Législatives ivoiriennes : paysage politique avant la bataille

Crise oblige, l’Assemblée nationale sortante remonte à l’année 2000. Mais depuis, le paysage politique a radicalement changé en Côte d’Ivoire. Tour d’horizon à quelques jours des élections législatives du 11 décembre.

Affichage de la campagne électorale en Côte d’Ivoire, le 6 décembre à Abidjan. © AFP

Affichage de la campagne électorale en Côte d’Ivoire, le 6 décembre à Abidjan. © AFP

Publié le 8 décembre 2011 Lecture : 6 minutes.

En Côte d’Ivoire, les candidats n’ont pas attendu le 2 décembre, date de l’ouverture officielle de la campagne, pour se lancer dans la bataille électorale. « Cela fait plusieurs semaines qu’on les voit tourner sur le terrain, plaisante Jean-Baptiste, un habitant d’un quartier populaire d’Abidjan. Je n’ai jamais vu autant de nouvelles têtes sur les listes. » Après une crise politico-militaire de dix ans qui n’a pas permis de renouveler l’Assemblée nationale, l’engouement pour les élections législatives du 11 décembre est réel. Barons et cadres régionaux des principaux partis, hommes d’affaires, leaders paysans, enseignants, cadres de société et jeunes militants… Tous veulent faire partie de la nouvelle classe dirigeante. Preuve de cet engouement : 435 indépendants briguent un siège sur un total de 1 182 candidats retenus par la Commission électorale indépendante (CEI), pour 255 sièges à pourvoir. Les femmes sont encore une nouvelles fois sous-représentées avec seulement 11 % des prétendants.

Sur la dynamique de la présidentielle, les troupes du Rassemblement des républicains (RDR, parti d’Alassane Ouattara), qui avaient boycotté le scrutin de 2000, sont particulièrement motivées. Avec 233 candidats, elles veulent reconquérir les bastions du Nord aux mains du Parti démocratique de Cote d’Ivoire (PDCI, formation d’Henri Konan Bédié), gagner des circonscriptions à Abidjan et Yamoussoukro, et conforter leur implantation dans les fiefs du Sud, comme à Agboville, où le ministre de l’Intégration africaine, Adama Bictogo, déploie une grosse armada de campagne. La bataille s’annonce âpre avec le PDCI, qui présente 237 candidats, mais qui aura du mal à conserver les 94 sièges obtenus en 2000.

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Le bon déroulement du scrutin et sa sécurité est un défi majeur pour les autorités, qui ont prévu de déployer quelque 25 000 policiers et militaires, l’Onuci déployant, quant à elle, 7000 hommes. Sur le terrain, le ton monte entre certains candidats, qui n’hésitent pas à dénoncer l’appartenance religieuse et ethnique de leurs adversaires. La Côte d’Ivoire n’est visiblement pas encore guérie de tous ses maux. Pourtant, ces législatives sont une étape importante vers la normalisation d’un pays dont la dernière crise présidentielle a provoqué la mort de plus de 3 000 personnes. La communauté internationale conditionne la reprise totale de ses engagements au retour de l’État de droit, raison pour laquelle elle avait appelé à l’« inclusivité » du scrutin. Un vœu resté pieu. Le Front populaire ivoirien (FPI, parti de Laurent Gbagbo) a d’ores et déjà annoncé qu’il ne présenterait personne, souhaitant au préalable la libération de l’ancien président, aujourd’hui incarcéré en banlieue de La Haye dans l’attente de son éventuel procès.

Alassane Ouattara et Guillaume Soro devraient être les grands gagnants des législatives.

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Chronique d’une victoire annoncée

« Nous ne participerons pas à une compétition dont les résultats sont connus d’avance et pour laquelle tout est mis en œuvre en vue de nous humilier », a expliqué Sylvain Miaka Oureto, le président par intérim du parti. Toutefois, on compte près de 160 candidatures individuelles issues du FPI ou d’autres petites formations qui ont soutenu Gbagbo lors de la présidentielle. C’est notamment le cas de certaines têtes d’affiche de l’ancien régime, comme Gervais Coulibaly, ex-porte-parole de la présidence, ou des anciens ministres Appiah Kabran et Théodore Mel même si elles affirment de plus concourir depuis le transfèrement de Gbagbo à La Haye. Quant à Mamadou Koulibaly, le président de l’Assemblée nationale sortante : après avoir claqué la porte du FPI, il a créé sa propre formation, le Lider, et aligne 8 candidats. De quoi contrecarrer la chronique d’une victoire annoncée pour le pouvoir ? Certainement pas. Mais l’élection de certains d’entre-eux permettra d’entendre, au moins, des voies discordantes et critiques au sein du futur Parlement.

