Elikia M’bokolo : « Au 18e siècle en France, il y avait déjà cette idée que les Noirs étaient trop nombreux »

En novembre est paru « La France noire, trois siècles de présences », ouvrage collectif de référence (sous la direction de Pascal Blanchard) sur la domination et l’émancipation des « présences noires » en France. Entretien avec Elikia M’bokolo, l’un des auteurs, qui s’est intéressé à la période allant de la fin de la révolution française à la 1e guerre mondiale.

E. M’Bokolo est directeur d’études à l’EHESS de Paris et co-auteur de la France noire. © Vincent Fournier pour J.A.

E. M’Bokolo est directeur d’études à l’EHESS de Paris et co-auteur de la France noire. © Vincent Fournier pour J.A.

Clarisse

Publié le 5 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Jeuneafrique.com : Quelle est la place des Subsahariens dans cette France noire* ?

Elikia M’bokolo** : Ils sont déjà visibles dans l’Hexagone dès le XVIIIe siècle. Parce qu’on leur donnait des noms tirés de l’histoire romaine ou grecque, cela brouillait les cartes. Certains ont cependant conservé des noms typiquement africains. À la cour, dans l’aristocratie et dans la grande bourgeoisie, la plupart des serviteurs viennent d’Afrique subsaharienne. Leur nombre augmente progressivement tout au long du XIXe, avec néanmoins un coup d’arrêt au milieu de cette même période.

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La France considérait également que ces Noirs étaient contaminés par les idées révolutionnaires et risquaient de mettre en danger le système esclavagiste.

À la fin du XIXe et au début du XXe siècle, ils redeviennent visibles par le fait militaire en s’illustrant comme combattants. Par exemple, à la fin du Second Empire, lors du conflit avec les Prussiens ou encore lors de la guerre 14-18. Mais, les études restent la voie royale pour s’installer en France. Beaucoup de ces Noirs d’Afrique, souvent issus de grandes familles, entreprennent d’exemplaires cursus. Parmi eux, des Dahoméens, comme Tovalou Houénou (1887-1936), brillant avocat au barreau de Paris, qui vivait comme n’importe quel grand avocat parisien, sans être confronté aux problèmes de racisme.

C’est une période qui vous fascine…

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Examiner cette période laisse deviner une véritable continuité dans les discours de rejet, qui vont jusqu’à Jacques Chirac ou à Jean-Marie Le Pen, donc de la droite nationale à la droite populaire. Lorsqu’en 1986 Charles Pasqua et Robert Pandraud font voter les lois pour l’expulsion des Africains en situation irrégulière, la France est persuadée qu’il s’agit d’une première. Mais un retour au 18e siècle, juste avant la révolution, prouve que déjà, dans cette France-là, il y a avait l’idée que les Noirs étaient trop nombreux, que cela constituait une menace pour la pureté de la race, que les métis étant des Sang Mêlés. La France considérait également que ces Noirs étaient contaminés par les idées révolutionnaires et risquaient de mettre en danger le système esclavagiste outre-mer et tout l’empire.

On ne regarde pas de la même manière l’expulsion des 101 Maliens en 1986 quand on réalise que Napoléon, deux siècles plus tôt, avait fait la même chose.

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Déjà à cette période, il y a eu des mesures de concentration des Noirs dans les grands ports français, mais aussi des mesures d’expulsion, une sorte de charters avant la lettre. On ne regarde pas de la même manière l’expulsion de 101 Maliens en 1986 quand on réalise que Napoléon, deux siècles plus tôt, avait fait la même chose. Dans certaines municipalités, des mesures visant à interdire les mariages entre hommes noirs et femmes blanches étaient adoptées, alors qu’à l’inverse, on fermait les yeux sur le concubinage entre femmes noires et hommes blancs. Comme celui qu’entretenait Thomas Jefferson, alors ambassadeur des États-Unis, avec la sœur de l’un de ses domestiques noirs, dont il eût plusieurs enfants.

La France noire a aussi pour ambition de déconstruire certains mythes…

Comme celui des tirailleurs sénégalais utilisés comme chair à canon. L’histoire n’a pas trouvé sa place, alors les gens ont fabriqué des mythes auxquels ils se sont raccrochés pour arriver à réécrire un pan de leur histoire. Tous les tirailleurs sénégalais n’ont pas eu le même destin. Ils étaient généralement six mois au front ; l’hiver, ils étaient à l’arrière.

On oublie même que certains régiments sont restés cantonnés en Afrique et n’ont pas fait le déplacement en Europe. Certains régiments ont été dans les Dardanelles, où les taux de mortalité étaient importants pour tous. Selon les statistiques, certains régiments français ont connu davantage de morts. C’est le cas des régiments bretons. Il n’y a donc pas une histoire globale de la chair à canon. En revanche, on peut se demander ce qu’ils allaient faire au front, ces soldats, dans une guerre qui n’étaient pas la leur. Cette question pose également celle de la trahison de la République française.

Contrairement aux Français, ils n’ont pas été payés en retour pour le sacrifice consenti. Les soldats français ont eu droit à une image positive, à quelques avantages matériels et financiers. Encouragés à rentrer chez eux, les Africains ont rarement eu la citoyenneté qui leur avait été promise. Une fois en Afrique, même ceux qui avaient la nationalité française ont finalement été traités comme des « indigènes ». C’est donc la distorsion entre ce qu’ils ont fait pendant la guerre et le traitement qui a été le leur qui fait problème.

* La France Noire, trois siècles de présences. Éditions La Découverte.

** E. M’Bokolo, spécialiste du continent, est directeur d’études à l’EHESS de Paris.

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Propos recueillis par Clarisse Juompan-Yakam

 

 
 

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