avec la situation européenne. Pour compenser la crise, tour à tour financière puis économique, la Chine s’est massivement endettée, notamment en dehors des circuits habituels. Plus vite que la Grèce entre 2004 et 2008 et presque aussi vite que la Thaïlande avant la crise asiatique… L’inquiétude tient donc à la capacité de Pékin d’éviter un atterrissage brutal en résorbant les crédits octroyés non par les banques, mais par les entreprises elles-mêmes…

2. En Europe, reprise ou dépression ?

Sujet sensible par excellence : la crise en Europe est-elle en train de se résorber ? Du côté des facteurs positifs, un certain regain de confiance. En France, l’Institut national de la statistique et des études économiques (Insee) devrait bientôt annoncer un retour à la croissance au deuxième trimestre, et le moral des chefs d’entreprise est en légère hausse. Tandis que l’Allemagne échappe à la récession, l’Hexagone devrait repasser plus nettement dans le vert en 2014. Il n’empêche : rien n’est acquis. « Le pire est derrière nous, tranche Paul-Harry Aithnard. Mais je ne crois pas que nous ayons tourné la page de la crise en Europe. » Les économistes ne cessent d’ailleurs de réduire leurs prévisions de croissance. Selon Consensus Economics, un cabinet qui observe leurs évaluations, un échantillon de 26 prévisionnistes tablait en janvier 2012 sur une croissance de 1 % dans la zone euro pour 2013. Ils l’évaluent aujourd’hui à – 0,6 %. Une preuve réelle de l’incertitude qui règne, avec une grande inconnue : la crise de la dette. Malgré les coupes claires dans les budgets, l’endettement a continué de grimper dans les pays en situation de quasi-faillite comme le Portugal, la Grèce ou l’Espagne. Beaucoup d’experts et même le FMI étudieraient désormais la possibilité d’une faillite générale sur les dettes européennes les plus importantes. D’autres analystes craignent quant à eux l’entrée de la zone euro dans une spirale déflationniste, ce qui pourrait hypothéquer la reprise à moyen terme.

3. Vers une guerre des monnaies ?

C’est sans doute le plus lointain des dangers, mais il inquiète. La décision, fin 2012, de la Banque du Japon de laisser filer sa monnaie pour relancer la croissance – une politique déjà activement pratiquée par la Chine et un peu moins assidûment par les États-Unis – a relancé l’hypothèse d’une guerre entre les grandes monnaies internationales. L’idée étant alors de stimuler artificiellement une économie qui ralentit, en utilisant l’arme monétaire. C’est quelque chose que nous surveillons, car cela peut déraper, souligne Paul-Harry Aithnard. La conséquence serait un éclatement brutal des bulles et des sorties rapides et violentes de capitaux dans les pays émergents. » La zone euro, pour l’instant, n’utilise pas cette arme. En février, les financiers du G20 ont promis de s’abstenir de procéder à des dévaluations compétitives. À suivre.

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