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« La crise a fait de nombreuses victimes et provoqué des déplacements massifs des populations. Dans ces conditions, il ne faut pas s’étonner que le taux de participation soit faible », prédit même Jean Bosson, chef de de la mission d’observation électorale de la Convention de la société civile ivoirienne. Il faut dire que les Ivoiriens ont actuellement d’autres préoccupations : cherté de la vie, accès aux services de base comme l’eau et l’électricité, emploi, sécurité… On n’atteindra certainement pas les 80 % de participation de la présidentielle. Mais une abstention record sonnerait comme un désaveu pour l’exécutif.

« D’autant que l’on connaît déjà le résultat, avance un autre leader de la société civile. On aura une chambre monocolore qui ne servira qu’à avaliser les directives présidentielles. » La crainte : le retour à une forme de parti unique autour du Rassemblement des Houphouétistes pour la démocratie et la paix (RHDP), rassemblant le RDR et le PDCI. « Le monolithisme revient à grands pas », estime ce responsable syndical. Un avis tranché, et quelque peu schématique. Le RHDP a volé en éclats lorsqu’il s’est agi de prévoir des investitures communes, chaque formation volant finalement sous sa propre bannière. « C’est un retour en arrière, estime Anaky Kobenan, président du Mouvement des forces d’avenir (MFA), parti membre de la coalition. En ne réussissant pas à nous mettre d’accord, on a peut-être enterré le RHDP. » Les états-majors du PDCI et du RDR ont même eu les pires difficultés à élaborer leurs listes de candidats. Résultat : de nombreux partisans se présentent comme indépendants.

Dans l’hypothèse où Ouattara aurait la majorité absolue au Parlement, il n’aura de compte à rendre à personne. Et ne comptez pas sur nous pour donner le perchoir au PDCI.

Un dirigeant du RDR

Entre le RDR et le PDCI, la crise couve

Au PDCI, la crise couve. « Henri Konan Bédié brade nos intérêts contre les honneurs que lui réserve Ouattara », explique un cadre du bureau politique. Les barons du parti se sont même déplacés jusqu’à son domicile pour lui demander de ne pas négocier de candidatures uniques au sein du RHDP. S’ils ont obtenu satisfaction, ils n’ont pu éviter les dissidences. Dans certains fiefs, le champion investi par le parti est en concurrence avec deux ou trois anciens caciques de la formation créée par Houphouët-Boigny. Cela pourrait coûter cher. En cas de lourde défaite, il va être difficile pour Konan Bédié d’échapper à un « congrès bilan » au cours duquel la question de sa succession sera forcément abordée.

Si le PDCI s’effondre, il perdra en tout cas toute capacité de pression sur le chef de l’État. « Dans l’hypothèse où Ouattara aurait la majorité absolue au Parlement, il sera dans une position très confortable. Il n’aura de compte à rendre à personne, précise un dirigeant du RDR. Et ne comptez pas sur nous pour donner le perchoir au PDCI. » Ouattara n’aurait alors plus qu’à composer avec son Premier ministre, Guillaume Soro. Ce dernier se présente sous les couleurs du RDR. Vingt de ses proches sont également dans la course. Un premier test grandeur nature, dans les urnes, pour l’ex-rebelle. Si Soro ne souffre pas de concurrence dans sa région natale, à Ferkessédougou, d’autres comme son bras droit, le ministre Sidiki Konaté, font face à une forte opposition à Man.

Dans les semaines suivant les législatives, on devrait assister à un remaniement ministériel même si Soro a déjà l’assurance d’être reconduit dans ses fonctions. L’Assemblée nationale, dont les activités sont suspendues depuis plus d’un an, devrait également rapidement reprendre du service. Ce qui permettra à Ouattara de ne plus avoir à gouverner par ordonnance et décret. À terme, il aura également besoin du Parlement pour faire évoluer la Constitution. « J’entends lui apporter des modifications, en vue de nous rassembler, de renforcer notre cohésion et de nous conduire sur le chemin d’un État démocratique, moderne et respectueux des droits de l’homme », a-t-il expliqué, en août, lors de la prestation de serment de Francis Wodié, le nouveau président du Conseil constitutionnel. Se dirige-t-on vers une évolution du système politique ? « Le chef de l’État souhaite renforcer le rôle du législateur », assure Me Affoussy Bamba, candidate à Abobo sous les couleurs du RDR et ex-porte-parole des Forces nouvelles. Mamadou Koulibaly, lui, appelle de ses vœux une évolution du régime présidentiel vers un régime parlementaire plus équilibré. Outre le contrôle de l’exécutif, « les députés de la majorité pourraient ainsi désigner, mais aussi révoquer, le Premier ministre ». On en est encore loin…

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