Égypte : violences à répétition
Au Caire, manifestants et militaires égyptiens ne cessent de s’affronter. Après trois jours de violences, le bilan fait froid dans le dos, au moins 11 morts et 500 blessés sont à déplorer. Récit des événements.
Le ton est colérique, la voix forte et les gestes brusques. « Ne me demandez plus pourquoi je ne souris jamais. Pourquoi je porte toujours des couleurs sombres. La tradition égyptienne le veut : lorsque nous avons un mort, il faut revêtir du noir pendant 40 jours. Que faire alors quand nous avons des martyrs », clamait dimanche soir Reem Magued, la présentatrice de la célèbre émission populaire « Baladna bel Masry ».
Depuis vendredi, le centre-ville du Caire est de nouveau le théâtre d’affrontements violents entre forces de l’ordre et manifestants hostiles au régime militaire. Le dernier bilan officiel fait état de 11 morts et de 500 blessés, en trois jours seulement.
Violences et tortures
Ces affrontements ont éclaté vendredi, en réaction aux tortures infligées par les forces de sécurités de l’assemblée nationale à Aboudi, un jeune protestataire.
Le visage tuméfié, Aboudi explique sur une vidéo amateur qu’il s’est approché d’une voiture soupçonnée d’enlever des manifestants. S’en est suivi une altercation avec le conducteur, qui affirmait être un policier mais qui refusait de montrer sa carte. L’homme a fini par livrer le jeune protestataire aux policiers de l’assemblée nationale.
Par la suite, les militaires ont attaqué le campement, arrêtant plusieurs jeunes activistes comme Noor Ayman Noor, le fils d’un des candidats à l’élection présidentielle, ou encore Mona Seif, qui dirige l’association « non au jugement des civils par les tribunaux militaires. »
« Nous étions présents depuis le début devant le conseil des ministres, nous avons vu l’utilisation excessive de la force par les militaires. On assiste à une véritable épuration des révolutionnaires. Parmi les rangs de notre mouvement, nous comptons un mort et 55 blessés », explique Mahmoud Afifi, porte parole du mouvement du 6 avril, fer de lance de la contestation populaire qui a conduit Moubarak à sa chute.
Déni militaire
Comme à leur habitude, les militaires du Conseil suprême des forces armées ont organisé lundi matin une conférence de presse pour décliner toute responsabilité dans les affrontements. « L’agitation de ces derniers jours fait partie d’un complot visant à atteindre la sécurité de la nation », a ainsi précisé le général Adel Emara avant d’ajouter que « l’usage de la violence contre les manifestants constitue des allégations véhiculées par les médias. »
Emara a par ailleurs interrompu sa conférence de presse pour informer les journalistes qu’il venait de recevoir un appel téléphonique indiquant qu’un plan visant à brûler l’Assemblée du peuple avait été découvert, expliquant qu’il y avait maintenant des foules place al-Tahrir prêtes à appliquer ce plan.
Durant la conférence de presse, le général Emara a diffusé des images montrant des individus en civil mettant le feu à l’institut d’Égypte, qui abrite plus de 200 000 manuscrits et ouvrages rares, dans un bâtiment proche du conseil des ministres et de l’assemblée nationale. Le témoignage d’un adolescent qui affirme avoir été payé pour lancer des cocktails Molotov sur les bâtiments publics a également été présenté aux journalistes.
D’après le quotidien indépendant Al-Shourouk, le général Abdel Moneim Kato, conseiller au département des affaires morales de l’armée, aurait de son côté déclaré qu’au lieu de se préoccuper de la situation du pays, les gens s’inquiétaient « de criminels de rue qui mériteraient d’être jeté dans les jours d’Hitler», se référant aux manifestants.
Une opinion publique divisée
« Ils essayent de dissimuler la vérité. Ce ne sont pas des criminels qui manifestent, mais bien des révolutionnaires qui défendent leurs droits et protestent contre la gestion de la transition par le Conseil suprême » affirme le porte parole du mouvement du 6 avril, Mahmoud Afifi, qui estime que ces derniers évènements vont faire perdre au Conseil suprême sa popularité.
Des images montrant des manifestants frappés par les forces armées circulent depuis plusieurs jours sur les réseaux sociaux. On y voit notamment une jeune fille perdre son voile intégral pour se retrouver à moitié dénudée et violemment battue par des soldats, alors qu’elle git à même le sol. D’autres photos montrent des soldats en train de lancer des pierres et d’uriner sur les manifestants.
Mais pour Jean-Noël Ferrié, chercheur au centre Jacques Berque de Rabat (Maroc), « s’il est clair que les images que nous voyons nous semblent terribles, elles ont moins d’impact auprès d’un public égyptien qui y accède plus difficilement. »
« Les militaires veulent un retour à la normale. Selon eux, la situation a assez duré, et ce d’autant plus que les élections sont en cours. C’est cette impatience à un retour à l’ordre qui a fait qu’ils ont décidé d’augmenter la pression sur les manifestants » explique le spécialiste de l’Égypte, qui ajoute que les militaires font le pari « que les Égyptiens dans leur ensemble en ont assez de cette situation instable et que les manifestants ne représentent plus la majorité populaire. »
Plusieurs activistes politiques ont suggéré d’avancer au 25 Janvier l’organisation d’élections présidentielles. Une alternative qui permettrait aux civils de retrouver plus rapidement le pouvoir et au Conseil suprême de rejoindre ses casernes.
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