Égypte : un remaniement gouvernemental controversé
Investi mercredi dernier et dirigé par Kamal el-Ganzouri, un Premier ministre aux pouvoirs renforcés, le nouveau gouvernement a peu de chance de satisfaire les révolutionnaires de la Place Al-Tahrir. Analyse.
Dans un contexte de sévère crise économique et de contestation révolutionnaire, le Conseil suprême des forces armées (CSFA), en charge de la transition politique en Égypte du pays, a indiqué mercredi 8 décembre qu’il « déléguait » au Premier ministre, Kamal el-Ganzouri, « les prérogatives qui sont accordées au président de la république (…), à l’exception de celles concernant les forces armées et les institutions judiciaires. »
Agé de 68 ans, Kamal el-Ganzouri, déjà Premier ministre sous Hosni Moubarak, prend la tête « d’un gouvernement de salut national. » Une dénomination qui avait été utilisée par les révolutionnaires lors des violentes manifestations qui ont précédé les élections législatives. Mais le nom est peut-être la seule chose qui reste du projet initial des Égyptiens de la Place al-Tahrir, qui espéraient voir un tel gouvernement composé de jeunes ministres proche des manifestants.
Des révolutionnaires toujours insatisfaits
Ceux-ci s’attendaient à ce que le poste de Premier ministre soit confié à Mohamed el-Baradei, ou encore à Abdel-Meneim Aboul Foutouh. Si les deux sont candidats à la présidentielle, le premier est proche des cercles libéraux, le second est un ancien membre de la confrérie des Frères musulmans.
Pour Issandr el-Amrani, analyste politique et fondateur du site d’information indépendant The arabist.net, « les Égyptiens vont peut-être accepter la nomination d’El-Ganzouri et de son nouveau gouvernement, mais ce sera difficile pour la place al-Tahrir et les révolutionnaires, qui avaient proposé des figures politiques comme El-Baradei ou encore Aboul-Foutouh, et à qui on impose des technocrates.»
El-Amrani explique ainsi qu’un remaniement gouvernemental n’apportera pas de réponses concrètes aux questions qui préoccupent prioritairement les révolutionnaires. « Depuis 9 mois il n’y a pas eu de véritable politique de changement. Certaines questions importantes comme le maintien de la loi d’urgence ou le jugement des civils par les tribunaux militaires n’ont pas été résolues. »
« Ce gouvernement est un gouvernement de transition, qui va essayer d’apporter des réponses à la situation économique, s’occuper de la question des prêts du FMI et de la Banque mondiale », ajoute El-Amrani, qui précise qu’il faudra attendre la fin des élections pour voir comment le Parlement va essayer d’imposer ses choix en ce qui concerne la formation d’un nouveau gouvernement, même si légalement, il n’a aucune prérogative à ce sujet.
Absence de changement réel
En attendant, le nouveau chef du gouvernement qui remplace Essam Charaf a mis près de deux semaines à former son cabinet, qui comprend une douzaine de personnalités du gouvernement précédent. Certaines, comme le ministre de l’Électricité, Hassan Younès, ou encore la ministre de la coopération internationale, Fayza Aboul Naga, étaient déjà en poste du temps de l’ancien dictateur déchu.
Quant aux nouvelles figures du gouvernement, certaines sont contestées par les révolutionnaires : c’est le cas du nouveau ministre de l’Information, le général Ahmed Anis, dont la nomination semble corroborer l’idée que le Conseil suprême tente de conserver une certaine mainmise sur les médias, alors que plusieurs chaînes satellitaires et quotidiennes ont affirmé avoir souffert de la censure militaire.
« Ça confirme la militarisation des médias », affirme avec inquiétude le journaliste Al-Hosseini Abou Deif. « Nous nous attendons à une détérioration de la situation en ce qui concerne la télévision publique, mais aussi pour la censure des médias privés. Et ça a déjà commencé. Un collègue d’Al-Ahram (quotidien gouvernemental) a été interdit d’écrire sur la nomination du nouveau ministre. Son rédacteur en chef a fait ouvrir une enquête interne et l’a interdit de publication, jusqu’à nouvel ordre », explique Abou Deif qui est également membre du mouvement « Non à la censure de la presse par les militaires ».
Le ministre de l’intérieur, le général Mohamed Ibrahim, est lui aussi contesté. Ancien préfet de police du gouvernorat de Gizeh, il est considéré comme l’instigateur de la violente répression en 2005 d’un sit-in organisé par des réfugiés soudanais face aux bureaux de l’agence des Nations-Unis pour les réfugiés. Les manifestants soudanais réclamaient alors un droit d’asile dans les pays européens. Bilan de l’intervention policière : 25 morts, dont plusieurs enfants.
Crise économique et insécurité
Toutes ces critiques n’ont cependant pas empêché le nouveau gouvernement de prêter serment devant le maréchal Hussein Tantaoui, chef du Conseil militaire, qui a appelé la nouvelle équipe gouvernementale à améliorer la situation sécuritaire et à apporter leur soutien aux forces de sécurité.
De son côté le Premier ministre a fait savoir qu’il plaçait parmi ses priorités le redressement de l’économie, en forte crise depuis le début de l’année. Confrontée à la chute du tourisme et des investissements étrangers, l’Égypte redoute de manquer de réserves en devises à partir de février pour assurer ses importations, vitales notamment dans le domaine alimentaire.
Le nouveau ministre des Finances, Moumtaz Saïd, a toutefois déjà fait savoir qu’il ne savait pas encore s’il approuverait un projet de prêt de 3.2 milliards de dollars proposé par le FMI pour soutenir l’économie.
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